Place de l’Étoile

Willy vs. John

d'Lëtzebuerger Land vom 26.02.2016

Cela fait déjà un moment que les financiers qataris et le promoteur John Jones tentent de s’extirper du bourbier nommé Place de l’Étoile. Le dossier pourrait prochainement connaître des développements, entend-on, avec l’entrée d’un nouvel investisseur, dont le nom devrait être annoncé dans les mois qui suivent. Si l’investisseur se matérialisait, cela marquerait un énième chapitre dans la saga de la guerre de la Place de l’Étoile.

John Charles Jones est un homme d’affaires actif dans l’immobilier international. Le modus operandi de cet ingénieur de formation qui vit entre Londres, Barcelone et Paris (où il entretient des bureaux sur la très sélecte avenue George-V) est celui du chevalier blanc. Il entre en scène alors que tout va mal et offre son aide à des investisseurs assaillis par les dettes. L’octogénaire Willy Hein est un ex-flic reconverti en promoteur immobilier. En 1963, lorsqu’il se lance sur le marché, il a derrière lui une carrière dans l’armée, la gendarmerie et la police. Grâce à ses bons et variables contacts politiques, grâce aussi aux prêts de la BCEE et de la BGL, Hein construira des cités, érigera des résidences et creusera des parkings.

Puis, en 1989, Hein avale très gros : la Place de l’Étoile. Or, vingt ans durant, d’annonce en annonce et de procès en procès, le projet s’enlise. En février 2007, des investisseurs qataris, très friands d’objets immobiliers européens, entrent en scène. Les pétrodollars permettent à John Jones, administrateur délégué d’Andromeda Investissement, de racheter les terrains au promoteur Willy Hein, asphyxié par des dettes auprès de la BCEE. Mais la lune de miel entre les deux promoteurs sera de courte durée.

La collaboration avec Willy Hein, réputé et craint pour sa ténacité, n’est pas de tout repos. Les procès pleuvent et retardent les travaux. Sur les îlots, côté rue, le promoteur luxembourgeois a gardé des lopins de terre. Trois encoches qui, prises ensemble, mesurent une soixantaine de mètres carrés. Cette réserve stratégique donnera à Hein une minorité de blocage, qu’il tentera par moments de monnayer à des prix faramineux. Ne pouvant légitimer une utilité publique (le tram ne passant pas par les terrains de Hein), les autorités se refusent d’exproprier un homme d’affaires pour en favoriser un autre. La Ville de Luxembourg, qui ne veut se mêler à cette bataille des promoteurs, laisse faire.

John Jones pensait pouvoir débuter plus tôt. Or, en 2009, le conseil communal amende le PAP soumis par Hein et qui se basait sur un projet datant de 1992. Trop haut, sans fenêtres sur les murs extérieurs, le shopping mall situé des deux côtés de la route d’Arlon ressemblait à un sarcophage ; du moins, c’était l’appréciation des élus. Or, alors que couvait l’affaire Livange/Wickrange, que le Royal Hamilius était en planification et qu’Auchan 2 sur le Ban de Gasperich venait d’avoir le feu vert, l’appétit pour un autre centre commercial démesuré était limité.

Ce refus marquait une défaite décisive pour John Jones. Il doit retravailler son projet sur un côté de la route d’Arlon, où il se retrouve face aux encoches de Hein, lopins que l’Anglais avait omis d’acheter deux années auparavant. En 2012, les Qataris sortent du capital et reconvertissent leur investissement en prêt. C’est désormais John Jones qui est exposé, empêtré dans un projet paralysé, avec Willy Hein en franc-tireur et des intérêts qui tombent. Les hypothétiques nouveaux investisseurs, assez téméraires pour reprendre le projet, ne risqueront pas de s’ennuyer.

Bernard Thomas
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