La petite maison des horreurs qu’est Kaupthing Bank Luxembourg (d’Land 21/11/08) dévoile peu à peu ses secrets et le spectacle qu’elle donne laisse dubitateur sur les motivations qui ont poussé la société d’investissement libyenne Libyan African Investment Portfolio (LAIP) à se porter à la reprise de cette banque qui a été placée en sursis de paiement le 9 octobre 2008. Ses administrateurs ont six mois pour lui trouver un sauveur, au risque sinon de mettre 400 personnes au chômage, qui ajouteront aux victimes sociales de la faillite de Landsbanki, une autre banque aux capitaux islandais au secours de laquelle personne n’est venu.
Le délai de grâce de Kaupthing prend fin le 9 avril prochain. Son sauveur libyen, qui a signé fin décembre un accord avec le gouvernement luxembourgeois pour la reprise des seuls actifs « luxembourgeois », a mis toutefois un certain nombre de conditions avant de reprendre le bébé. Encore faut-il que les administrateurs provisoires de la banque les fassent valider par le tribunal de Commerce. Ils avaient essuyé un premier échec devant le tribunal de première instance. Leur seconde tentative devant la Cour d’appel fut la bonne. L’arrêt que la juridiction a prononcé le 28 janvier, dont l’existence fut révélée cette semaine dans le Mémorial C, montre des magistrats de seconde instance moins chicanier sur l’interprétation du droit que leurs confrères de première instance. Pour autant, le fait qu’une Cour fasse, comme elle l’a fait le mois dernier, une entorse au sacro-saint principe de l’égalité des créanciers d’une banque, a de quoi interpeller et relève sans doute de l’approche parfois pragmatique que la justice peut avoir du droit des affaires.
« C’est un arrêt fondamental parce qu’il reconnaît la particularité du sursis bancaire par rapport au sursis de droit commun », se félicite l’avocat Franz Fayot, qui fut nommé, avec le cabinet PWC, administrateur provisoire de Kaupthing. Le juriste, avec le soutien de la CSSF, a dû quand même batailler ferme pour obtenir gain de cause, demandant aux juges un peu d’imagination pour qu’ils tiennent compte davantage des règles de la gestion contrôlée et sortent du carcan du sursis de paiement, mieux applicable aux épiciers de quartiers qu’au secteur financier.
Le fonds LAIP a conditionné la reprise de Kaupthing Luxembourg à la recherche de petits arrangements avec les créanciers de la banque, notamment ses créanciers interbancaires, qui seront moins bien traités que les autres créanciers et devront accepter de l’être. Le plan de redressement des Libyens laisse planer un certain doute sur le recouvrement intégral des fonds qu’ils ont prêtés à la banque islandaise. Franz Fayot ne souhaite pas s’exprimer sur le montant du dividende que le pool de 31 banques peut espérer récupérer. Le recouvrement dépendra en grande partie du redémarrage des affaires de la Kaupthing à Luxembourg. Ce qui est certain, c’est le montant que les banques ont avancé à Kaupthing avant qu’elle ne vascille : 580 millions d’euros environ. Le plan de redressement, indique l’arrêt de la Cour d’appel, prévoit une restructuration de ces créances. Le repreneur réclame ainsi une ralonge de la durée de la ligne de crédit octroyée ainsi que la transformation de leur créance « en un instrument hybride de capital ». LAIP exige encore que le remboursement des créances bancaires soit réalisé sur les actifs existants avant le sursis de paiement, sans prendre en compte les actifs que le fonds va apporter. Enfin, le plan de redressement contient une clause de retour à meilleure fortune, qui permet à terme le remboursement intégral des créances bancaires.
Pour les autres créanciers, l’accord entre le gouvernement et LAIP s’engage au remboursement intégral des déposants des succursales belges et suisses. Le montant porte sur 600 millions d’euros. La main secourable viendra des gouvernements belge et luxembourgeois, ainsi que de l’Association de garanties de dépôts (AGDL). Les trois bons samaritains deviendront à leur tour des créanciers de Kaupthing. Les clients qui avaient leurs avoirs auprès du siège luxembourgeois seront directement indemnisés par le fonds libyen, à hauteur de 265 millions d’euros.
Le troisième bailleur de fonds est la Banque centrale du Luxembourg, qui avait octroyé un prêt de 800 millions d’euros à Kaupthing Luxembourg et qui se dit prête à en prolonger les délais. Il y a enfin, mais la somme est marginale en comparaison au gouffre laissé par la banque, un montant de trois millions d’euros à payer aux fournisseurs. LAIP a promis de les prendre à sa charge.
Les premiers juges, partant de l’hypothèse que la législation sur le sursis de paiement ne prévoit pas de remises de dettes, ont refusé de valider ce mécanisme aux créanciers interbancaires au motif que cet aménagement contrevenait à l’égalité des créanciers. Dans le cadre de la procédure d’appel, les administrateurs provisoires de Kaupthing avaient qualifié de « trop restrictive » cette conception du sursis bancaire par rapport au sursis de droit commun réglementé par le code de commerce et critiqué « une interprétation trop stricte du principe de l’égalité des créanciers ». C’est à bon droit, ont dit en substance les juges d’appel que « le sursis bancaire ne peut être assimilé au sursis de droit commun ». Le code de commerce permet d’accorder le sursis de paiement à un commerçant uniquement si son entreprise dispose des biens et des moyens suffisants pour satisfaire tous les créanciers en principal et intérêts. Mais, ont tranché les magistrats, la loi de 1982 qui a introduit le sursis de paiement pour les établissements financiers diffère fondamentalement du droit commun. La Cour d’appel a par ailleurs signalé que le « principe d’égalité des créanciers n’est pas une règle absolue à laquelle il ne serait pas permis de déroger dans l’intérêt de tous ».
Le plan de redressement du fonds libyen doit maintenant obtenir l’aval de plus de la moitié des créanciers bancaires représentant plus de la moitié du passif. Cet accord devrait être obtenu début mars avant de passer une nouvelle fois par la case du tribunal de Commerce. Les administrateurs ne seront pas encore au bout de leur peine. Un accord préalable avec la maison mère islandaise, qui doit de l’argent à sa filiale luxembourgeoise, devra encore être trouvé. Les négociations sont en cours, indique Franz Fayot. Il se refuse à chiffrer le montant de ces créances, mais consent que « le montant est suffisant pour permettre à la banque de se redresser ».