Aujourd’hui, la très grande majorité des êtres humains possèdent un smartphone. Selon l’institut Statista, il y aura en 2023 près de sept milliards d’appareils sur la planète, soit près de deux fois plus qu’en 2016. Un chiffre à mettre en rapport avec la population mondiale de plus de quinze ans, évaluée à six milliards de personnes. Les utilisateurs, pense-t-on, sont ravis de voir la technologie leur apporter toujours plus de facilités et de fonctionnalités. La plupart connaissent les sigles 3G, 4G et désormais 5G mais sans doute bien peu sont capables de dire ce qu’ils signifient et surtout de décrire ce qui se cache derrière les avantages qu’ils apprécient dans leur quotidien. Ainsi, si l’arrivée récente de la 5G est un saut technologique majeur, très prometteur en termes d’usages, elle s’accompagne de nombreuses inconnues sur le plan de la sécurité, de la santé et de l’environnement.
La 5G est la cinquième génération de réseaux mobiles. Elle succède aux technologies 2G, 3G et 4G. Les premières technologies ne permettaient que les appels vocaux puis l’envoi de SMS. Les générations suivantes ont permis, tout en améliorant les services existants, de développer de nouveaux usages : se connecter à internet, accéder à des applications, ou encore passer des appels en vidéo. La 5G est par nature une technologie évolutive. Elle va s’enrichir progressivement, notamment au gré de l’évolution des standards au niveau mondial. Elle offrira à terme des débits jusqu’à dix fois plus rapides que la 4G. Ainsi un film en haute définition de 30 gigaoctets se téléchargera en seulement vingt minutes contre 1h40 avec le réseau 4G. Le téléchargement de 200 photos s’effectuera en 4 secondes contre 1 minute 20 en 4G. La 5G permettra aussi aux utilisateurs de profiter d’une navigation beaucoup plus confortable et réactive grâce à des temps de réponse (appelés temps de latence) largement inférieurs.
Selon plusieurs études, notamment le Ericsson Mobility Report de novembre 2022, la dernière technologie mobile, dont le déploiement commercial a commencé en avril 2019 en Corée, a franchi le cap du milliard d’utilisateurs en 2022 soit en à peine trois ans. C’est une adoption plus rapide que la 4G, qui avait mis cinq ans à atteindre cette barre. Néanmoins la 4G reste prééminente aujourd’hui avec cinq milliards d’abonnés et n’aurait pas encore atteint son apogée. Les anciennes 2G et 3G ont toujours plus de deux milliards d’abonnés. Les prévisions pour la 5G sont de cinq milliards d’abonnés en 2028, moment où elle couvrira 85 pour cent de la population mondiale. Elle sera alors la technologie dominante en termes de souscriptions avec une « part de marché » de 54,3 pour cent contre douze pour cent aujourd’hui. Mais la 4G aura encore 3,5 milliards d’adeptes et les 2G et 3G quelque 700 millions.
Selon Ericsson, la situation demeure contrastée au niveau mondial. L’Amérique du Nord et l’Asie du Nord Est, qui comprend la Chine, ont une longueur d’avance sur le reste du monde, avec dans chaque cas environ 35 pour cent des abonnés de téléphonie mobile passés à la 5G à la fin de l’année 2022. Une étude de 2021 montrait que les opérateurs de télécoms chinois, sud-coréens, japonais et américains contrôlaient alors plus de 93 pour cent du marché mondial de la 5G. En Europe de l’Ouest, la proportion d’abonnés ne serait que de onze pour cent. Pourtant la Commission européenne a lancé dès 2016 un plan d’action stratégique 5G pour soutenir le déploiement et l’adoption des réseaux 5G. En fait, la situation est à nouveau très variable selon les pays.
Le Luxembourg fait partie des « pays avancés ». Le cadre général du déploiement du réseau 5G, qui a fait l’objet d’une large consultation des parties prenantes, est défini dans un document de vingt pages publié en novembre 2018 intitulé « Stratégie 5G pour le Luxembourg » avec comme sous-titre « Feuille de route pour la cinquième génération de communication mobile au Luxembourg ». Sur le site Digital Luxembourg on peut lire que « the Government believes that 5G networks are essential to the next wave of productivity and innovation throughout the various sectors of Luxembourg’s economy. 5G will come to represent a crucial part of our national infrastructure ». Selon l’Institut Luxembourgeois de Régulation (ILR), la couverture du territoire grand-ducal et de la population est déjà excellente, quoique variable selon les zones géographiques et les opérateurs.
Il est difficile de chiffrer les investissements nécessaires. Le déploiement du nouveau réseau présente l’avantage de pouvoir en grande partie s’appuyer sur l’utilisation de sites 4G existants. Mais il aura aussi besoin de nouvelles infrastructures, appelées « antennes intelligentes » (elles dirigeront les signaux directement vers les appareils qui en ont besoin). De petite taille, elles peuvent être intégrées dans du mobilier urbain ou directement à l’intérieur des bâtiments. Leur installation permettra à la 5G de parvenir en Europe à une part de 88 pour cent d’abonnés en 2028, moins qu’en Amérique du nord (91 pour cent) mais davantage qu’en Asie du nord-est (74 pour cent) selon l’étude Ericsson.
À ce moment, les opérateurs (plusieurs par pays) pourront rentabiliser leurs investissements, mais ce n’est pas encore le cas car la « masse critique » d’utilisateurs n’est pas atteinte même dans les pays les plus avancés. Selon le cabinet britannique Omdia, spécialiste des télécoms, seuls quatorze pour cent des opérateurs 5G dans le monde ont atteint une proportion d’abonnés d’au-moins dix pour cent du total, taux à partir duquel un retour sur investissement est possible. Il faudra attendre 2026 pour que 100 des 147 réseaux opérationnels aujourd’hui atteignent ce seuil.
Le déploiement de la 5G est loin d’être « un long fleuve tranquille ». Bien que les nouvelles antennes soient plus respectueuses du paysage, et que, selon les opérateurs, leur consommation énergétique soit réduite, elles suscitent l’opposition des écologistes qui craignent leur prolifération dans un grand nombre d’endroits. De plus ils estiment qu’en augmentant les débits, on contribue à la propagation des objets connectés et donc à accroître l’empreinte carbone. Par ailleurs, la nouvelle technologie va provoquer l’obsolescence prématurée de plusieurs milliards de smartphones en circulation, avec la question du traitement des déchets toxiques et de la pression économique sur des consommateurs obligés d’acheter de nouveaux téléphones compatibles. La fabrication de ces derniers, ainsi que celle des antennes, vont entraîner une forte consommation de matières premières, d’eau et d’énergie et auront donc un impact négatif sur l’environnement. L’arrivée de la 5G soulève aussi des questions sur la cybersécurité ou le stockage et la protection des données privées.
Il faut reconnaître que ces préoccupations ne pèsent pas lourd face aux apports de la nouvelle technologie. Comme preuve, on assiste à une forte progression des ventes mondiales de smartphones 5G qui ont dépassé celles des modèles 4G au début 2022, malgré des prix du matériel et des forfaits en hausse (lire encadré). En revanche les craintes pour la santé persistent. Elles n’ont rien de nouveau et remontent aux débuts mêmes du déploiement des technologies mobiles (la 2G remonte à 1990). Dès mai 2011 l’OMS, a considéré les champs électromagnétiques de radiofréquences émis par les antennes des réseaux de télécommunications comme « peut-être cancérogènes pour l’homme ». Depuis, le monde médical et de la recherche a abondé dans son sens. Les scientifiques expliquent qu’être exposé à un champ qui, par nature, connaît une succession extrêmement rapide de coupures et de reprises, empêche les cellules et les organes d’un être vivant, humain ou animal, de s’adapter. Les conséquences seraient notamment des risques accrus de tumeurs du cerveau et de problèmes de rythme cardiaque.
Les opérateurs de télécoms font valoir que malgré ce développement déjà ancien des technologies mobiles, il ne semble pas exister de preuves irréfutables de leur impact négatif. Cela ne signifie pas que les risques n’existent pas, d’autant que la 5G va utiliser de nouvelles fréquences, comme la 6,5 gigahertz. En 2021, l’agence nationale de sécurité sanitaire en France a mené une étude d’impact au terme de laquelle il a été jugé « peu probable que le déploiement de la 5G entraine de nouveaux risques pour la santé, comparé aux générations de téléphonie précédentes » dont les fréquences étaient comprises entre 0,7 et 2,1 GHz. Mais d’ici à peine deux ans, d’autres fréquences comme la 26 GHz seront utilisées et on ne sait toujours rien de leurs effets possibles. Elles pourraient augmenter considérablement le risque d’exposition aux champs électromagnétiques de radiofréquence (par rapport aux fréquences des réseaux existants). L’agence française demande que « le moment venu » (sans indiquer de date précise) des recherches soient menées pour évaluer les incidences sur « le développement de cancers, l’altération du fonctionnement cérébral ou de la fertilité ».
En Suisse, l’installation de 10 000 antennes 5G a fait craindre une augmentation de l’exposition aux rayonnements par radiofréquences. En 2019, une pétition demandant un moratoire a recueilli plus de 56 000 signatures dans le canton de Vaud, qui a suspendu le déploiement de ses antennes 5G. Un peu partout dans le monde, mais surtout en Europe, les manifestations anti-5G se sont multipliées depuis 2020, malgré la crise du Covid-19 (ou à cause d’elle en raison de l’intérêt suscité par les questions sanitaires), ce qui n’avait pas été le cas lors du déploiement des technologies précédentes.
Le Luxembourg va plus loin que la simple mise en place d’infrastructures. Le gouvernement cherche à encourager « le développement de solutions basées sur la 5G qui comptent pour la société » selon Anne Miller, du Service des médias, de la connectivité et de la politique numérique (SMC), qui fait partie du ministère d’État. En 2019 et 2021, ce département a lancé deux appels à projets, dans le cadre de l’initiative « 5G Pilot Projects » qu’il cofinance avec Digital Luxembourg. Onze projets utilisant la nouvelle technologie pour améliorer le quotidien ont été sélectionnés, couvrant la santé, la gestion des ressources naturelles, les transports, la communication scientifique et la recherche. Ils ont été présentés lors d’une manifestation organisée le 7 décembre dernier au Forum Geesseknäppchen à Luxembourg, devant 130 participants dont le Premier Ministre Xavier Bettel. Parmi les lauréats, les projets LiLa 5G (Centre Hospitalier Emile-Mayrisch à Esch) et IoT Healthcare Platform (Hôpitaux Robert-Schuman) cherchent à améliorer l’accès aux données par les professionnels de la santé, conduisant à une meilleure continuité des soins entre les prestataires et les sites. De son côté Smart Water Eislek (Distribution d’Eau des Ardennes) vise à fournir des prévisions optimisant la gestion de l’eau potable à partir des données en temps réel issues des compteurs intelligents.
Comme les huit autres, ils ont reçu un financement et un soutien pour aider à développer davantage les concepts. Anne Miller explique que « ces projets amènent vraiment la 5G à un niveau supérieur de tangibilité en montrant à quoi cette technologie peut ressembler dans notre vie quotidienne ». Pour tirer parti du succès de cette initiative unique, Digital Luxembourg et le Département des médias et de la connectivité et de la politique numérique ont annoncé travailler sur « des moyens socialement responsables d’exploiter le potentiel positif de la 5G ».
Dérive des prix
Selon le rapport Ericsson, à l’échelle mondiale, les types de forfaits de services proposés par les opérateurs de 5G restent similaires à ceux offerts pour la 4G. Mais il existe « des différences subtiles » dans la façon dont les offres sont présentées, avec par exemple des « packs de connectivité » basés sur les services proposés par 58 pour cent des fournisseurs de services interrogés tandis qu’un quart mettent en avant les performances (vitesse des données). La mauvaise nouvelle se situe du côté des prix : 25 pour des cent des opérateurs dans le monde facturent un prix supérieur aux offres 4G, avec un supplément moyen d’environ 40 pour cent ! Cette dérive des prix (hors incidence de l’inflation actuelle) serait particulièrement sensible en Europe de l’ouest. Le Luxembourg n’est pas cité nommément mais des études antérieures ont montré que les prix y étaient déjà plus élevés, en moyenne, que dans les pays voisins. Peu de chances que les choses s’arrangent avec l’arrivée de la 5G.