Twitter a finalement pris l’initiative de limiter l’influence des bots, ces comptes-robots utilisés à grande échelle à des fins politiques. Signe que le recours à cet artifice n’est pas réparti de manière équilibrée à travers le spectre politique, la réaction à la purge lancée par Twitter a déclenché une vague de protestations surtout dans les milieux conservateurs, dont certains leaders d’opinion se sont vus privés du jour au lendemain de milliers de followers. Aux États-Unis, le camp pro-Trump et en particulier la mouvance dite alt-right (que l’on ferait mieux, pour plus de clarté, d’appeler fasciste), a poussé les hauts cris, reprochant à Twitter de jouer les censeurs et de prendre parti pour la gauche. Le suprémaciste Richard Spencer, qui a indiqué avoir perdu plus de 1 000 followers, a lancé les hashtag de protestation #TwitterLockOut et #TwitterPurge. S’adressant au PDG de Twitter Jack Dorsey, Charles V. Payne, qui intervient régulièrement sur Fox News, a tweeté: « Salut @jack beaucoup de gens posent des questions à propos de #TwitterLockOut l’entreprise peut-elle s’il te plaît fournir les critères pour supprimer des followers pendant que les gens dorment. Je sais qu’il y a beaucoup de pression pour être plus responsible pour réprimer certaines actions mais cela ne devrait pas aller jusqu’à étouffer des opinions ». Dan Bongino, un ténor républicain, a quant à lui parlé explicitement d’une « attaque de Twitter contre les conservateurs ».
Mieux vaut tard que jamais, est-on tenté de dire face à cette decision du réseau de micro-blogging. Les nombres gonflés de bots Twitter sont une plaie depuis des années, faussant et empoisonnant les débats sur la plateforme, enfumant les discussions à coup de trolls, fake news et hashtags incendiaires. Twitter n’a pas dû aller chercher très loin pour motiver ce début de purge. Pour supprimer des milliers de comptes manifestement
illégitimes, la plateforme a simplement appliqué ses conditions d’utilisation. Ceux-ci n’interdisent pas les comptes-robots, mais prohibent la propagation délibérée de fausses informations. Si la plateforme a mis tant de temps pour enfin sévir de la sorte, c’est que, comme Facebook, elle profitait de ces armées de bots qui faisaient grimper son audience et ses revenus publicitaires. Sauf que l’activité de ces bots a fini par mettre en cause sa crédibilité.
Twitter s’est défendu de tout parti pris politique. « Les outils de Twitter sont apolitiques, et nous appliquons nos règles sans parti-pris politique », a insisté un porte-parole. En cas de doute sur la légitimité d’un compte, Twitter peut demander que l’utilisateur fournisse un numéro de téléphone pour vérifier que c’est bien un être humain qui se sert du compte et non une machine. Des leaders d’opinion des milieux conservateurs ont indiqué avoir découvert que leur compte était suspendu et avoir dû fournir un numéro de téléphone pour le réactiver.
Jusqu’à quinze pour cent des comptes de Twitter seraient administrés par des machines. Il fait peu de doutes que les bots sont davantage utilisés par la droite que la gauche. Un grand nombre de ces comptes bidon sont gérés par des « usines à trolls » liées au Kremlin. Selon une recherche menée à l’université de Southern California, les milieux conservateurs retweetent les trolls russes 31 fois plus que les libéraux, produisant 36 fois plus de tweets. Cette influence a été particulièrement visible durant les elections de 2016, mais s’est poursuivie depuis, enflammant régulièrement les débats, y compris dans le sillon de la tuerie qui a endeuillé la semaine dernière un lycée de Floride.
C’est bel et bien un test décisif : il est crucial que l’agora planétaire qu’est aujourd’hui Twitter parvienne à se débarrasser durablement de ses trollbots. C’est une question de crédibilité pour la plateforme elle-même, mais au vu de sa fonction désormais incontournable dans la formation de l’opinion, c’est aussi devenu un enjeu déterminant pour l’intégrité des débats citoyens.