L’heure des comptes 2
500 700 euros, telle est la valeur de la montre la plus chère achetée par l’entrepreneur Flavio Becca, apprend-on dans le jugement rendu jeudi dernier et dont le Land s’est procuré copie cette semaine. Cette Vacheron Constantin (photo de la marque) est rendue à Promobe, comme l’a ordonné le président Marc Thill. La toquante suisse s’ajoute aux 318 inscrites à l’actif de la Société de patrimoine familial pour une valeur cumulée de sept millions d’euros (le prix d’acquisition entre 2006 et 2009). Le reste des 842 montres identifiées en épluchant les factures et relevés bancaires des sociétés du groupe Becca, soit 523 toquantes, doivent être restituée aux autorités. La sentence s’ajoute aux deux ans de prison prononcés à l’encontre de l’entrepreneur et aux 250 000 euros d’amende (montant qui « tient compte de sa fortune personnelle et de ses revenus disponibles ») pour abus de biens sociaux et blanchiment-détention. « Vu que le prévenu n’a pas encore été condamné à une peine privative de liberté, il n’est pas indigne d’une certaine clémence du Tribunal », complète-t-il en associant intégralement la peine de prison à un sursis.
Le tribunal considère qu’en « tant qu’homme d’affaires chevronné », Flavio Becca ne peut ignorer « qu’il y a lieu de respecter une stricte séparation entre son patrimoine privé et le patrimoine des différentes sociétés ». La justice considère en outre que l’entrepreneur a dissimulé l’achat de montres dans la comptabilité des sociétés acquéreuses, qu’il « a fait usage d’artifices pour dissimuler les faits qui lui sont actuellement reprochés. » Les juges relèvent que la loi luxembourgeoise n’interdit pas la pratique des comptes courants associé débiteurs, méthode utilisée pour comptabiliser l’achat de montres. Dans certaines conditions, cet usage peut néanmoins tomber sous l’incrimination générale d’abus de biens sociaux. Le tribunal relève qu’aucune des sociétés visées n’est active dans le domaine de l’horlogerie et que les acquisitions de montres de luxe n’ont aucun lien avec l’objet social de ces sociétés. « L’objet des sociétés luxembourgeoises n’englobe pas non plus l’attribution de prêts d’argent » qui ont été remontés de manière comptable à Promobe Finance à Hong Kong, laquelle détient
19,6 millions d’euros de créances sur ses associés, Flavio Becca et son père Aldo.
Cette semaine, Reporter rapporte que Flavio Becca a déposé plainte (par l’intermédiaire du pénaliste ténor du barreau de Paris Hervé Temime) au pénal pour diffamation. L’entrepreneur vise la parution de l’article « La cuisine fiscale de Flavio Becca ». Dans le droit de réponse publié par le média en ligne, son avocat parisien écrit que « les accusations ‘d’évitement des impôts’ par la mise en place de ‘mécanismes opaques’ sont dépourvues de fondement. » Dans le jugement rendu la semaine passée, on lit : « Lors des plaidoiries, le prévenu a argué que les sociétés auraient pu distribuer des dividendes. Une telle distribution de dividendes aurait cependant engendré une imposition dans le chef du prévenu et il aurait dû payer des impôts. Or le prévenu était guidé par l’idée d’obtenir le meilleur prix, une imposition des dividendes aurait rendu plus chère chaque montre, ce qu’il fallait, dans son esprit, éviter. » pso
Monarchie vs ploutocratie
Il serait, personnellement, « plutôt de tendance république », avouait Jeannot Waringo, auteur du rapport sur la Cour grand-ducale, samedi dernier dans l’émission « Background » sur RTL-Radio. « Je l’ai dit une fois au Grand-Duc : ‘Monseigneur, j’aurais préféré que vous soyez issu d’un processus démocratique et non héréditaire ». Mais Waringo ne serait pas Waringo s’il s’enfermait dans cette optique « républicaine ». Il a donc fait une triangulation junckérienne et relativisé sa position de principe en lui opposant deux arguments contraires : le danger populiste et ploutocratique. « Si quelqu’un mobilise de l’argent, et la masse d’argent se concentre de plus en plus entre les mains de quelques personnes, il pourrait réussir à devenir président dans une république », estimait ainsi l’ancien directeur de l’Inspection générale des finances. En contrant de telles tendances ploutocratiques, la monarchie aurait à jouer « une formidable mission de stabilité ». Le point aveugle de ce raisonnement, c’est qu’il fait abstraction des personnes censées incarner la fonction monarchique. Maria Teresa Mestre Batista est ainsi issue de l’oligarchie cubaine (« une famille de grands philanthropes » comme elle l’expliquait récemment dans Paris Match). Quant à Henri de Nassau, dont les administrateurs des biens se recrutent parmi l’avant-garde de l’économie financière (Albert Wildgen puis Norbert Becker), il n’apparaît pas non plus comme un représentant des classes moyennes. bt
L’immobilier dans l’Eifel
Le Trierischer Volksfreund s’étonne cette semaine que les prix continuent d’exploser, même « weit entfernt von Trier und Luxemburg », c’est-à-dire jusque dans les petits villages de l’Eifel volcanique. Et de citer un agent immobilier de Gerolstein qui dit son ahurissement de voir partir des maisons unifamiliales en une journée à des prix inouïs. Plus près du Luxembourg, c’est surtout le prix du foncier qui a augmenté entre huit (Konz) et douze (Sarrebourg) pour cent sur une année. bt
Bonne presse
« Oligarque truandé », la Tribune de Genève surtitre lundi, au singulier, son article « Edmond de Rothschild attaque son ex-banquier ». Il y est question de deux HNWI russes qui ont respectivement perdu six et soixante (à quelques unités près) millions d’euros dans les investissements « hasardeux » de leur conseiller financier employé par le prestigieux établissement bancaire au Luxembourg, filiale du groupe suisse. Les malheureux clients, Filip Kaplun et Sergey Bogdanchikov, anciens cadres dirigeants du géant du pétrole russe Rosneft (d'Land, 6.11.2020), prétendent avoir été floués par leur banquier Carlo Thewes (« C.T. » dans l’article suisse, mais le patronyme a été dévoilé en octobre dernier dans la presse internationale, notamment le Financial Times). Selon des documents utilisés dans les procédures judiciaires en cours cités par la Tribune de Genève, le Luxembourgeois aurait notamment placé des sommes importantes dans des fonds gérés par Family Office Partners à Zoug (CH)… dirigé par un ami luxembourgeois (« T.B. » si l’on applique la méthode de la Tribune) de Carlo Thewes. La banque s’est retournée contre inconnu, mais elle vise « sans aucun doute » le banquier qu’elle a licencié en 2016. L’instruction poursuit son cours. « Le dernier rapport de police judiciaire est entré au cabinet d’instruction le 15 décembre 2020 », a fait savoir le parquet. En Suisse, la plainte de Sergey Bogdanchikov contre Edmond de Rothschild a été classée sans suite. Une plainte a été déposée aux États-Unis à l’automne dernier. pso
Le mirage luxembourgeois
« Une énième démarche conduite par des voisins jaloux du succès de la place luxembourgeoise. » Voilà comment l’avocat-star du barreau et ancien bâtonnier Rosario Grasso qualifie l’enquête « Openlux » publiée en février par des médias internationaux, parmi lesquels la Süddeutsche Zeitung et Le Monde. Dans un séminaire organisé par Meetincs mardi, Rosario Grasso aligne son analyse juridique des révélations médiatiques sur l’acception politico-naïve (reste à déterminer si c’est de bonne ou mauvaise foi) selon laquelle les journalistes internationaux répondraient de manière homogène aux intérêts économiques supérieurs de leurs nations respectives alliées contre un supposé eldorado luxembourgeois. Ce rally ’round the flag effect a pour origine l’analyse des données publiées au Registre des bénéficiaires effectifs permise par la transposition maximale de la directive européenne contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, avec un accès gratuit et ouvert à tous. « Si vous avez pu faire ce travail, c’est justement parce qu’on est transparents », commente l’ancien bâtonnier. Son successeur à la tribune virtuelle de Meetincs, le fidèle et emblématique Alain Steichen soutient l’analyse de Me Grasso et dissèque les données révélées par le consortium de journalistes.
L’associé de BSP reprend les chiffres de non-publication des bénéficiaires effectifs pour 64 458 sociétés (soit environ la moitié des sociétés financières identifiées par les journalistes « jaloux ») et l’explique par la présence supposément significative de véhicules de private equity au Luxembourg. Ces sociétés généralement détenues par des structures des Îles Caïmans ont fréquemment entre cinquante et cent actionnaires (souvent américains). Cette atomisation de l’actionnariat rendrait impossible l’identification de tout détenteur de plus de 25 pour cent du capital, pallier requis par les textes pour identifier un bénéficiaire économique. À défaut, la loi prévoit d’inscrire au registre le gérant de facto du véhicule, souvent un responsable de fiduciaire ou de domiciliataire. Alain Steichen s’étonne en outre du nombre élevé de Portugais bénéficiaires de sociétés luxembourgeoises, quatrième nationalité représentée selon les chiffres publiées par les médias. Là encore, il ne s’agit pas de la résidence fiscale et donc nullement de personnes fortunées domiciliées en Algarve, mais des sociétés liées à des « boutiques » opérant au Grand-Duché.
Seule donnée véritablement d’intérêt aux yeux d’Alain Steichen parmi celles publiées dans Openlux, celle des actifs des Soparfis qui s’élève à 6 500 milliards d’euros. Le montant « donne le vertige » selon l’avocat car il s’établit bien au-dessus des déjà astronomiques 5 000 milliards logés dans des fonds d’investissement luxembourgeois. L’avocat propose sa conclusion : « Les holdings non régulées pèsent plus lourd que le régulé (contrôle par la CSSF, ndlr), la conséquence de trente années d’industrie des Soparfis. On est de très loin le pays en Europe par lequel les capitaux transitent le plus. » pso
Domino
La secousse, partie de la City Londres, a des répercussions à travers l’Europe. Le dépôt de bilan de Greensill Capital, principal partenaire financier de Gupta Family Group Alliance (GFC), se fait ressentir jusque dans l’usine Liberty Steel à Dudelange, propriété de GFC. L’empire Gupta vacille, et avec lui des dizaines de sites industriels. Inquiets, l’OGBL et le LCGB ont rencontré cette semaine la direction de Liberty Dudelange-Liège. Ils ne sont pas sortis rassurés. Sanjeev Gupta avait racheté le laminoir de Dudelange (250 salariés) à Arcelor-Mittal en 2018, ensemble avec six autres usines du groupe sidérurgique. À travers l’Europe, les ministres de l’Économie tentent aujourd’hui de rassurer les syndicats et les ouvriers. Bruno Le Maire a promis que « l’État sera derrière ces sites industriels » et « saura faire le pont, trouver des solutions alternatives » en cas de difficultés financières. Même message distillé ce jeudi par Franz Fayot et Dan Kersch (LSAP) lors d’une entrevue demandée par les syndicats. « L’État ne laissera pas tomber le site de Dudelange », c’est ainsi que l’OGBL et le LCGB citent, dans un communiqué publié jeudi, les ministres de l’Économie respectivement du Travail. Ceux-ci auraient pris l’engagement d’assurer « tout le support nécessaire », notamment via le chômage partiel et des garanties de financements bancaires, tout en annonçant des entrevues « organisées sans délais avec le patron de GFC ». La famille Gupta est également présente au Kirchberg d’où sont gérés une partie de ses opérations financières. Sanjeev Gupta, un ancien courtier en matières premières, avait commencé en 2013 à acquérir des usines à travers l’Europe, une expansion stratosphérique. Le Monde détaille que Gupta siège aux conseils d’administration de 91 sociétés… rien qu’au Royaume-Uni. « Une toile d’araignée » illisible. D’autant plus que, n’étant pas coté en bourse, GFC ne publie pas de comptes consolidés. bt