Vous qui lisez cette rubrique aimez a priori lire. Sans doute aimez-vous aussi flâner des heures durant devant les étals garnis des librairies à la recherche d’une nouvelle pépite. Peut-être ne dédaignez-vous même pas les conseils avisés de votre libraire attitré. Peut-être lisez-vous – pour vous éclairer ou vous conforter –les critiques littéraires des journaux qui vous tombent sous la main. Peut-être regardez-vous les quelques émissions télévisées littéraires. Et peut-être, pour étancher encore plus votre soif de livre, vous rendez-vous aux lectures publiques ci et là.
Si vous lisez l’essai de Corina Ciocârlie Il n’y a pas de dîner gratuit, votre vie de lecteur va changer. Vous continuerez, espérons-le, à lire, mais vous ne pourrez plus regarder le visage de ces auteurs que vous lisez, ni sur papier glacé, ni via écran et encore moins dans la réalité, vous bannirez tout entretien qu’ils pourraient donner de peur qu’ils fassent des digressions sur leur vie privée ou qu’ils ne livrent un tant soit peu leur personnalité.
La colonne vertébrale de ce dernier essai de Corina Ciocârlie s’apparente à celle des deux précédents, Un miroir aux alouettes et Laissez-passer, qui voguaient déjà entre réalité et subjectivité, noms de pairs à l’appui. Qu’est-ce qui laisse donc à désirer ? D’une part la thématique, la rencontre en littérature, réservée aux initiés, écrivains, libraires, professionnels du livre, et d’autre part la façon dont elle est traitée, à mi-chemin entre Gala et Voici.
Les premiers concernés, les auteurs, se jetteront sans doute sur ce livre pour vérifier si leur nom y est cité. Si tel n’est pas le cas, peut-être entameront-ils une lecture apaisée et somme toute facile pour eux puisqu’elle ne fera que les replonger dans la partie lucrative de leur vie professionnelle, c’est-à-dire les résidences d’auteurs, les prix littéraires, les salons du livre, les lectures, les colloques,...
Les frustrés et les moqueurs ressentiront certainement une satisfaction malsaine à découvrir que les susnommés sont des individus aux idées et discours convenus, narcissiques, vils, intellectuellement malhonnêtes, en perpétuelle quête de gloire, avides d’espèces sonnantes et trébuchantes, amoraux, jaloux les uns des autres, pleins de turpitudes, de petitesses, de tics et de tocs et de beaucoup d’autres travers distillés sans parcimonie.
Et quid des férus lecteurs ? Eux sont les premiers dindons de la farce. N’est-ce pas malheureux pour une espèce en voie d’extinction dont la seule exigence par rapport à un livre est l’évasion ou l’enrichissement ou la distraction ?
Ce making of n’a même pas le goût de la vengeance. Certes, l’auteure se garde bien de s’intégrer dans cette foire aux révélations. Doit-on en déduire qu’elle se situe au-dessus du lot de ses consœurs et confrères ? De toute façon, son rôle d’amuseur public ne l’en fait pas sortir indemne. Bref, à quoi bon ?
Elise Schmit
Kategorien: Luxemburgensia
Ausgabe: 21.12.2012