Quand et comment les Européens fécondent. Des statistiques et des politiques publiques

Cul-de-sac

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Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 20.10.2023

Publiée fin septembre, l’information a provoqué une certaine émotion dans un pays qui se croyait à l’abri du déclin démographique largement entamé chez ses voisins. L’institut statistique Insee a en effet révélé que le nombre de naissances enregistrées en France en 2022 était le plus faible depuis 1945 ! Rien de surprenant en réalité, car la natalité française n’a cessé de diminuer depuis 2010, avec une baisse de douze pour cent jusqu’en 2020, mais on s’était pris à espérer que le rebond de 2021 allait se poursuivre. Cela n’a pas été le cas, avec une baisse de 2,2 pour cent en 2022, suivie d’une nouvelle baisse encore plus marquée au premier semestre 2023 où le nombre de bébés a été inférieur de sept pour cent à celui du premier semestre de l’année dernière. Dans l’UE, les naissances ont diminué de 4,9 pour cent entre 2021 et 2022. En Allemagne la baisse a été de 7,1 pour cent, en Belgique de 3,7 pour cent et en Estonie et en Grèce, elle a dépassé les dix pour cent, le Portugal étant le seul pays où le nombre de bébés a augmenté. Hors UE, la Suisse a connu une baisse de 8,5 pour cent en un an tandis qu’elle était plus modérée au Royaume-Uni (-2,1 pour cent) où cependant les naissances étaient de 15,7 pour cent inférieures à celles de 2012.

Au Luxembourg la baisse a été de trois pour cent, mais, contrairement aux pays voisins où le recul est engagé depuis une dizaine d’années, elle faisait suite à seize années d’une hausse régulière qui a permis d’ atteindre le chiffre record de 6 690 enfants nés au Grand-Duché en 2021. Nul ne peut encore prédire si la diminution de 2022 est l’amorce d’un déclin plus durable. Toutefois, si l’on raisonne en termes d’indice de fécondité (improprement appelé taux de fécondité, car un taux s’exprime en pourcentage), les Français ont encore de quoi se réjouir, mais sans doute plus pour longtemps. En 2021, dernière année pour lesquelles les données d’Eurostat sont disponibles, le nombre moyen d’enfants par femme dans l’UE était de 1,53, un chiffre plutôt stable sur dix ans. Les Françaises arrivaient en tête avec 1,84 enfant par femme, avec très peu d’avance sur les Tchèques (1,83) et les Roumaines (1,81). Le Luxembourg se classait parmi les cinq derniers pays européens avec un indice de 1,36 à égalité avec Chypre, mais devant l’Italie (1,24), l’Espagne (1,19) et Malte (1,13). De toute manière, même chez les pays en tête du palmarès, la fécondité reste insuffisante pour que la population puisse se renouveler d’elle-même. Il faudrait pour cela atteindre au minimum 2,01 enfant par femme.

Entre 2011 et 2021, l’évolution est restée contrastée entre les pays. Le document d’Eurostat montre que des pays comme la France, la Belgique et l’Irlande ont connu une forte baisse de la fécondité (entre -8,5 pour cent et -12,3 pour cent) attribuée au fait que les femmes ont leur premier enfant plus tard : en France, leur âge a augmenté de cinq ans en 45 ans, passant de 24 ans en 1974 à 29 ans en 2019. Au Luxembourg il était de 31,1 ans en 2021, soit trois ans de plus qu’en 2000, deuxième rang européen ex-aequo avec l’Espagne, derrière l’Italie (31,3 ans). Compte tenu des limites physiologiques à la maternité, le fait de procréer plus tard a un effet mécaniquement réducteur sur le nombre d’enfants qu’une femme pourra avoir dans sa vie. Mais certains pays comme la Tchéquie, la Hongrie, la Roumanie, la Lettonie et l’Allemagne ont vu leur taux de fécondité augmenter de dix à trente pour cent. Les pays de l’est, après avoir vu leurs taux de fécondité chuter dans les années ayant suivi la dislocation de l’URSS, connaissent une augmentation de cet indicateur démographique depuis les années 2000.

Les efforts consentis pour les politiques favorables à la famille sont très disparates selon les pays. Les données Eurostat montraient qu’en 2019, les « prestations famille-enfants » représentaient 2,3 pour cent du PIB dans l’UE. Les sept pays y consacrant plus de 2,5 pour cent étaient tous des pays du nord de l’Europe (dont le Luxembourg). Parmi les sept les moins généreux (moins de 1,5 pour cent) figuraient cinq pays du sud. Les modalités des aides sont également très variables. Les pays du nord de l’Europe sont ceux qui consacrent le plus de ressources aux congés parentaux et à l’offre de garde pour les jeunes enfants (crèches notamment). Il est établi que, plus que les aides financières directes, les avantages matériels accordés aux parents, ainsi que les infrastructures, jouent un rôle décisif. L’existence d’écoles maternelles, prenant en charge les enfants à partir de trois ans, contre six ans dans la plupart des pays, serait ainsi à l’origine de la bonne tenue de la fécondité française.

L’efficacité des politiques natalistes est un sujet permanent de débats. Dans plusieurs pays d’Europe, dont l’Allemagne et le Danemark, on a pu constater un regain de la fécondité après la mise en place de mesures d’aides financières et matérielles aux jeunes couples. À l’opposé, les plus faibles indices se rencontrent surtout dans les pays du sud, les moins généreux. Mais on a aussi l’exemple des États-Unis, qui se caractérisent par une forte fécondité malgré des politiques familiales limitées. En France, le « rabotage » très contesté des allocations familiales sous la présidence Hollande (2012-2017) n’a apparemment eu aucun effet sur l’évolution des naissances.

Le cas du Luxembourg est révélateur. En 2019, selon Eurostat, le Grand-Duché était au deuxième rang européen, à égalité avec le Danemark et juste derrière l’Allemagne pour la part du PIB consacrée aux « prestations famille-enfants » (3,3 pour cent). En 2000 le Luxembourg était déjà sur le podium européen avec trois pour cent du PIB. Et il arrive largement en tête pour le montant des prestations par jeune de moins de vingt ans, avec 2 380 euros en standard de pouvoir d’achat ou SPA, contre 1 350 euros en Allemagne et 780 euros en France. Le pays est réputé pour la générosité de ses mesures, notamment en termes de congé de maternité et de congé parental.

Pour autant, le dispositif mis en place n’a pas permis d’enrayer la baisse de la fécondité puisque le Luxembourg est, comme on l’a vu, à la traîne en Europe avec des pays comme l’Espagne et l’Italie dont l’effort est pourtant de deux à trois fois inférieur en pourcentage du PIB. La Finlande et la Pologne sont un peu dans le même cas que le Grand-Duché. Tout se passe comme si les politiques natalistes se heurtaient à des facteurs psycho-sociologiques très forts qui retiennent les jeunes couples de procréer.

Dans les années 2000, on parlait beaucoup, avec l’augmentation du nombre de Dinks (double income, no kids), du souhait de nombreux jeunes couples de profiter de la vie sans s’embarrasser de la présence d’enfants, ou en procréant plus tardivement et avec moins d’enfants (en France la proportion de familles de quatre enfants et plus a été divisée par trois en quarante ans). Dans la décennie 2010-2019 les craintes de laisser sa descendance vivre dans un environnement dégradé étaient fréquemment évoquées. Depuis 2020 la pandémie, la guerre en Ukraine et la conjoncture économique de « stagflation » sont venues plomber les anticipations des jeunes et entamer leur confiance dans l’avenir. Nombreux sont ceux qui envisagent désormais leur futur sans enfants. On touche là aux limites des politiques familiales : grâce à elles les jeunes couples peuvent plus facilement avoir et élever des enfants. Encore faut-il qu’ils en veuillent.

Baisses de population

Dans l’état actuel des choses, la faiblesse de la fécondité européenne ne peut que déboucher, à terme plus ou moins rapproché, sur une diminution de la population, puisque l’espérance de vie stagne désormais et que les boomers voient le bout de la route. Selon Statista, à l’horizon 2050 plusieurs pays européens seront dans ce cas, même en tenant compte de flux migratoires positifs : dans le nord les trois pays baltes et la Finlande, dans le sud l’Italie, la Grèce, la Croatie et le Portugal, au centre et à l’est la Slovaquie, la Hongrie et la Bulgarie. La population allemande restera stable et celle du Luxembourg continuera d’augmenter à 800 000 habitants.

Ailleurs dans le monde, pour se limiter aux pays du G7, le Canada et les États-Unis jouissent d’un bon dynamisme démographique et verront, par rapport à 2021 leurs populations augmenter respectivement de vingt pour cent et de trieze pour cent d’ici à 2050, selon l’ONU. En revanche celle du Japon chutera de plus de 17 pour cent. Dans ce pays, le nombre de naissances est tombé en 2022 sous la barre des 800 000, du jamais-vu depuis les premières statistiques en la matière, en 1899.

Georges Canto
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