Un acte de vengeance d’un policier sur une personne enfermée au commissariat de police ne semble pas être une énormité susceptible de mériter une peine très sévère. La non-assistance à personne en danger non plus.
La Cour d’appel vient de réformer le jugement sur l’affaire des quatre policiers dont l’un avait aspergé de gaz lacrymogène une femme couchée dans la cellule de dégrisement en juin 2005. Il avait été seul à entrer dans la cellule et à s’approcher du lit. Après un bref échange verbal, dont la teneur varie selon les déclarations, il avait relevé la couverture et envoyé un coup de gaz dans le visage de la jeune femme. Elle avait ensuite été laissée dans un mauvais état, en pleine crise de suffocation. Le policier maintiendra devant les juges qu’il s’était senti agressé et provoqué lorsqu’il effectua ce contrôle de routine dans la cellule de la victime, à laquelle il reprochait d’avoir maltraité son frère policier la veille de son arrestation. La cellule est certes équipée d’une caméra, mais les images ne sont pas enregistrées et personne ne s’était trouvé devant l’écran au moment des faits. Les enquêteurs de l’Inspection générale de la police relèveront ensuite que le policier avait mis sa ceinture à laquelle les armes sont attachées, alors qu’en général, les agents effectuent les contrôles des cellules sans cet équipement pour des raisons de sécurité. La circulaire du corps de police relative à l’usage du spray neutralisant au poivre précise qu’il ne peut être utilisé qu’en cas de légitime défense et « en aucun cas, un usage sournois, négligeant ou comme moyen de représailles ou de vengeance ne sera permis ». En outre, cette note énumère les actions nécessaires pour éviter une aggravation de l’état de santé de l’individu, dont l’administration des premiers soins et l’intervention d’un médecin. Or, la victime a dû attendre un bon moment et appeler de l’aide par l’interphone avant que les agents réagissent et lui permettent de se rincer le visage. Les trois collègues du policier agresseur étaient au courant de ses agissements, mais ils ont préféré ne pas intervenir.
En première instance, le ministère public avait notamment reproché à l’agresseur d’avoir intentionnellement infligé des actes de torture à sa victime. Les juges étaient d’avis qu’il y avait eu des sévices corporels assez graves, mais que cette agression ne pouvait constituer un acte de torture au sens de la Convention internationale contre la torture des Nations Unies. En ce qui concerne le reproche des coups et blessures volontaires, ils n’ont pas fait valoir l’excuse du policier concernant la provocation de la victime, ni le motif qu’elle ait été agressive et menaçante. Ensuite, il n’y a pas eu de légitime défense.
« Le prévenu ne s’est trouvé à aucun moment menacé d’un danger immédiat, ont estimé les juges, il a agi dans la pure intention de vengeance. » Sachant qu’il se retrouverait face à ceux qui ont blessé son frère la veille, il aurait pu s’abstenir de contrôler leurs cellules et de « mêler ses sentiments privés avec ses devoirs et obligations de policiers ». Le fait que les coups et blessures constituaient des violences commises volontairement par un policier dans l’exercice de ses fonctions était une circonstance aggravante pour les juges de première instance. C’est la raison pour laquelle ils l’avaient condamné à trois mois de prison avec sursis et à 800 euros d’amende.
Cette peine fut assortie de l’obligation de suivre un traitement psychiatrique ou psychologique « en vue du traitement du manque de contrôle de ses actes », une peine plutôt exceptionnelle pour une première condamnation. Les juges ont estimé que même s’il avait exprimé ses regrets, il ne s’était toujours pas rendu compte qu’il avait perdu le contrôle de ses actes en aspergeant sa victime de gaz, ce qui laissait craindre « que de tels faits puissent se reproduire à l’avenir ». Alors que son supérieur hiérarchique, le directeur régional de la circonscription Luxembourg, avait au début considéré qu’il « n’est pas indiqué de donner d’autres suites au dossier », car l’agent était conscient du fait qu’il avait commis une faute et que son geste était compréhensible vu que la victime l’avait « en plus provoqué par son attitude ».
Les trois autres agents furent condamnés à une amende de 800 euros pour non-assistance à personne en danger, parce qu’ils ont « délibérément choisi de ne rien faire au moment où il fallait intervenir ». « La passivité et l’inertie consciente et volontaire et non valablement justifiée des prévenus est incompréhensible, écrivirent les juges de première instance, alors qu’aucun risque justificatif de l’inaction des prévenus et exonératoire ne peut être constaté et retenu à leur décharge. » La clémence de la peine s’explique par le fait que le délai raisonnable n’avait pas été respecté. Le dossier avait dormi plus de 18 mois entre le dépôt du rapport d’enquête et le réquisitoire du ministère public.
Mercredi, la Cour d’appel a atténué ces sanctions : le sursis de la peine d’emprisonnement de trois mois n’est plus assorti de la condition de traitement psychologique et le prononcé de la condamnation des trois confrères de l’agent agresseur a été suspendue pour trois ans. L’exécution de la peine prononcée en première instance est donc rayée d’office, pour autant que les trois policiers ne récidivent pas au cours de cette période. Les juges ont sans doute voulu tenir compte du manque d’expérience des jeunes agents lorsqu’ils ont quitté les lieux enfumés.