Ticker du 26 février 2021

d'Lëtzebuerger Land vom 26.02.2021

Le Grand-Duc et le constitutionnaliste
« Je l’écris comme je le pense. La réforme est bienvenue. Le chef de l’État gagne à trouver, non dans des pratiques accréditées par l’usage, mais dans des règles établies (…), les dispositions qui indiquent avec précision les concours dont il peut et doit bénéficier dans l’exercice de ses fonctions », écrit le professeur de droit constitutionnel belge et ancien sénateur Francis Delpérée au sujet de l’arrêté grand-ducal du 9 octobre 2020 créant la Maison du Grand-Duc. Dans cet article de doctrine parue dans la dernière édition de la Revue luxembourgeoise de droit public (dont le rédacteur en chef est Marc Thewes, conseiller d’État), le constitutionnaliste constate notamment que ces nouvelles règles « complètent le système institutionnel plus qu’elles ne le modifient », mais n’affectent pas « la marge d’autonomie que le Grand-Duc est en droit de revendiquer ». Francis Delpérée rappelle au passage que le Grand-Duc exerce ses fonctions avec le concours d’un ministère « selon la formule le pouvoir exécutif est un » et n’emprunte pas l’image d’un aigle à deux têtes. Le professeur de droit à l’université catholique de Louvain cite un autre juriste reconverti dans la politique et aujourd’hui conseiller d’État (sur le ticket socialiste), Alex Bodry. « Si un désaccord devait survenir entre eux, c’est la volonté exprimée par le membre du gouvernement qui prévaudrait. »
Le Grand-Duc (en visite mercredi auprès de Cargolux, photo : sb) campe un rôle de conseiller singulier auprès des membres du gouvernement. « Il communiquera les observations, voire les objections, qu’il est enclin à émettre à propos d’une décision en projet », mais des interventions qui sont devenues « inhabituelles », commente Francis Delpérée. Dans leur éventualité, il faut au chef d’État disposer d’informations fiables sur l’état de la société, prodiguées par du personnel de confiance. « La Maison du Grand-Duc trouve ici sa justification. » Ces collaborateurs, précise-t-il encore, devraient suivre un code de déontologie, notamment « servir leur patron et personne d’autre ». Le constitutionnaliste préconise la confidentialité dans les relations de la Cour, du gouvernement et de ses collaborateurs, mais aussi la transparence, « notamment l’utilisation des moyens financiers qui sont mis à la disposition du Grand-Duc et de sa Maison ».
L’arrêté grand-ducal demande la publication d’un rapport annuel. Pour l’ancien sénateur belge, les collaborateurs ne doivent pas se poser en courtisans, mais en experts à même de « démêler sur place l’écheveau complexe que composent les affaires dites professionnelles et les affaires relevant de la vie privée du chef de l’État et de son entourage ». Tiens donc. Francis Delpérée considère que la réforme réalisée redessine « les rôles et les moyens de chacun » et « contribue à apaiser les tensions qui avaient pu apparaître ».
Mais il ne cite jamais l’épouse du chef de l’État (qui peut d’ailleurs être un époux le cas échéant) dans une contribution de neuf pages qu’il conclut ainsi : « L’avenir est désormais dans les mains – non seulement du Grand-Duc et du Premier ministre – mais aussi dans celles du Maréchal de la Cour, des membres du gouvernement et de ceux qui, à un titre ou à un autre, les assistent ». Pourquoi l’époux ou l’épouse du chef de l’État n’est pas mentionné dans les textes, demande-t-on à Francis Delpérée. Le spécialiste répond que la constitution « organise l’exercice de l’autorité en définissant des parcelles de pouvoir » et que l’épouse du Grand-Duc n’en est pas dotée « au même titre que celle du magistrat ou du général ». Francis Delpérée précise en outre que le terme de Grande-Duchesse, à l’instar de celui de Reine en Belgique, est équivoque dans la mesure où celle-ci bénéficie du titre en tant que cheffe de l’État ou en tant qu’épouse alors que l’époux d’une Grand-Duchesse cheffe d’État est qualifié de prince. Enfin, l’arrêté grand-ducal du 9 octobre reconnaît son existence parmi les « membres de la famille » du chef de l’État qui occupent un rôle dans la Maison du Grand-Duc.
Alex Bodry s’est récemment fendu d’un tweet ravageur à ce sujet (suite à la parution d’un entretien du couple grand-ducal accordé à Paris Match dans lequel Maria Teresa se dit victime de « misogynie ») :
« Si jamais la monarchie tombe un jour, elle ne s’effondrera point à la suite d’attaques venues de ses adversaires, mais par épuisement, affaiblie et déstabilisée par ses propres faux pas et contradictions. » Le sage de Dudelange a également commenté la parution de l’article de doctrine sur Twitter. « Si M. Delpérée avait eu connaissance du texte de la proposition de révision de la Constitution déposée en 2020, son analyse aurait pu être complète. Dommage. »
Le juriste belge propose d’amender une constitution luxembourgeoise obsolète pour y instituer la maison du Grand-Duc (instaurée par arrêté), mais aussi pour y inclure les prolongements normatifs,
« d’indiquer de manière claire la voie à suivre ! ». L’article 43 de la Constitution instaure par exemple la « liste civile » d’un montant de 300 000 francs-or « qui peut être changé au commencement de chaque règne mais qui ne l’a jamais été ». « Pourquoi préserver l’institution de la liste civile, valable pour l’ensemble du règne, si c’est pour demander au Grand-Duc et à sa maison d’établir chaque année le budget des dépenses qu’ils envisagent ? », s’étonne Francis Delpérée. « Le manque de cohérence saute aux yeux », assène-t-il encore après avoir présenté les incongruités réglementaires. La Commission des institutions propose, depuis fin de l’année dernière, d’abolir la liste civile et d’apporter de la transparence dans ce domaine. pso

Crémant an der Chamber
Cinq des sept députés de la circonscription (viticole) de l’Est s’inquiètent ce lundi qu’au retour des vacances de Carnaval, leurs électeurs ne puissent plus déguster le crémant local sur les vols de Luxair. Le « Poll-Fabaire Gate » s’invite au Parlement, suscitant au passage des commentaires moqueurs sur les réseaux sociaux. La direction explique le recours à une roteuse française estampillée « cuvée Luxair » pour des raisons de coûts alors que la compagnie nationale rencontre de graves difficultés financières et ne souhaite pas passer par une recapitalisation. Vins Moselle n’a pas souhaité revoir son offre (avec la considération de product placement chère au directeur Gilles Feith), nous informe-t-on, et a activé ses réseaux politiques pour agiter l’atteinte au patriotisme économique. « Watt fir Krittäre gouf d’Entscheedung geholl, kee Lëtzebuerger Cremant méi u Bord ze zerwéieren », « Sinn déi Häre Ministeren der Meenung, dass et sënnvoll wier lëtzebuergesch Produiten iwwer Firmen, un deenen de Staat Partizipationen hält, méi staark ze fërderen ? » demandent Gilles Baum et Carole Hartmann du DP. « Wëssend, dass d’Luxair e wichtege Vecteur bei der Promotioun vu Lëtzebuerger Produiten ass, wéi eng Alternativen huet d’Regierung virgesinn, fir de Verloscht opzefänken ?, interrogent encore Octavie Modert, Françoise Hetto-Gaasch ou Léon Gloden, députés CSV qui ont pour certains des intérêts familiaux dans le vin. Rappelons néanmoins que le crémant Alice Hartmann continue d’être servi en business class et qu’un accord de distribution a été scellé en novembre entre la brasserie Simon (de Wiltz) et Luxair. pso

Les actions ArcelorMittal s’arrachent
La famille Mittal a vendu cette semaine pour 74 millions d’euros d’actions d’ArcelorMittal (à 19,56 euros le titre), société dont elle est l’actionnaire principal. La transaction publiée en vertu de la loi prévenant les conflits d’intérêts a été opérée par Lumen Investments, une holding luxembourgeoise détenant les actifs de la famille du magnat indien de l’acier. Celle-ci détenait fin 2019 (dernier rapport annuel disponible) une quinzaine de milliards d’euros d’actifs financiers, soit un peu moins d’un quart du PIB luxembourgeois. Parmi les dernières transactions enregistrées par la direction du groupe, figure en décembre 2020, l’achat par son administrateur Etienne Schneider d’un paquet d’actions (à 17,52 euros par unité) pour 70 000 euros. pso

Götterdämmerung
Tout le monde s’y attendait depuis un moment déjà, l’Aleba l’a confirmé cette semaine : La Commerzbank fermera définitivement sa succursale luxembourgeoise, 200 emplois sont menacés. Depuis que la Commerzbank avait annoncé vouloir « verschlanken » (amaigrir) son réseau international, il était clair que la succursale luxembourgeoise n’allait pas s’en sortir indemne. Car ce départ s’annonçait depuis plus de dix ans, alors que les activités de la Commerzbank avaient été liquidées les unes après les autres. Après 2008, la State Street racheta la branche fonds d’investissements ; en 2016, Julius Bär reprit le portefeuille de banque privée (estimé à trois milliards d’euros d’actifs) ; en 2018, Société générale racheta ce qui restait de la branche asset management. Activité plus discrète, le commerce de l’or sera, lui-aussi, liquidé. De plan social en plan social, l’effectif de la Commerzbank avait fondu. Ne restaient finalement plus que les crédits aux entreprises. (Les lettres de gage sont regroupées dans une société distincte, Commerzbank Finance & Covered Bond SA, qui compte à peine dix salariés.)
En 1969, la Commerzbank avait été une des premières eurobanques à découvrir l’eldorado réglementaire et fiscal luxembourgeois. Comme le relatait l’avocat d’affaires Jacques Loesch dans une de ses dernières interviews, qu’il avait accordée dans le cadre d’un documentaire sur l’histoire de la CSSF : « La Dresdner Bank est venue la première. Cela a eu un grand écho dans les milieux financiers : La deuxième banque la plus importante d’Allemagne qui s’installe au Luxembourg ? Mais que se passe-t-il ? Peu après, la Commerzbank l’a rejointe, c’était la troisième plus grande banque. Je me souviens de Monsieur Werner en particulier qui demandait : ‘Mais quand viendra enfin la Deutsche Bank ; la numéro 1 ?’ » Avec l’émergence du « private banking » dans les années 1980, le Luxembourg se transformera en une sorte d’arrière-cour, discrète et honteuse, de Francfort. La série Bad Banks témoigne de cette vision : l’action de la première saison se divise entre les réunions dans les gratte-ciels de la City de Francfort d’un côté, et des rendez-vous clandestins dans des friches industrielles ou au Parking Neipperg de l’autre.
La Commerzbank avait été une des premières banques à lancer une opération de nettoyage pour se débarrasser de ses clients fraudeurs du fisc. Ce qui ne lui avait pas évité de se retrouver dans le collimateur de la « Steuerfahndung » de Wupperthal. En février 2015, ses employés Luxemburg résidant du côté allemand de la frontière avaient ainsi vu leurs domiciles privés perquisitionnés dans l’espoir d’y débusquer des documents compromettants. (À l’époque, télétravail et secret bancaire s’accordaient encore mal.) En 2017, la Commerzbank Luxembourg finira par payer une amende administrative de 17 millions d’euros. Alors que les banques allemandes ont définitivement perdu leur hégémonie sur la place bancaire luxembourgeoise, les banques françaises y restent très présentes, avec des bilans élevés. Elles ont jusqu’ici également évité la tendance à la « succursalisation », qui équivaut à une mise sous tutelle de la maison mère. bt

La direction satisfaite, les marchés moins
Le géant luxembourgeois du satellite SES a publié ce jeudi un bénéfice en chute de 47 pour cent et un résultat opérationnel (Ebitda) en retrait de sept pour cent. Le directeur général se félicite de « cette année forte pour SES » malgré le Covid-19. « We protected the bottom line with Adjusted Ebitda in line with our pre-Covid-19 outlook », a annoncé Steve Collar dans un communiqué diffusé juste avant l’ouverture des bourses européennes. Les marchés ont tout de suite sanctionné le résultat par des ventes : une dépréciation du titre de 6,5 pour cent, de 6,94 à 6,49 dollars. Pour rappel, l’action de la société européenne de satellites avait culminé à 34 euros en 2015 avant de souffrir de conditions de marchés adverses, notamment du déclin de la télé par satellite face au web (qu’elle essaie de conquérir). pso

Le mystère frontalier partiellement levé
Tous les quatre ans, la Banque centrale du Luxembourg réalise une enquête sur les travailleurs frontaliers. Ils pèsent près de 44 pour de l’emploi salarié au Grand-Duché, « ils apportent une contribution importante à l’économie luxembourgeoise, en termes de production, de consommation et d’impôts, mais ils ne sont que partiellement couverts par les statistiques officielles », notent les économistes auteurs de l’étude parue ce jeudi. Celle-ci porte sur les données collectées en 2018. On apprend entre autres que la part de propriétaires était plus élevée parmi les frontaliers résidant en Belgique (81 pour cent) que parmi ceux vivant en France (77 pour cent) ou en Allemagne (72 pour cent). « En moyenne, les frontaliers étaient plus susceptibles d’être propriétaires que leurs homologues dans leur pays de résidence ou que les employés résidant au Luxembourg », soulignent les auteurs. Le patrimoine net des résidents belges (275 600 euros) dépasse celui des Allemands (236 400 euros) et des Français (212 800 euros). « Entre 2014 et 2018, les frontaliers résidant en Allemagne ont connu la plus forte croissance de leur patrimoine net médian (62 pour cent), suite à une augmentation importante du taux de propriété et de la valeur de la résidence principale du ménage (18 pour cent) », expliquent encore les économistes. Les ménages des personnes employées au Luxembourg sont aussi plus souvent endettés par rapport à la moyenne de la zone euro (42 pour cent). pso

Bernard Thomas, Pierre Sorlut
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