Salon.com est un magazine d’information en ligne basé à San Francisco. Bien qu’il ne fasse pas partie des sites d’info américains les plus connus, il occupe une place particulière sur le web puisqu’il existe depuis 22 ans et a gagné au fil des ans ses galons d’étendard du journalisme progressiste natif du monde numérique – c’est lui qui a acquis en 1999 la légendaire communauté en ligne The WELL. Comme ses concurrents, Salon, qui n’a jamais gagné d’argent, souffre de l’érosion des ressources publicitaires, de la difficulté de convaincre les lecteurs de payer pour du contenu journalistique et, plus récemment, de la sophistication grandissante des bloqueurs de publicité, ces logiciels qui neutralisent la publicité en ligne et menacent de mettre en échec les stratégies commerciales des publications en ligne qui reposent sur celle-ci. Certaines d’entre elles mettent leurs lecteurs en demeure de débrancher leur bloqueur sous peine de ne plus avoir accès à leurs articles, mais il s’agit d’une stratégie risquée : d’abord à cause du risque de voir les visiteurs se reporter vers des sites moins draconiens, et ensuite parce que les bloqueurs apprennent à se rendre invisibles aux yeux des sites visités (quand ce ne sont pas les navigateurs eux-mêmes qui aident les internautes à éviter la pub).
Face à ces choix difficiles, Salon a choisi une voie inédite qui s’appuie sur la génération de cryptodevises, un procédé connu sous le terme de minération. Pour tenir à jour les blockchains qui sous-tendent les cryptodevises, notamment en complétant les blocs recensant les dernières transactions réalisées à l’aide de la cryptodevise, le système de la minération consiste à récompenser les ordinateurs qui contribuent à cette maintenance en leur octroyant un montant donné de cryptodevises une fois que les tâches imparties sont accomplies. Il s’agit d’une activité assez gourmande en puissance de calcul. Les internautes qui se rendent sur Salon.com se voient proposer soit de débrancher leur bloqueur de pub, comme le fait par exemple la Süddeutsche Zeitung, soit de supprimer les publicités en acceptant que leur ordinateur effectue des calculs cryptographiques pour Coinhive, c’est-à-dire plus précisément en participant à la minération de la cryptodevise Monero, le temps de leur visite sur le site.
Salon garantit que ces opérations de calcul seront strictement confinées au navigateur, qu’elles n’utiliseront pas les données personnelles stockées sur l’ordinateur et qu’elle ne feront appel qu’à une partie (« un petit pourcentage ») de ses ressources de puissance non utilisées. Rien n’est installé sur l’ordinateur et la minération n’intervient que pendant la durée de la visite, garantit Salon dans ses FAQ.
Le modèle d’affaires est celui de Coinhive, un projet créé en 2017 pour démultiplier la minération de la cryptodevise Monero sur des millions de PC, chaque participant recevant une part minuscule des faibles montants de Moneros générés de la sorte.
Le journaliste du magazine techno Ars Technica qui s’est penché sur cette innovation a voulu en avoir le cœur net et a mesuré la puissance de calcul requise. Il a constaté que celle-ci n’était pas négligeable, puisqu’elle a fait chauffer un petit peu son laptop ; mais pas au point de ne plus fonctionner normalement, et sans épuiser la totalité des ressources disponibles, a-t-il précisé.
Le modèle consistant à démultiplier la minération peut évidemment donner à des gens peu scrupuleux l’idée de faire travailler des ordinateurs à l’insu de leurs propriétaires pour générer des cryptodevises à leur profit. Il y a régulièrement des alertes de sécurité concernant des cas de « cryptojacking » de ce type, comme il y a quelques jours dans le contexte de la messagerie Telegram. En mettant cartes sur table et en garantissant l’intégrité des données personnelles de ses lecteurs qui accepteraient de participer, Salon prend le contrepied de cette activité criminelle tout en s’engageant dans l’exploration de cette piste de financement originale et somme toute prometteuse.