Le digital disrupte aussi le marché des assurances. De nouveaux acteurs s’insèrent entre les opérateurs traditionnels. La scène est en ébullition

Le dynamisme de l’insurtech

d'Lëtzebuerger Land du 16.04.2021

Connaissez-vous l’assurance paramétrique ? C’est une forme d’assurance liée à un paramètre objectif, comme un indice climatique (température, pluviométrie, taux d’humidité) mais aussi une unité de temps (retard sur un vol par exemple). Contrairement à une assurance classique, qui couvre des pertes avérées, celle-ci est basée sur un montant forfaitaire défini préalablement. Dès le dépassement d’un certain seuil sur l’échelle indicielle ou temporelle, une indemnisation est déclenchée automatiquement. Il s’agit d’un des domaines de prédilection des insurtech, ces start-up exerçant dans le domaine de l’assurance. Elles interviennent dans tous les segments : dommages aux biens (habitation, automobile), santé ou assurance-vie, cherchant à faire bouger les modèles traditionnels en enrichissant les services offerts aux assurés tout en réduisant les coûts. Les levées de fonds au niveau mondial se dirigent de plus en plus vers les solutions d’assurances de biens : 65,7 pour cent des investissements en 2020 contre 51,6 pour cent en 2018, au détriment de l’assurance de personnes.

Les business models sont centrés sur l’offre, la distribution ou les services. Les insurtech imaginent des offres innovantes, fondées sur l’utilisation des technologies et la maîtrise du big data, qui répondent aux nouveaux besoins des consommateurs (digital, simplicité, flexibilité, etc.) ou de la société (climat, cyber-attaques, pandémie, etc.). C’est ici que se situe l’élaboration de produits paramétriques. Par analogie avec les néo-banques on pourrait parler de néo-assureurs, mais il faut pour cela obtenir un agrément des autorités de tutelle, ce qui est assez difficile d’un point de vue juridique et financier (niveau de capital minimum). En France la start-up Alan, une insurtech « santé BtoB » qui compte 140 000 adeptes, a obtenu ce statut. Mais les insurtechs agissent aussi en tant que courtiers. La start-up joue le rôle d’intermédiaire entre les clients et la compagnie d’assurances. En s’appuyant par exemple sur l’intelligence artificielle elle permet à l’assureur de gagner plus de clients en simplifiant et fluidifiant le processus de souscription (par exemple via un processus cent pour cent digital) tandis que la compagnie permet à la start-up d’obtenir un produit d’assurance fiable et sécurisé pour attirer des clients. L’amélioration des processus de distribution permet d’apaiser les relations souvent compliquées entre les assureurs et les assurés. Les comparateurs d’assurance en ligne entrent dans cette catégorie.

Enfin elles peuvent se positionner comme fournisseurs de services aux assureurs et aux courtiers pour améliorer leur gestion interne, intervenant ainsi dans l’aide à la vente (relation client, dématérialisation des contrats et des paiements), la gestion des sinistres et la détection de la fraude (digitalisation des processus, automatisation grâce à l’intelligence artificielle). Dans l’état actuel du marché, une insurtech donnée n’est présente que dans un seul domaine sur les trois. La fourniture de services est, en nombre d’entités, la partie la plus importante. En France, selon un rapport publié en mars 2021 par la société KleinBlue, la moitié des insurtech (49 pour cent) sont spécialisées sur ce segment d’activité, contre 42 pour cent dans la distribution et neuf pour cent seulement dans l’offre. Cela montre que ces jeunes pousses ne sont pas majoritairement dans une optique de confrontation avec les compagnies d’assurance traditionnelles. Comme pour leurs homologues de la finance (fintech), on est davantage dans une logique de « collaboration constructive » avec les acteurs en place, dont plusieurs sont d’ailleurs entrés au capital de ces petites sociétés.

Depuis dix ans, les insurtech ont engrangé plus de dix milliards de dollars de capitaux au niveau mondial. L’année 2020, bien que marquée par la pandémie, a confirmé cette tendance faste avec le montant record de 7,11 milliards dollars levés (plus douze pour cent en un an) au travers de 377 deals (contre 314 en 2019). C’est quatre fois plus qu’en 2016, année où PWC avait consacré un premier rapport à ces fintech de l’assurance (How InsurTech Is Reshaping Insurance, juin 2016). L’intérêt que leur portent des fonds d’investissement généralistes ou spécialisés (comme le français Astorya) contribue à ce dynamisme. L’Europe a en revanche connu une décroissance importante, avec seulement 615 millions d’euros contre 820 l’année précédente, soit une baisse d’un quart. Mais certains pays comme la France, deuxième marché européen, ont tiré leur épingle du jeu avec une levée totale de plus de 216 millions d’euros pour 32 opérations (28 en 2019), ce qui représente le quart du total collecté par les start-up de la finance et une hausse de 12,6 pour cent sur l’année. Ce pays, où le nombre d’insurtech a été multiplié par cinq en quatre ans, a désormais une part de marché de 35 pour cent en Europe, toujours loin derrière le Royaume-Uni avec 48 pour cent.

En termes de levées de fonds, l’Europe, malgré la rapide augmentation du nombre de ses insurtech et leur créativité, est à la traîne des États-Unis où les dépenses d’assurance santé des particuliers sont très élevées. Ce pays a collecté 37 pour cent des fonds en 2020, soit 2,63 milliards de dollars, ou encore 4,3 fois plus que l’Europe entière. Il abrite soixante pour cent des structures et les « méga-deals » (levées supérieures à cent millions de dollars par opération) y sont courants. L’étude de PWC avait révélé il y a déjà quelques années que 71 pour cent des consommateurs effectuaient des recherches en ligne avant d’acheter un produit d’assurance, que 68 pour cent des répondants appréciaient de télécharger et utiliser une application de leur assureur pour accéder à ses services et que la moitié des sondés déclaraient être prêts à fournir des informations personnelles et de style de vie pour profiter de meilleures offres en produits d’assurance. Des conclusions qui ouvraient un boulevard aux insurtech.

Leur développement actuel est soutenu par de nouvelles façons d’assurer, qui ont commencé à émerger. On peut en citer trois. Avec l’assurance à la demande, il est possible de ne payer une cotisation dommages que pour une certaine période de temps ou pour l’usage réel d’un bien (grâce aux objets connectés), ce qui permet au client d’économiser de l’argent tout en lui procurant une grande flexibilité. L’assurance collaborative répond au besoin de participation et de solidarité en rassemblant des personnes pour regrouper leurs risques et s’assurer mutuellement. De nombreuses opportunités existent (animaux, santé, auto, smartphones) en raison de l’inadaptation des offres classiques, l’utilisation de la technologie Blockchain permettant d’apporter plus de sécurité et de transparence aux transactions peer-to-peer. Enfin, l’assurance paramétrique déjà évoquée, promise à un grand avenir en raison de la diversité de ses applications possibles. Un bémol tout de même : la taille du marché mondial de l’insurtech était estimée à 2,72 milliards de dollars en 2020 et il devrait progresser de près de cinquante pour cent par an de 2021 à 2028, une croissance considérable tirée par le besoin croissant de numériser les services d’assurance. Dans cette hypothèse, le marché mondial de l’insurtech représenterait 65,3 milliards en 2028. Or, en 2019 (dernière année « normale ») les encaissements de cotisations d’assurance sur le seul marché français s’élevaient à 228 milliards d’euros (dont 59 en assurances-dommages). C’était 40,6 milliards au Luxembourg (dont 12,4 en non-vie) et 29,2 milliards en Belgique (dont 12,9 en non-vie). Il reste donc du chemin à parcourir pour que l’insurtech fasse son nid dans le monde de l’assurance.

Tendances 2020

En 2020 les assurances directes en habitation ont engrangé beaucoup d’argent, notamment la startup californienne Hippo qui a réalisé le plus gros tour de table de l’année en collectant en une seule fois 350 millions de dollars (500 millions au total sur l’année). Son homologue française Luko, créée en 2016 et qui propose également de l’assurance habitation direct-to-consumer (ou D2C) à quelque 100 000 clients, a fait le buzz en levant 48 millions d’euros en décembre pour se lancer à l’international. Les insurtech Vie & Santé reprennent du poil de la bête. Ainsi, elles ont représenté la moitié des levées de fonds d’un montant important (celles de cent millions de dollars et plus). Leur présence géographique devient plus large. Au second semestre 2020, elles ont levé 2,6 fois plus d’argent qu’au premier et pesaient 37,3 pour cent du total, dix points de plus qu’en début d’année. Et alors que la première vague d’introductions en bourse dans le secteur de l’insurtech s’est concentrée sur les acteurs de l’assurance-dommages (avec notamment Lemonade, Root, Duck Creek et Metromile aux États-Unis), les insurtech Vie & Santé se préparent à faire leurs débuts sur les marchés financiers. Enfin, une tendance à l’augmentation des fusions et acquisitions a été observée en 2020 avec seize opérations contre seulement cinq en 2019 et sept en 2018.

Georges Canto
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