Les Géants

Mieux que les grands

d'Lëtzebuerger Land vom 11.11.2011

Tout le monde l’a déjà vécu. Les grands dimanches à la campagne, entre la fin du déjeûner et le goûter, quelques heures magiques à voler, loin des tablées d’adultes et de leurs conversations de grands sur la gestion de la maison du grand-père décédé. On s’éloigne, au hasard des chemins de forêt, d’une rivière pour les plus intrépides. Zak (Zacharie Chasseriaud) et Seth (Martin Nissen) ont un peu plus que ces quelques heures habituelles : leurs parents ont déserté. Il y a bien la mère qui appelle quelques secondes, mais c’est pour dire qu’elle ne reviendra pas tout de suite.

Ils sont seuls, sans argent, mais pas sans ressources. Un invité, aussi jeune qu’eux, vient bientôt les rejoindre. C’est Danny (Paul Bartel). Lui non plus n’a pas l’air d’avoir de parents, mais un frère, surnommé Angel (Karim Leklou), qui le frappe à la moindre occasion. Le trio navigue à vue, entre la maison du grand-père, à laquelle il vont trouver un usage bien particulier, la cave du voisin où ils vont voler de quoi se nourrir, et la petite barque. Un radeau de fortune, mais grâce auquel ils s’échappent de tout et passent de longues heures à errer dans les bois.

Finalement, même si les personnages sont cette fois des enfants, Les géants, le troisième long-métrage de Bouli Lanners ressemble à ses précédents (Ultranova en 2005, Eldorado en 2008). Même ironie dans le titre et dans les personnages, même envie d’en découdre. Et cette manie, si reconnaissable, de filmer les zones rurales de la Belgique (ainsi qu’ici, le nord du Luxembourg, le film étant coproduit par Samsa Film) comme un western en format cinémascope... Des héros ordinnaires qui méritaient bien ça. Faut-il qu’il les aime, ces trois jeunes adolescents, pour les filmer avec autant de tendresse et d’envie. La caméra complice de Bouli Lanners, sublimée par le chef opérateur Jean-Paul de Zaetijd, alterne en effet entre des plans rapprochés, guettant la nouvelle bêtise à faire, et des cadrages beaucoup plus larges, dans la campagne, soulignant alors leur solitude et leur petitesse.

Car ils ont beau avoir la ruse et l’insolence de leurs quinze ans, on sent intrinsèquement grandir en eux, et en nous, le sentiment d’abandon et l’injustice de leurs batailles. Au fur et à mesure que leur cellule amicale se bâtit, celle qui devrait servir de modèle, la familiale, s’e désagrège un peu plus.

Sans qu’ils n’en aient l’étiquette officielle comme dans les films pour enfants, les quelques adultes rencontrés sont les stéréotypes mêmes de personnages de contes. Une sorcière, femme d’un roi sans scrupule, pas mal d’ogres, dépeçant la maison de ses repères et donnant lieu à des scènes absurdes typiques de l’univers du cinéaste. Et puis, sous la pluie, une fée et sa petite princesse qui passent, qui ne disent rien que l’apaisement. Ce sera la seule source de bienveillance pour le trio qui, subtilement mais sûrement, s’enfonce dans le néant.

En adoptant uniquement le point de vue des gamins, Bouli Lanners fait le choix de ne livrer que du brut, sans de recul ou d’analyse prémâchée, nous laissant les seuls juges pour déterminer qui des grands ou de ces Géants sont les plus sauvages.

Primée lors des derniers festivals de Cannes et de Namur, cette coproduction luxembourgeoise permet à Samsa Film, une nouvelle fois et de manière plus originale, de se faire connaître du marché européen.

Julien Davrainville
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