En rachetant les Pâtisseries Schumacher, Jean-Marie Hoffmann fait son entrée dans la cour des grands, c’est-à-dire celle des Muller, Nickels et Oberweis

Hell’s Bakery SA

Jean-Marie Hoffmann, ce lundi à Wormeldange
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 16.03.2018

Sleepless in Wormeldange Depuis le début de l’année, Jean-Marie Hoffmann aura passé presque toutes ses nuits dans la fabrique à Wormeldange. Le boulanger-pâtissier âgé de 51 ans a installé un petit lit dans un placard à balais sans fenêtres qui jouxte son bureau. Avec pour seul décor un sèche-cheveux traînant par terre. Vers 19 heures, le patron commence sa tournée des ateliers, inspecte la listes des commandes, consulte le maître boulanger. À 20 heures, les ouvriers arrivent pour préparer la pâte. Vers minuit, les premières viennoiseries commencent à sortir des fours. Entre
8 et 11 heures du matin, Hoffmann réussit à attraper quelques heures de sommeil. Puis commence la partie administrative de sa journée : marketing, comptabilité et inspection des magasins.

En début d’année, le « petit » a officiellement avalé le « grand ». Personne n’avait vu venir Jean-Marie Hoffmann. Chez les Nickels (Namur), Muller (Fischer) et Oberweis, on craignait qu’un mastodonte de l’agroalimentaire – comme Paul ou Ladurée, appartenant au Groupe Holder – saute dans la brèche et renforce ainsi sa présence au pays. Le fait qu’un petit boulanger, qui gérait jusque-là deux magasins – l’un à Bonnevoie, l’autre à Itzig – et employait 35 personnes, rachète la Pâtisserie Schumacher SA les a pris par surprise. Car, Schumacher, c’est une fabrique, seize points de vente et 190 salariés. (Son propriétaire, Henri Schumacher, avait décidé de vendre, puisqu’aucun de ses enfants n’était intéressé à reprendre l’entreprise.)

La fabrique (bâtie en 2003) est située sur les hauteurs de Wormeldange, dans une zone industrielle entourée de vignobles. Les ateliers donnent un sentiment de trop-plein : les pièces sont exigues, les flux de travail décousus, la surface de stockage insuffisante. Les boîtes s’empilent dans les couloirs, les ouvriers courent dans tous les sens. Ce lundi matin, en entrant dans l’atelier des viennoiseries, Hoffmann lance un « Merci encore pour le boulot ! » Et se réjouit : « Les ventes ont été excellentes… » Au lendemain du Bretzelsonnden (dimanche des bretzel), les salariés, qui viennent d’enchaîner les heures supplémentaires, semblaient épuisés.

Le nouveau patron dit avoir essayé de passer le plus de temps possible avec les ouvriers lors des pauses café à la cantine pour faire connaissance. « C’était une sorte de Undercover Boss, à la différence que je n’étais pas incognito » explique-t-il en se référant à la série de téléréalité américaine où un manager s’infiltre comme stagiaire dans son entreprise pour sonder les soucis du terrain et des employés.

Le grand bond en avant Hoffmann explique que la reprise lui aura coûté 25 millions d’euros. Un montant qui inclut la fabrique de Wormeldange, les fonds de commerce des seize magasins (où Schumacher était locataire), ainsi que les rénovations des premiers points de vente. Si le boulanger a pu réunir le capital nécessaire, c’est grâce à la Mutualité des PME. La société coopérative des artisans garantit une partie du prêt qu’a contracté Hoffmann auprès de la BGL-BNP Paribas. Une fois le modèle d’affaires passé par le conseil de la mutualité, le boulanger de Bonnevoie avait un allié de taille à ses côtés. (En 2016, la mutualité cautionnait et garantissait ainsi des emprunts à hauteur de 204 millions d’euros.) Mais ce qui aura crédibilisé la reprise, c’est que la prochaine génération est déjà sur la ligne de départ. Les enfants de Jean-Marie Hoffmann travaillent tous les deux dans l’entreprise. Kelly (âgée de vingt ans) a fait son apprentissage chez Oberweis, tandis que Dustin (23 ans) s’occupe de la comptabilité et du marketing.

« Le 2 janvier, nous avons déménagé notre stock, le 3 janvier, nous avons attaqué la production », dit Michaël Weyland, le chef-boulanger de Hoffmann. Nous avons mis quelqu’un de chez nous à chaque poste, sinon cela n’aurait pas été gérable. Mais il nous manque des personnes dans tous les corps de métier... ». Hoffmann est impatient, il veut « le maximum le plus vite possible ». En un mois, il aura réussi à élargir la gamme de produits : « Henri Schumacher avait plutôt un sens industriel : peu de produits mais en grand nombre. Les chiffres démontrent qu’il n’avait pas tout à fait tort. Mais je suis toujours convaincu qu’il est possible de produire une grande gamme. » Hoffmann dit vouloir élargir l’équipe : « J’embaucherais directement, du jour au lendemain, cinquante personnes », mais encore faudra-t-il trouver les profils recherchés.

En février 2018, Hoffmann a officiellement renommé la Pâtisserie Schumacher en Hell’s Bakery SA. Ce nom, il dit l’avoir choisi en s’inspirant de l’émission de téléréalité Hell’s Kitchen, qui fait concourir deux équipes pour le poste de chef dans un restaurant. C’est surtout un hommage à son présentateur Gordon Ramsay, un chef cuisinier people connu pour son caractère irascible. « Il est un peu comme moi… Un vrai professionnel, mais explosif par moments », estime Hoffmann. Mais, explique-t-il, « nous n’allons pas marquer ‘Hell’s Bakery’ au-dessus de nos magasins ; sinon les gens penseront qu’il s’agit d’une chaîne gigantesque ».

« Beim Namur geléiert » Hoffmann est venu à la pâtisserie à 19 ans – c ’est-à-dire sur le tard –, après avoir passé un diplôme en section paramédicale. (Chirurgien aurait toujours été son « métier de rêve », dit-il.) Comme tant d’autres patrons (dont Pit Oberweis, le fondateur de la maison éponyme), il passera ses années d’apprentissage chez Namur ; « hien huet beim Namur geléiert », comme on dit. En 1991, Hoffmann ouvre une boulangerie dans le quartier de Bonnevoie. Cinq ans plus tard, ses bretzels et croissants lui vaudront une deuxième place à la coupe du monde de la boulangerie organisée à Paris. Depuis, ses sachets portent la mention « vice-champion du monde de la viennoiserie en 1996 » et ses produits sont réputés parmi les meilleurs de la Ville.

Le grand bond en avant, Jean-Marie Hoffmann voulait le faire il y a dix ans déjà. Il gérait une petite entreprise profitable. Sur les cinq dernières années, le bénéfice de ses deux boulangeries se situait ainsi autour de 70 000 euros. Mais un cas de force majeure aura retardé l’expansion. Le 9 novembre 2009, dans la nuit de dimanche à lundi, un feu se déclare au-dessus de sa boulangerie à Bonnevoie, détruisant le magasin. À peine 48 heures plus tard, l’activité reprendra quelques centaines de mètres plus loin, sous une grande tente chauffée. Suivra une année de galère, avant que la boutique ne soit remise en état.

Bling-bling Henri Schumacher avait fait repeindre ses magasins en rose bonbon. Couronné de quatre boucles, le « S » du logo rappelait une crotte de chien. Le rebranding de tous les points de vente sera onéreux. Rien que pour refaire le magasin avenue de la Porte-Neuve, Hoffmann aura déboursé un million d’euros. Le nouvel intérieur est orné d’une multitude de petits et de grands « H » ondulés, qu’on retrouve sur le papier-peint, les comptoirs et accroché au fond du salon de consommation. Jean-Marie Hoffmann y voit le « flagship » de son réseau : « Le noir brillant, c’est un peu la jet set new-yorkaise ; le doré, c’est Dubai ; les tables rondes, c’est Paris. » Pour le magasin à Mondorf-les-Bains, il est submergé par plusieurs vagues d’idées. Dans l’une des deux salles, il veut décliner le « thème thermal, avec des marbres blancs évoquant des bains turcs » ; dans l’autre, il veut recréer « un feeling de casino de jeu : de longs rideaux et un grand bar, comme dans un hôtel chic. »

Bernard Thomas
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