Théâtre

Un miroir devant le citoyen modèlePauline Cano

La simplicité des décors et accessoires renvoie à l’idée de totalitarisme
Foto: Bohumil Kostohryz
d'Lëtzebuerger Land vom 20.10.2023

Présentée au Kasemattentheater, la pièce de Jeff Schinker PatrIdiot. Een Aarbechtstitel mise en scène par Corina Ostafi nous ouvre la porte d’une répétition théâtrale clandestine dans le Luxembourg de 2028, désormais sous un régime d’extrême droite. Sous forme de mise en abyme, on découvre ce petit théâtre où une metteuse en scène et deux comédiennes se rencontrent discrètement, à leur risques et périls et sans attirer l’attention afin de créer secrètement une pièce qui reflète les différents types de racisme dont fait preuve un citoyen luxembourgeois. N’est-ce pas un crime de remettre en cause les actes et paroles du patriote exemplaire ?

La relation tendue entre les deux comédiennes interprétées par Nora Zrika et Elena Spautz illustre cette société au sein de laquelle se trouvent deux partis, celui du Luxembourgeois « de souche », issu d’une famille aisée ayant été gavée de confort et celui du Luxembourgeois d’origine étrangère ayant dû faire face au cercle vicieux qu’est le désir d’intégration et du nécessaire oubli de ses racines. Toutefois, la critique de cette division va bien au delà d’une simple relation conflictuelle entre les deux artistes, il s’agit bel et bien d’une critique envers la population actuelle, celle du Luxembourg en 2023, un pays qui se dit accueillant et dont la population pourtant est agrippée à l’illusion d’aider par bonté chrétienne pour se donner bonne conscience.

La pseudo ouverture d’esprit dans une société où l’hypocrisie et les double standards sont rois n’est en réalité qu’un racisme incarné, voire même inconscient, acquis par une éducation soit-disant inclusive et nécessitant une justification permanente, comme pour prouver aux autres qu’on n’est pas raciste, sexiste, homophobe ou autre. Ainsi, l’œuvre parvient à nous retirer subtilement nos œillères en mettant en lumière ce qu’on préfèrerait ignorer sur nous-même, ce qu’on ne veut pas laisser voir. Le fait de se montrer, de soigner son image pour avoir l’air beau et bon à travers les yeux d’autrui est mis en avant, jusqu’à se demander si la diversité ne serait en réalité qu’une mode éphémère. « Vous les prononcez haut et fort (...) parce que c’est le prêt-à-penser à l’ordre du jour, (...) et le jour où cela passera de mode, vous prendrez la défense d’un autre groupe, parce que vous le faites pour vous mettre en scène vous ». Il faut oser mettre à nu une société de faux tolérants qui vivent grassement aux dépens de ceux qui n’arriveront jamais à un tel niveau de vie.

Avec la simplicité du décor et des costumes, Veronika Bleffert renvoie une atmosphère impersonnelle, triste même, mais propre à un système gouvernemental totalitaire. Ainsi, malgré le lieu caché où se trouvent les personnages, le gouvernement force sa présence, presque comme un Big Brother omniprésent dans 1984 d’Orwell. D’un autre côté, l’utilisation de ces accessoires dans la mise en scène montre avec absurdité le ridicule d’un patriote qui va justifier ses mauvaises habitudes par l’amour pour son pays. « De Lëtzebuergesche Kascht, de Béier mam roude Léif drop, de Wäi vun der Musel – all dat huet eben ee Sacrifice verlaangt. An de Monni Fern war bereet, seng Gesondheet um Altor vun der Integratioun ze afferen. »

Le style d’écriture de la pièce, propre à Jeff Schinker, est reconnaissable, notamment dans son autofiction Ma vie sous les tentes. Il y a un côté à la fois provocateur et plein de dégoût envers le monde environnant et les évènements qui s’y déroulent, tel un enfant qui s’indigne face à l’euthanasie de son chien, son seul ami. Et pourtant, il garde toujours une touche d’humour et une espèce d’indifférence. C’est aussi la douceur de la musique jouée en arrière-plan par Priscila Da Costa en parfait accord avec le texte parlé qui fait penser précisément à cette œuvre.

La pièce pousse l’Homme occidental à remettre en question la sincérité de ses discours et de ses actes philanthropes et à se demander s’il lui reste ne serait-ce qu’une once d’intégrité. PatrIdiot. Een Aarbechtstitel manifeste une insurrection contre l’extrême droite. C’est un appel à la méfiance face aux fausses promesses qui conserve pourtant humour et légèreté grâce au récit-cadre. La lourde thématique s’en trouve plus digeste et le spectateur peut sortir de la salle avec le sourire.

Pauline Cano
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