Google a annoncé cette semaine qu’il refusera à partir de juin les publicités pour les cryptodevises, en précisant que cette exclusion portera notamment sur les ICO (Initial Coin Offering), les plateformes d’échanges de cryptodevises, les wallets (porte-monnaie électroniques pour cryptodevises) et les conseils en matière de négoce de cryptodevises. L’exclusion vaudra pour les plateformes publicitaires propres à Google comme pour celles qui lui sont affiliées. Une restriction similaire, portant sur le bitcoin et les ICO, avait été annoncée le 30 janvier dernier par Facebook, qui expliquait alors ne plus vouloir diffuser des publicités susceptibles de tromper les investisseurs et que la plupart des annonceurs de l’univers crypto n’agissaient pas « de bonne foi ». Google n’a pas motivé sa décision ; elle coïncide avec une limitation des publicités pour d’autres instruments financiers spéculatifs, qui seront à l’avenir réservées à des annonceurs sélectionnés.
Alors que les milieux financiers se passionnent pour le potentiel de la blockchain et célèbrent à tout va les perspectives de la « tokenisation » et de la désintermédiation promises par cette technologie, de telles décisions peuvent paraître aller à contre-courant. Il est probable qu’elles reflètent surtout le souci grandissant des autorités de surveillance des marchés boursiers et financiers, et notamment la SEC (Securities and exchange commission) américaine, qui voient d’un mauvais œil la croissance incontrôlée de ce qu’ils perçoivent comme une dangereuse bulle spéculative. Il y a fort à parier que ce que ces autorités ont en ligne de mire en premier lieu sont les ICO, un mode de levée de fonds innovant s’appuyant surtout sur Ethereum, la plateforme blockchain créée par Vitalik Buterin qui a innové en y intégrant les « smart contracts ». Ces scripts, enregistrés et exécutables sur la blockchain, permettent aussi de faire appel aux investisseurs pour qu’ils financent une future plateforme en leur promettant, en échange de leur mise, des tokens qui auront cours sur cette plateforme et pourront, si celle-ci rencontre son public, prendre de la valeur.
Les ICO ont réussi à attirer des montants considérables ces dernières années – quelque 5,6 milliards de dollars en 2017 –, en faisant notamment appel aux fortunes amassées par ceux qui avaient misé au bon moment sur les bitcoins, ether, litecoin et autres ripple. Opérant dans un contexte non réglementé, ces offres ont aussi, sans surprise, attiré les margoulins de tout poil. On a vu fleurir des escroqueries flagrantes dont les auteurs ont pu profiter sans risquer la moindre poursuite : avec un « white paper » mêlant discours emphatique et sabir techno, et une campagne marketing sophistiquée attisant le fameux « fomo » (fear of missing out), sentiment particulièrement présent chez les investisseurs crypto au vu des taux de croissance astronomiques de certaines cryptodevises ces dernières années, le tour est joué : des smart contracts d’ICO trouvent preneur, parfois en l’espace de quelques heures, même s’ils ne vendent que du vent.
Difficile de ne pas voir derrière la décision des deux géants du Net la patte de la SEC, qui a avancé prudemment sur le dossier des ICO mais a fini par préciser sa pensée ces derniers mois, à savoir que certaines de ces levées de fonds pourraient bien relever de la loi sur les titres. Son président, Jay Clayton, a indiqué en décembre dernier avoir « demandé au département « Enforcement » de la SEC de continuer de maintenir l’ordre vigoureusement dans ce domaine et de recommander des actions de mise en application contre ceux effectuant des ICO en violation de la législation fédérale sur les titres ». Facebook et Google, englués dans les retombées du scandale des campagnes fondées sur des informations bidon qui ont notoirement pesé sur les élections américaines de 2016, s’appliquent ces mois-ci à mieux contrôler leurs pratiques publicitaires et en ont profité pour se mettre au diapason de la SEC pour ce qui est de l’univers crypto.