La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) n’a pas laissé le temps aux dirigeants du fonds d’investissement Luxalpha, dont les actifs se sont envolés avec la révélation du scandale Madoff, de convoquer une assemblée générale extraordinaire comme la loi du 20 décembre 2002 concernant les organismes de placement collectif le prévoit lorsque le capital social d’un fonds est inférieur aux deux tiers du capital minimum. Les administrateurs avaient quarante jours pour le faire, à compter du 15 décembre. La procédure engagée cette semaine par la CSSF contre Luxalpha et sa banque dépositaire UBS Luxembourg, avec le retrait de l’agrément du fonds et la décision de lancer, devant le tribunal de commerce, une procédure de liquidation judiciaire pour les manquements à la législation financière, a pris pas mal d’investisseurs et leurs avocats de court. Ils saluent évidemment ce premier geste fort du régulateur, mais attendent davantage, notamment que la CSSF s’occupe avec la même pugnacité des cas Luxinvest et Herald Funds et qu’elle place devant leurs responsabilités les banques dépositaires, qui rechignent à rembourser les clients. Le placement en liquidation judiciaire, s’il était validé par le tribunal de commerce de Luxembourg, va faire des investisseurs de Luxalpha des créanciers, avec des droits différents, a fait savoir mercredi l’avocat Luc Schaack, qui a été mandaté par Deminor pour engager plusieurs procédures en référé contre Luxalpha, mais aussi Luxinvest et Herald Funds. But de l’opération : demander et obtenir la nomination d’administrateurs ad hoc de ces fonds et par ce biais accéder à la documentation que les banques dépositaires se refusent encore à fournir, malgré les injonctions de certains clients. Mardi par exemple, l’avocat Luc Schaack s’est rendu avec un huissier de justice au siège d’UBS Luxembourg à laquelle il avait écrit un jour plus tôt en lui enjoignant d’ouvrir ses dossiers. L’avocat est reparti avec certains documents, notamment les copies des contrats entre le fonds d’investissement et la banque, qui montrerait, selon les assertions de Deminor, certaines défaillances dans le contrôle du régulateur luxembourgeois ainsi que dans l’audit.
Deminor envisage d’ailleurs de saisir la justice en mars prochain pour faire la lumière sur les responsabilités de chacun, y compris celles de la CSSF et du réviseur Ernst [&] Young. Cette ouverture d’UBS n’est pas suffisante aux yeux de l’avocat de Deminor. Les investisseurs exigent davantage et notamment les copies des contrats liant les sociétés de Madoff aux fonds et à leurs banques dépositaires. Il faut prouver les fautes, les irrégularités et les manquements, en vue sans doute d’une sortie d’artillerie lourde devant la justice pénale. Ce sera la seconde étape. Il s’agit aussi de démontrer que les dépositaires et les gérants sur le papier n’étaient que des boîtes aux lettres, ce que la législation Luxembourg OPC de décembre 2002 interdit, et que le véritable instigateur s’appelait Madoff, gérant de fait des Sicavs qui, avec leur passeports européens, se sont retrouvées dans de nombreux portefeuilles d’investisseurs lambda. Ceux-ci ne demandaient pas autre chose qu’une gestionde bon père de famille, ignorant pour la plupart que leurs économies étaient gérées par l’ancienne star de Wall Street.
Clonage exotique
Après Luxalpha, voici Groupement financier, sa version exotique, qui est placé sous les feux de la rampe. Jeudi 6 février, l’avocate Karine Vilret-Huot a plaidé en référé contre ce fonds d’investissement pour le compte d’un de ses clients qui y avait investi ses économies. Le recours est principalement dirigé contre la Banque de Luxembourg, en sa qualité de « teneur de compte » de ce fonds hébergé dans les îles vierges britanniques. L’avocate demande à la banque de produire les documents contractuels des souscriptions et de possession des titres porteurs, selon des informations parues dans le quotidien La Tribune. Groupement financier est l’un des « fonds Madoff ». Ce véhicule ressemble à s’y méprendre à deux autres fonds d’investissement qui ont également été investis dans Madoff : même banque dépositaire, en l’occurrence UBS Luxembourg, même avocat conseil, Me Pierre Delandmeter et même gestionnaire, Access Partners. Ce qui fait la différence avec les autres fonds qui sont établis au Luxembourg, c’est d’abord l’origine exotique de Groupement financier, qui, sur le prospectus du moins, plaçait la barre assez haut pour y accéder. Le ticket d’entrée selon le prospectus que le Land s’est procuré, était en effet à un million de dollars par investisseur. Dans la réalité, les promoteurs n’ont pas fait la fine bouche aux souscriptions en dessous de ce seuil. Les actifs de Groupement financier à la fin du mois de septembre 2008 atteignaient 525 millions de dollars. Ce fonds se trouvait, entre autres, dans le portefeuille de la Sicav Elite Stability Funds, liquidée par ses promoteurs peu avant que n’éclate le scandale Madoff. Banque Degroof Luxembourg en était le dépositaire, Access le gestionnaire et Pierre Delandmeter l’avocat.