Le festival de l’automobile devrait apporter un démenti aux affirmations selon lesquelles les banques de la place, empêtrées dans la crise, octroient désormais les crédits à la consommation au compte-goutte à des ménages de toute façon tétanisés par les incertitudes qui pèsent sur leur pouvoir d’achat et donc plus prompts à mettre l’argent sous le matelas qu’à faire les cigales dans les magasins. Les statistiques montrent en effet que les Luxembourgeois continuent à consommer comme si de rien n’était. Tout se passe comme si la crise financière passait au-dessus de leur tête. Eurostat a relevé cette semaine que les ventes du commerce de détail avaient progressé de quatre pour cent en décembre 2008 au Luxembourg, par rapport à décembre 2007, après une chute temporaire de la consommation de 6,1 pour cent en octobre. Un mois plus tard en novembre, les statistiques des ventes renouaient avec le vert avec une hausse de 3,8 pour cent.
Cette grande messe de dix jours dédiée aux quatre roues devrait également faire tomber un autre préjugé, qui attribue volontiers aux établissements de crédits des pratiques usurières, avec des taux d’intérêt sans comparaison avec les standards des pays voisins. Rien ne serait plus faux.
Sans que l’on en connaisse encore le bilan – satisfaisant selon une première estimation des professionnels –, la quinzaine de l’automobile servira aussi cette année d’alibi aux banquiers, que l’on ne pourra plus accuser de ne pas jouer le jeu, alors que certaines maisons n’ont pu survivre jusqu’à présent à la crise que grâce à la manne de l’État. Personne ne pourra non plus leur reprocher de traîner les pieds pour encourager les ménages à consommer plutôt qu’à épargner. Les taux d’intérêt offerts depuis la fin du mois de janvier ont fondu de moitiédepuis le dernier festival, alors que l’on craignait encore au début janvier que les établissements tardent à répercuter la baisse des taux directeurs de la Banques centrale européenne. Les banquiers se disent prêts à ouvrir leurs livres pour prouver qu’ils ne refusent pas de dossiers de crédits, personnels du moins. Pour les prêts hypothécaires, c’est une autre affaire. Pas question de faire dans les subprimes, avait prévenu en janvier Jean-Jacques Rommes, le directeur de l’ABBL.
Faut-il voir dans cet exercice vertueux auxquels les banques luxembourgeoises se sont prêtées, l’intervention du gouvernement luxembourgeois qui a désormais les pieds dans les trois principales banques de la Place ? Outre la BCEE, l’État est désormais présent dans le capital de BGL et il a un ticket d’entrée dans Dexia Bil, même si la convention entre la banque et le gouvernement n’a toujours pas été signée (lire aussi page 11). Une fois le mouvement enclenché, il était difficile pour les autres établissements de crédit de ne pas suivre le mouvement à la baisse et d’aligner leurs taux sous les quatre pour cent, au risque sinon de perdre une clientèle du crédit à la consommation. Clientèle, qui est de toute façon extrêmement volatile en termes de fidélité. Ce n’est pas sur le festival de l’automobile, ni sur celui du meuble que les banques vont partir à la reconquête de leurs clients.
Ce n’est pas non plus un hasard si la Spuerkeess a ouvert le bal des taux « à conditions spéciales salon de l’auto », démarrant à 3,77 pour cent. La BGL a renchérit en proposant un taux à 3,75 pour cent, qui cacherait toutefois un certain nombre de conditions, tout comme celles de la BCEE d’ailleurs. La Banque Raiffeisen pouvait difficilement faire de la résistance et offre jusqu’au mois de mars, outre la possibilité de gagner un iPhone, des taux qui s’échelonnent entre 3,74 et 4,43 pour cent, selon la durée du prêt à la consommation, alors que ces taux précédents pointaient encore à 6,74 pour cent. De son côté, Fortuna annonce sur une publicité, mais sans plus de détail, un taux à 3,65 pour cent, « sans frais de dossier ».
Rien ne permet de dire que les conditions du festival de l’automobile ne vont pas être prorogées au-delà de l’événement, d’autant qu’un nouveau geste à la baisse est attendu au mois de mars de la part de la Banque centrale européenne. « Il est trop tôt pour donner une réponse, mais je n’exclus pas que les conditions soient prorogées pour un temps limité », indique Romain Funk, responsable du marketing et de la communication à la Banque Raiffeisen. Tout dépendra sans doute de ce que feront les banques étatiques et para-étatiques et probablement aussi des consignes du gouvernement, qui à sa manière et modestement contribue au sauvetage de l’industrie automobile européenne.
Il n’y aurait pas, selon Frank Wagener, le président du Comité de direction de Dexia Bil, de différences fondamentales entre les offres des établissements luxembourgeois. Ça se jouerait donc dans un mouchoir de poche et les différences relèveraient d’une question d’emballage marketing du produit, selon que l’on y trouve ou non une assurance ou d’autres options. Les banques n’ont par ailleurs pas encore franchi le cap de la publicité comparative sur leurs taux respectifs, comme cela a pu être le cas dans le secteur des télécommunications il y a deux ans et comme ça l’est actuellement entre deux grands assureurs, pas loin de la foire d’empoigne, qui prétendent chacun, par publicité interposée, avoir donné le meilleur rendement pour leurs produits d’épargne en 2008.
L’ouverture des guichets de banques les samedis et les dimanches pendant le festival de l’automobile a été suivie cette année par trois banques à réseau : BCEE, BGL et désormais Banque Raiffeisen. Les agences de Dexia Bil resteront fermées, son patron Frank Wagener doutant de l’efficacité commerciale d’une ouverture dominicale, qui a des coûts alors que l’heure est aux économies. D’autres considérations ont poussé Dexia Bil à ne pas suivre l’exemple de ses concurrentes : « Dans le cadre du festival de l’Automobile 2009, explique le patron de la banque, Dexia Bil incite le client à venir demander son prêt et obtenir son accord avant d’aller chez le concessionnaire ».
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas de cette manière que la banque pourra reconquérir sa clientèle perdue. Il y a d’autres plans encore dans les tiroirs pour ce faire, notamment en direction de la clientèle non-résidente. Celle que l’on n’attrapera pas avec des crédits personnels à moins de quatre pour cent par an.
Les banques luxembourgeoises se refinancent à des conditions presque identiques sur le marché de l’argent, où le taux à trois mois pointait en début de semaine à 2,125 pour cent. « Les marges des banques sont extrêmement faibles », reconnaît Romain Funk. Mais ces marges serrées l’étaient déjà il y a un an. Difficile d’ailleurs en matière de taux d’intérêt des crédits à la consommation de faire mieux qu’au Luxembourg, où les taux pratiqués par les banques semblent un peu participer à un plan de relance de l’économie, alors qu’il n’en existe formellement aucun. En Allemagne par exemple, les prêts personnels frisent les huit, neuf et même dix pour cent d’intérêt annuel. Pas étonnant alors que le taux de croissance des prêts hypothécaires et à la consommation affiche des scores exceptionnels auprès des non-résidents, qui font de plus en plus financer leurs projets par des banques luxembourgeoises. La Banque centrale du Luxembourg (BCL) avait déjà constaté ce phénomène en 2007.
La BCL n’avait pas encore noté, dans l’une de ses dernières publications consacrées à l’impact des turbulences financières sur le crédit (une actualisation des chiffres devrait être bientôt disponible), un infléchissement sensible de la demande et de l’octroi de prêts aux ménages, tant hypothécaires que personnels. Ses données s’arrêtaient toutefois au début de l’automne. L’effondrement de la demande, principalement de crédits hypothécaires, est intervenu au mois de novembre. Sous l’aiguillon du secteur de la construction, grand pourvoyeur de main d’œuvre, le gouvernement a convoqué les banquiers pour les enjoindre de se montrer généreux avec les chefs d’entreprises. La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a été chargée dans la foulée de dresser un état des lieux pour déterminer les origines de l’assèchement brutal des crédits aux PME. Vient-il des banquiers, peu enclins à prendre des risques, ou des chefs d’entreprises eux-mêmes, réticents à se lancer dans des investissements qu’ils ne sont pas certains de pouvoir rembourser ?
Les banquiers affirment être droits dans leurs bottes. « Les banques se sont engagées à répercuter la baisse des taux des banques centrales », assurait début janvier Jean-Jacques Rommes, en paraphrasant Jean-Claude Trichet, le président de la BCE.Mais, précisait-il aussitôt, ce ne sont pas les banques centrales qui font les taux, pointant ainsi du doigt le mauvais suivi en Europe de l’impulsion donnée par la BCE et le fonctionnement tout aussi déficient du marché interbancaire.
Les experts prédisaient qu’il faudrait attendre entre six à neuf mois avant de voir les effets de la baisse des taux directeurs en Europe. Au Luxembourg, il a fallu moins de temps pour voir les banques donner les moyens aux consommateurs de se « défoncer ». Le test du festival de l’automobile devrait en outre contribuer à tresser des lauriers aux dirigeants politiques, à trois mois de l’échéance des législatives. Merci Luc, muchas gracias Jean-Claude.