Le débat sur les campagnes de publicité menées sur les réseaux sociaux par Donald Trump et Hillary Clinton lors de la campagne pour l’élection présidentielle américaine de 2016 a repris de plus belle. Est-il exact que le premier a payé beaucoup moins que la seconde pour ses pubs sur Facebook parce que celles-ci étaient en général beaucoup plus provocantes et donc davantage susceptibles de générer des clics ? En cause, l’algorithme utilisé par Facebook pour calculer le coût des publicités sur sa plateforme, dont on sait désormais à quel point il favorise le sensationnel au détriment du factuel. En raison de l’enjeu de cette discussion pour l’investigation en cours sur les liens entre Trump et le Kremlin et, au-delà, sur l’intégrité du processus électoral, des discussions passablement ésotériques sur cet algorithme ont soudain été propulsées sur le devant de la scène.
Dans un premier temps, le magazine Wired a affirmé que les pubs russes, payées par la sulfureuse Internet Research Agency (IRA) proche du Kremlin, dont on a supputé qu’elles ont joué un rôle déterminant pour faire basculer l’opinion, ont sans doute eu moins d’importance que la maestria dont la campagne Trump a fait preuve à l’égard de deux éléments critiques de l’infrastructure publicitaire de Facebook, à savoir son système d’enchère, son produit nommé « audiences sur mesure » (custom audiences) et son double, les « audiences similaires » (lookalike audiences). Ces deux produits « ont l’air horriblement ennuyeux jusqu’à ce qu’on réalise que le destin de l’experience démocratique que nous menons depuis 242 ans en a dépendu une fois, et en dépendra sans doute encore à l’avenir », a clamé de manière dramatique Antonio García Martínez, un ancien de Goldman Sachs et de Facebook, dans Wired.
La Maison Blanche s’est mêlée de la discussion, par la bouche de Brad Parscale, l’ancien responsable de la campagne digitale de Trump. Celui-ci a tweeté que son patron était « le candidat parfait pour Facebook » et que ceci avait bel et bien pu réduire le coût de ses pubs sur le réseau social. Des appels à la Commission électorale fédérale à enquêter sur cette situation ont suivi, et Hillary Clinton elle-même a suggéré de mieux réguler les réseaux sociaux : « Nous devrions tous nous préoccuper de comment les plateformes des réseaux sociaux jouent un rôle dans notre processus démocratique », a-t-elle lancé, soulignant l’urgence de régler ce problème alors que les mid-terms ont lieu dans huit mois.
Martínez fait remarquer que la méthode des pubs vendues aux enchères utilisée par Facebook a été inventée par Google. Mais elle a ceci de particulier sur Facebook que plutôt d’attribuer l’espace ainsi mis en vente au plus offrant, elle prend aussi en compte le caractère engageant de l’annonce proposée. Ce coefficient affecte directement la valeur du prix qu’un annonceur est prêt à payer pour placer une annonce. L’offre pour une pub dix fois plus susceptible de générer des clics sera multipliée par dix pour déterminer qui remporte telle enchère. Une ficelle que la campagne Trump aurait utilisée systématiquement et avec succès pour bombarder de pubs incendiaires et hautement diversifiées les audiences-clés dans les « swing states ».
Un représentant de Facebook a rétorqué que les « coûts par mille » (CPM) de la campagne Trump ont en réalité été plus élevés que ceux de Clinton, une défense du modèle de Facebook qui ne tient pas compte, toutefois, des variations induites par le coefficient « click-bait » qui est justement au centre des débats.
Que pour comprendre si une campagne électorale a été biaisée, il faille aujourd’hui se pencher de manière intensive sur les algorithmes de calcul du coût des campagnes sur Facebook, une discussion hautement technique dont les détails échappent au commun des mortels, révèle à tout le moins le poids extrême pris par ce réseau social dans la formation de l’opinion.