« Consternation », « scandale », « sidération ». Ce mercredi, l’association Passerell ne mâchait pas les mots employés dans un communiqué. Sa directrice Marion Dubois fustige « la décision des autorités luxembourgeoises de ne plus accueillir les hommes seuls dans les structures d’hébergement pour demandeurs d’asile », comme vient de l’annoncer Jean Asselborn ministre sortant des Affaires étrangères, de l’Immigration et de l’Asile (LSAP). Le Luxembourg suit ainsi l’exemple de la Belgique et veut ainsi privilégier l’accueil des personnes vulnérables et des familles avec enfants face à l’engorgement des centres d’asile du pays. « Nous recevons de jeunes demandeurs d’asile qui n’ont nulle part où aller. Ce sont pour la plupart des Soudanais et des Érythréens. Quatre sont arrivés mardi. Nous ne savons pas où ces jeunes ont passé la nuit, la seule chose que nous avons pu faire est de leur fournir une tente », décrit Passerell. Vis-à-vis du Land, Marion Dubois réitère son indignation face à ces « violations flagrantes des droits humains et des engagements internationaux et européens du Luxembourg ». Elle dénonce le flou qui règne entre la déclaration du ministre et la réalité sur le terrain : « Asselborn annonce que ce sont seulement les hommes seuls ‘dublinés’ qui sont visés (qui ont déjà introduit une demande de protection internationale dans un autre État membre, ndlr), alors que nous avons reçu une personne ayant déposé sa demande au Luxembourg qui n’a pas eu d’hébergement. » La directrice doute surtout de l’efficacité de la mesure puisque les « dublinés » sont assignés à résidence au SHUK (Structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg) et ne prennent donc pas de place dans les foyers. « C’est surtout un message à destination des réfugiés et des passeurs pour leur dire de ne pas venir au Luxembourg. Ce genre de message est assez peu entendu, ils vont où ils peuvent », conclut-elle.
D’autres associations qui viennent en aide aux réfugiés dressent le même constat et s’inquiètent des conséquences de cette décision. Nadine Conrardy de la Croix-Rouge déplore « une situation qui poussera plus en plus de personnes à la rue ». Tandis que Marc Crochet de Caritas souligne que le foyer du Findel « Wanteraktioun » avec ses 250 lits (qui n’ouvre que le 1er décembre) risque aussi d’afficher complet. Les ONG redoutent aussi l’apparition de campements sauvages de migrants comme on les connaît dans d’autres pays.
« Ce n’est pas la plus agréable des conférences de presse que j’ai eu à donner ces vingt dernières années », avait entamé Jean Asselborn, la mine tirée, vendredi dernier devant les médias. Avant de quitter ses fonctions, il tenait à faire passer le message de la saturation des structures de l’Office national de l’accueil (ONA). 1 918 demandeurs de protection internationales sont arrivés au Luxembourg cette année. La Syrie, l’Érythrée et l’Afghanistan sont les principaux pays d’origine de ces réfugiés. Un chiffre en conformité avec ceux des dernières années (2 052 en 2019, 2 268 en 2022), auquel il convient d’ajouter 840 demandeurs de protection temporaire (essentiellement venus d’Ukraine). Ce qui inquiète le ministre, c’est le nombre important de « dublinés ». En quelques mois, cette catégorie de réfugiés est passé de 18 à 49 pour cent alors que ces individus sont censés rester dans le pays où leur demande a été introduite. Ils arrivent essentiellement d’Italie, d’Espagne ou de Grèce, portes d’entrée « évidentes » de l’Union européenne.
Pour Jean Asselborn, cette situation est le reflet « du chaos et de la confusion qui règnent en Europe où la solidarité entre les pays membres est au plus bas ». Il plaide pour une politique d’asile européenne plus cohérente « qui n’est possible que si les pays du sud enregistrent correctement les réfugiés et que les pays du nord accueillent leur quota ensuite ». Il pointe le nombre important de pays qui ne suivent pas la procédure de Dublin, principalement l’Italie de Meloni. Le ministre en veut aussi à la Commission européenne qui se contente d’observer et ne réagit pas à ce « désastre humanitaire » en croyant que les contrôles aux frontières vont reprendre. « C’est irresponsable », martelait-il. Avant de dresser le constat amer que « si le système Dublin capote, alors on détruit aussi les accords de Schengen ».
Le défi spécifique du Luxembourg tient au problème structurel du logement. Le pays a augmenté sa capacité d’accueil des réfugiés, passant de quelque 2 000 lits en 2015 à la capacité actuelle de 7 700 lits. L’ONA héberge un peu plus de 6 500 personnes, 2 421 demandeurs d’asile et 1 328 qui bénéficient d’une protection temporaire. S’ajoutent 44 déclarés irrecevables car bénéficiaires d’un statut dans un autre pays ou 307 demandeurs qui ont reçu une réponse négative du ministère de l’Immigration et peuvent introduire un recours. Mais surtout, les centres d’hébergement accueillent 2 031 bénéficiaires de protection internationale (BPI) qui restent « coincés » dans ces foyers parce qu’ils ne trouvent pas de logement sur un marché difficile d’accès que ce soit en termes de prix ou en termes de condition. Après un an, les personnes régularisées payent un loyer à l’ONA.
Cet engorgement a des conséquences sur l’accueil des nouveaux réfugiés. Aussi, le ministre a annoncé que le Foyer Don Bosco au Limpertsberg qui devait fermer ses portes fin novembre, restera ouvert. Une situation « indigne » selon Marianne Donven d’Oppent Haus qui détaille que ce foyer ne dispose plus de sanitaires et que les gens qui y vivent se douchent dans des containers à côté. Les halles provisoires installées à Mersch seront également conservées plus longtemps. Un appel a été lancé aux communes pour trouver des solutions d’hébergement pour des bénéficiaires de protection internationale. Asselborn a souligné que seul un tiers des communes apportait une contribution. Vu la situation du marché locatif, y compris public et social, les BPI « sont en concurrence directe avec les citoyens qui cherchent un logement », précise Serge Hoffmann, bourgmestre de Habscht au micro de RTL. En 2015 un même appel avait été lancé. À l’époque, les communes obtenaient une contrepartie financière car l’accueil des réfugiés implique des dépenses annexes comme une offre éducative.
Des solutions plus ou moins pérennes vont devoir être trouvées dès lors que la situation dans le monde, où l’on compte déjà 110 millions de réfugiés, s’aggrave. « Nous sommes dans une moment de tempête qui n’est pas prêt de se calmer », avance Adolfo Sommarribas du European Migration Network. Il cite d’abord la guerre en Ukraine et ses conséquences. Des Ukrainiens continuent à arriver (environ 80 par mois), et beaucoup ne peuvent plus rester dans les familles qui les hébergeaient au début. L’expert ajoute que la fermeture des routes du blé et denrées poussent plusieurs pays africains dans une crise alimentaire et donc des personnes sur les routes de l’exil. Il pointe les nombreuses incertitudes qui découlent de l’instabilité politique autour du Mali, du Niger ou du Burkina Faso et qui risquent de peser sur les efforts de l’Union européenne pour endiguer les flux d’arrivées de migrants subsahariens en Afrique du Nord. Il ajoute encore le conflit israélo-palestinien dont les conséquences sont difficiles à mesurer à l’heure actuelle. « Il y a de plus en plus de migrants et de moins en moins d’acceptation de ceux-ci », constate-t-il. L’expert note l’exaspération de plus en plus marquée de certaines personnes surtout dans un contexte d’inflation et de hausse du chômage et souligne la montée de l’extrême-droite un peu partout en Europe. Pour Adolfo Sommarribas, le Luxembourg devrait mettre en place une meilleure planification et réflexion sur l’avenir « plus proactive », en faisant appel aux universités et experts.
Depuis 2015 et les premières arrivées importantes de demandeurs de protection internationale, Jean Asselborn est montré comme le plus humain des ministres des Affaires étrangères européens, selon la presse internationale. En comparaison avec d’autres pays, la politique luxembourgeoise en matière d’asile est plutôt ouverte. Le niveau de reconnaissance de statut de protection internationale est élevé, dépassant les cinquante pour cent depuis 2020 et les bénéficiaires de protection subsidiaire (BPS) ont presque les mêmes droits (sauf le passeport de réfugiés) que ceux qui ont le statut de réfugié. D’aucuns considèrent que les déclarations du ministre sortant sont un aveu d’échec de sa politique et constituent un cadeau au prochain gouvernement : En instituant les listes d’attentes pour les hommes seuls, il ouvre la voie à une politique plus restrictive, craignent les associations. Reste à voir comment la nouvelle coalition traitera ce dossier. Le groupe de travail « Accueil et migration » comprend notamment l’ancienne ministre de la Famille, Corinne Cahen (DP), qui a souvent considéré les promesses d’Asselborn comme irréalistes. Sur les rangs du CSV, on voit des personnalités plutôt engagées socialement comme Marc Spautz ou Maurice Bauer, alors que Émile Eicher en tant que Président du Syvicol voudra sans doute modérer l’implication des communes.