La crise impacte aussi fortement le secteur associatif. Passerell en est un exemple

Stress post-confinement

Cassie Adelaïde
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 17.07.2020

d’Land : Parlons d’abord des gens dont s’occupe Passerell… Comment les demandeurs de protection internationale ont-ils vécu le confinement, et quelle est la situation actuelle ?

Cassie Adelaïde : Dès les premiers jours du confinement, à la mi-mars, on recevait beaucoup d’appels de gens qui ne comprenaient pas ce qu’on leur imposait. Il y avait un réel effort de pédagogie à faire, parce que pour ceux qui ont par exemple déjà subi la détention arbitraire, leur expliquer qu’ils devaient rester enfermés au Luxembourg, ce n’était pas évident. Le travail des équipes sociales sur le terrain a été considérable. On était d’abord tous sous le choc de l’incertitude, puis Passerell a produit des vidéos dans quatre langues pour bien expliquer que c’était pour tout le monde, qu’il s’agissait de lutter contre la propagation du virus Covid-19. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit de personnes exilées qui ont derrière elles un parcours extrêmement difficile, qui ont déjà perdu leurs repères – et soudain, elles ont à nouveau perdu toute perspective. Ensuite, durant le confinement, cela s’est arrangé, elles ont patienté comme tout le monde, mais maintenant, avec le déconfinement, il y a à nouveau une grosse pression dans cette population, parce que beaucoup d’incertitudes demeurent : quand est-ce que les procédures vont reprendre ? Ce serait important pour les demandeurs de savoir quand les entretiens du ministère de l’Immigration vont recommencer – on n’en sait toujours rien, après quatre mois d’interruption. Pour les concernés, ce stress post-confinement est énorme, d’autant plus que des vies humaines sont en jeu, par exemple pour des regroupements familiaux. Nous avons récemment eu la visite d’un père qui nous montrait des images de sa famille restée en Syrie, dans une situation extrêmement dangereuse. Les autorisations de séjour avaient été simplement prolongées, ce qui est une bonne chose, mais les demandes sont suspendues, tout comme le sont les transferts intra-européens du règlement Dublin III. Mais impossible pour les DPI de se projeter face à toutes ces inconnues.

Au début, il y a eu un certain nombre de personnes malades des suites du coronavirus dans les foyers et à la structure d’accueil Shuk au Kirchberg ? Le virus a-t-il pu être contenu ?

Oui, il y a eu des malades. Le ministère avait mis en place un foyer dédié aux DPI malades, mais il a pu fermer depuis, car la propagation du virus a été contenue. Jusqu’à un tiers des quelque 70 résidents du Shuk, qui sont ceux des demandeurs qui ont vocation à être transférés vers d’autres États européens, étaient atteints du virus. On peut d’ailleurs se demander si c’est raisonnable de transférer des personnes qui étaient malades maintenant, aussi parce que, lors de ces transferts, il peut être nécessaire d’intervenir physiquement. C’est pourquoi nous avons lancé une pétition, avec le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot (LFR), qui demande que le Luxembourg se déclare exceptionnellement compétent pour analyser les cas Dublin arrivés avant le 15 juin au Luxembourg. Nous attendons un retour du ministre sur ce point.

Passerell, votre association née dans la foulée de l’afflux migratoire massif de 2015, s’engage dans le conseil juridique aux migrants et les aide à s’orienter dans une jungle législative et réglementaire dans laquelle même un autochtone se perdrait. Pour ce faire, vous avez créé deux postes, dont un à temps partiel, et vous craignez maintenant que vous soyez un « dégât collatéral de la crise ». Pourquoi ?

Nous avons une équipe d’une vingtaine de juristes bénévoles qui nous aident à détricoter des problématiques juridiques souvent complexes : chaque cas est différent. Or, les heures de recherche et l’information aux demandeurs de protection internationale ne sont pas pris en charge par le système d’assistance judiciaire. Nos premiers projets, essentiellement sociaux, furent financés grâce à une bourse Mateneen de l’Œuvre nationale de secours, qui jouait un rôle d’incubateur, mais nous devons désormais trouver des financements pérennes. Nous recevons de toutes petites aides du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration (3 750 euros cette année), du ministère de la Justice (1 500 euros) et de la Ville de Luxembourg, et comptions trouver une partie via la vente de notre livre Réhumanisez-moi et le mécénat privé, mais ces deux piliers se sont effondrés avec la crise. Certaines promesses de mécénats ont été divisées par quatre. De manière récurrente depuis plusieurs années, nous avons contacté le ministère de la Famille et de l’Intégration pour savoir quelles étaient les possibilités d’avoir des financements de nos projets, et nous avons participé deux fois à des appels à projets dans le cadre du plan national d’intégration, mais les deux fois, nous avons obtenu des refus, parce que le ministère demande que ces projets s’adressent à tous les étrangers, pas seulement aux demandeurs de protection internationale. Que le gouvernement soutienne l’économie avec des aides directes, c’est très bien et nous ne le contestons pas. Mais il ne faudrait pas oublier le secteur associatif qui œuvre dans des domaines complémentaires à l’État1

Alors il faut improviser, nous avons lancé un crowdfunding à hauteur de 15 000 euros2 et peut-être qu’on ne pourra garder qu’une seule employée… Mais il sera alors impossible d’avoir le même impact : nous deux faisons le travail de coordination des bénévoles et accueillons les DPI au jour le jour, ce serait dommage d’abandonner cela. Ceci dit, nous n’allons certainement pas arrêter Passerell.

Le Clae (Comité de liaison des associations d’étrangers) a lancé une enquête auprès de ses membres pour savoir quelles étaient les répercussions du virus et de la crise sur leurs activités, et 90 pour cent des répondantes disaient en ressentir les conséquences néfastes directes. Vous demandez donc une aide exceptionnelle pour le secteur associatif, au même titre que celles consacrées à des secteurs économiques comme les PME, le tourisme ou l’agriculture…

Ce que nous constatons, c’est que l’impact de la crise sanitaire est variable selon la taille, les modes et besoins de financement de chaque association. Les associations couvertes par des conventions sont protégées. Ce sont celles qui n’ont qu’une taille moyenne, comme nous, qui ont du mal à boucler des budgets déjà très serrés. Pour des structures comme la nôtre, 5 000 euros – comme ce qui est attribué aux PME –, feraient déjà une énorme différence.

Pourtant, le Luxembourg s’est montré extrêmement solidaire dans le domaine de l’asile durant la crise : même si seulement une dizaine de nouvelles demandes ont été déposées durant les mois d’avril et de mai – ce qui s’explique aussi par les frontières fermées –, le ministre Jean Asselborn (LSAP) a remué ciel et terre pour accueillir douze demandeurs de protection internationale mineurs en provenance des camps sur les îles grecques à la mi-avril. Et il s’engage sur le parquet européen et dans les médias pour une approche humaniste du droit d’asile…

…oui, c’est très bien. Mais il y a visiblement un décalage entre les idéaux du ministre et la pratique administrative. Ce qu’il faudrait maintenant, ce serait que les procédures reprennent et qu’elles soient expliquées aux concernés. Et pourtant, on est toujours dans l’incertitude totale.

1 Jointe par le Land sur la question d’un paquet de sauvetage du secteur associatif, la ministre de la Famille et de l’Intégration Corinne Cahen (DP) a souligné que le secteur associatif était trop diversifié pour n’y donner qu’une seule réponse générale. Les différents ministères regarderaient les associations avec lesquelles ils travaillent au cas par cas pour les aider de manière adaptée.

2 www.gingo.community/fr/http-www-passerell-lu.

josée hansen
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