Après sept semaines de flou artistique et de flottement juridique, le système de garantie de dépôts a enfin adapté les montants des indemnités à verser aux clients qui seraient victimes d’une défaillance d’un établissement financier. Les montants sont passés, comme la loi le prévoit, d’une garantie de 20 000 à 100 000 euros pour les dépôts. Il n’y a pas eu de relèvement pour les investissements dans des titres. La garantie reste, dans ce cas, plafonnée à 20 000 euros, la directive européenne n’ayant pas imposé de hausse à 100 000 euros. Le texte européen n’a touché – faut-il s’en étonner ? – qu’aux seuls dépôts bancaires.
Cette adaptation des seuils, intervenue le 18 février à l’issue d’une assemblée générale extraordinaire de l’Association pour la garantie des dépôts Luxembourg, relevait de l’urgence au grand-duché. Le gouvernement luxembourgeois s’était engagé en octobre à anticiper d’une année les effets de la directive, troquant le minimum de 20 000 euros par déposant pour le cap des 100 000 euros. Pour autant, cet engagement des autorités n’a pas été suivi d’un effet immédiat dans les faits, la communauté financière, déjà très affectée par la crise des marchés, rechignant à relever de cinq fois son ancien montant le niveau de la garantie des dépôts. Et comme le système luxembourgeois de garantie est aux mains du secteur privé, il lui appartenait de se conformer à la volonté des politiques. Plus facile à dire qu’à faire.
Sur le principe, personne sur la place financière n’a émis la moindre réticence à exécuter ces vœux pieux. Sans doute parce qu’une garantie à 100 000 euros est devenue un argument de marketing pour conserver certains clients qui ont tendance à jouer les filles de l’air. Si cette clientèle n’est pas la plus intéressante du point de vue de la rentabilité, les banques, par ces temps de disette, ne les dédaignent plus. Elles ne font plus la fine bouche devant le nombre de zéros que leurs clients ont sur leurs comptes.
Dans la réalité, l’adaptation des seuils de la garantie des dépôts s’est révélée extrêmement compliquée. Ce furent d’ailleurs moins les banques que les professionnels du secteur financier, notamment les gérants de fortune, également membres du système luxembourgeois de garantie des dépôts, organisés au sein de l’asbl Association de garantie des dépôts Luxembourg (AGDL), qui étaient réticents aux modifications des statuts de l’association. Le décalage de plusieurs semaines entre d’abord les engagements de principe du gouvernement à l’automne 2008, puis le vote en décembre de la loi sur le budget 2009, qui a ancré dans le droit luxembourgeois les 100 000 euros, et enfin l’assemblée générale extraordinaire du 18 février dernier de l’AGDL, validant le relèvement « à une très large majorité » (il y a eu deux absentions et trois votes contre), trouve une partie de son explication dans les incidences financières qu’une telle mesure fait peser sur certains établissements de la Place. Car il s’agit pour la plupart des structures légères et indépendantes des grands groupes, ce qui fait souvent leur force d’ailleurs.
« Avant d’envisager une modification de nos statuts, nous devions nous assurer de l’accord préalable de certains professionnels du secteur financier et des gérants de fortune qui risquaient de voter contre la modification », explique Rüdiger Jung, directeur adjoint à l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) et « patron » de l’AGDL.
Les réserves des PSF ont été levées après un accord sur un aménagement très technique du financement de la garantie, qui diffère selon qu’il s’agisse de banques ou des gérants de fortune. Une disposition spéciale prévoit désormais, dans le cas de ces derniers, que leurs dépôts de tiers, obligatoirement placés auprès d’une banque (donc en hors-bilan des banques), soient clairement identifiés, comptabilisés et contrôlés, sans pour autant que les noms des clients n’apparaissent. Les PSF devront renseigner, à la fin de chaque exercice comptable, les montants des dépôts clients ainsi que leur nombre. Ce qui facilitera une éventuelle indemnisation et rendra plus aisé aussi la détermination des montants de leurs contributions au système de garantie des dépôts.
Le Conseil d’État s’était beaucoup interrogé, dans le cadre des discussions sur le projet de budget 2009, sur la « faisabilité financière » d’un relèvement du plafond des garanties, en raison de la spécificité du système luxembourgeois qui ne constitue pas de fonds de garantie et n’est pas non plus un système de capitalisation. « Dans l’hypothèse où la garantie de l’AGDL serait appelée à jouer par suite de la défaillance d’un membre de l’association sans but lucratif, relevaient les Sages, l’AGDL finance son intervention financière par une contribution de chaque associé à l’AGDL ». Et de rappeler que l’asbl, pour éviter un risque systémique, avait limité le montant de la contribution de chaque associé à maximum cinq pour cent de ses fonds propres par année de calendrier. On suppose, insinuait encore le Conseil d’État, que des simulations ont été faites pour déterminer l’impact du relèvement du plafond sur le modèle et « pour confirmer que ce modèle est suffisamment robuste pour supporter le relèvement ».
Cet exercice a bien été fait. Rüdiger Jung affirme sur ce point que le relèvement de cinq fois le montant initial n’entraînera pas pour autant une contribution quintuplée pour les banques de détail qui comptent un nombre important de déposants. Car le calcul des contributions de chacun des membres de l’AGDL se fait en fonction des dépôts. D’où le poids important de la Banque et Caisse d’Épargne de l’État dans le mécanisme.
Toujours est-il qu’une nouvelle faillite d’un établissement financier serait lourde à porter par le système actuel. Le fonds de garantie luxembourgeois disposait à la fin de l’année 2008 de 900 millions d’euros. La défaillance de la banque Kaupthing va mobiliser un montant de près de 350 millions d’euros sur la base de l’ancien plafond de 20 000 euros. La faillite de Landsbanki – quels montants doivent d’ailleurs s’appliquer, vu que cette faillite est intervenue après le 18 février 2009, date du changement des statuts de l’AGDL ? – va encore demander l’intervention de l’AGDL. Ce qui devrait pousser l’ancien système aux limites de ses capacités. Les membres de la Commission parlementaire des Finances et du Budget redoutaient déjà ouvertement, à l’automne 2008, un épuisement du système. De son côté, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) relevait dans une circulaire que les provisions AGDL constituées par le passé suffisaient pour couvrir les avances à payer dans le cadre des défaillances des banques islandaises. Mais après ?
C’est à ce niveau qu’un coup de pouce de l’État est attendu. Les statuts de l’AGDL limitent à cinq pour cent de leurs fonds propres l’intervention des membres du système de garantie en cas de défaillance de l’un d’eux. Cette disposition figurait déjà dans les anciens statuts de l’AGDL. Au-delà, l’État luxembourgeois reprendrait la main pour la tendre à la communauté financière à travers, par exemple, des avances de fonds, au moins pour les banques à caractère systémique. Une mesure de protection pour éviter un effet boule de neige. Il ne faut pas en effet qu’une défaillance d’un établissement entraîne dans le naufrage d’autres banques. Reste que le gouvernement n’a pas défini d’avance la liste des banques qui auront droit à une injection rapide de liquidités pour procéder à des indemnisations des clients de la place financière. « L’État est disposé à accorder des liquidités, ce qu’il a d’ailleurs déjà fait », a confirmé au Land Jean Guill, le directeur du Trésor et bientôt le directeur général de la CSSF.
Quoi qu’il en soit, le système, tel qu’il a été mis en place dans les années 1990, au lendemain de la déconfiture de la BCCI, n’a pas vocation à perdurer. L’intervention du 18 février était un ravalement de façade, un peu pour servir de cache-misère. Rüdiger Jung reconnaît lui-même que la solution trouvée lors de la dernière assemblée relève du provisoire, en attendant une réforme en profondeur du système luxembourgeois de garantie. Un groupe de travail fait de représentants du secteur financier et de hauts fonctionnaires du ministère des Finances planche depuis plusieurs mois sur un projet de réforme qui devrait être déposé avant la fin de la législature, c’est-à-dire avant juin 2009. C’est en tout cas ce qu’avance Jean Guill. C’est surtout le souhait du ministre CSV du Trésor, Luc Frieden, qui, s’il rempile pour cinq ans de plus aux commandes du ministère des Finances, devrait mettre son nom sur la réforme de la garantie des dépôts. Un chantier que le Luxembourg n’est pas le seul en Europe à devoir attaquer pour pouvoir se conformer aux prescriptions de la directive européenne qui entrera en vigueur en 2010. De nombreux observateurs estiment toutefois que le projet de loi réformant l’AGDL ne pourra pas être prêt pour juin prochain.
Les travaux de ce groupe de travail sont encore peu avancés. Jean Guill refuse de livrer des informations sur les avancées du chantier de la garantie des dépôts. Quelle forme prendra le futur système ? Entièrement sous la tutelle de l’État, privé ou mixte ? « On peut tout imaginer », plaisante-t-il.
Le système en tout cas devra être assorti de garde-fous, ce qui laisse donc supposer qu’il sera très largement contrôlé par l’État. Les réviseurs d’entreprises, qui ne contrôlent jusqu’à présent les obligations de l’AGDL, que dans le cadre de leur mandat général d’audit, devraient être amenés à prendre davantage de responsabilités que par le passé dans la surveillance de la garantie des dépôts, de manière à ne pas laisser se reproduire le phénomène « Kaupthing ». Il est difficile d’imaginer en tout cas que l’État luxembourgeois va libérer totalement les banques de leurs responsabilités. Plusieurs pistes de réflexions sont explorées, sans que des choix aient déjà été tranchés sur la forme que prendra l’intervention publique. Une approche libérale serait que l’État se contente d’une intervention indirecte dans le système de garantie en accordant des facilités de provisionnement et d’amortissement. Tout en renforçant le contrôle du système.
En attendant la réforme, le mécanisme doit pouvoir tenir le coup. Le moteur de vieille guimbarde reste le même. Seule la carrosserie a changé. Quant aux délais d’intervention de la garantie des dépôts, ils restent calqués sur l’ancien régime. Les clients devront attendre trois mois avant de pouvoir recouvrer leurs dépôts, alors que la directive prévoit un délai de vingt jours. Une période de six mois supplémentaires pourra même être accordée à titre exceptionnel. Cette lenteur n’est pas une spécificité luxembourgeoise. Il s’agirait même d’une règle en Europe.