La pandémie due au virus Covid-19 a produit quelques gagnants et beaucoup de perdants. Parmi ces derniers se trouvent les élèves scolarisés. Vu leur jeune âge, ils ont une autre notion de temporalité que les adultes, mais comme leurs parents ils ont dû modifier du jour au lendemain leur mode de vie en restant confinés à la maison. Pour passer le temps, dans une logique de plaisir immédiat, ils ont visionné beaucoup de séries et de films. Or, la stimulation du corps et de l’esprit requiert d’autres sollicitations que la consommation passive de projections sur écran.
Dans le contexte des mesures sanitaires, le gouvernement a suspendu temporairement l’enseignement d’une discipline scolaire. Depuis l’introduction de l’école obligatoire, l’État s’est donné une mission d’éducation vis-à-vis des jeunes afin qu’ils puissent devenir des citoyens autonomes et responsables. Pour ce faire, des programmes scolaires obligatoires sont définis. L’Éducation physique et sportive (EPS) en fait partie. Au Luxembourg, plus de 200 professeurs d’EPS, qualifiés et sélectionnés par un concours de recrutement exigeant, sont engagés par l’État pour enseigner aux jeunes des compétences dans le domaine de la motricité, de l’entretien corporel et de la socialisation.
En temps normal, ces compétences sont considérées comme essentielles pour former les citoyens de demain. Le programme scolaire officiel actuellement en vigueur stipule en guise d’illustration dans son introduction en allemand : « …Für viele Kinder und Jugendliche, insbesondere für benachteiligte Schülerinnen und Schüler, ist der schulische Sportunterricht der einzige Ort, der ihnen Zugangschancen zu Bewegungs-, Spiel- und Sportangeboten eröffnen kann. Bewegung, Spiel und Sport ermöglichen vielfältige materiale, leibliche und soziale Erfahrungen, können körperlichen Schwächen vorbeugen, den Aufbau eines positiven Selbstkonzepts unterstützen und eine gesunde Lebensführung anregen… »
Le 16 avril dernier, un mois après la déclaration de l’état de crise et l’instauration du confinement, le gouvernement a décidé, dans le contexte d’un futur retour en classe, que « les cours de natation et les cours de sport resteront suspendus jusqu’à la fin de l’année scolaire ». Aucune concertation préalable avec les premiers concernés, les professeurs d’EPS, n’a eu lieu et pire encore, le statut de cette discipline est mis en cause par un complément déplacé et peu précis, à savoir que la suppression du cours d’EPS est faite au bénéfice de « choses essentielles ». La conséquence directe de cette décision, qui ne tient compte ni des possibilités de pratique à l’air libre, ni des effets de prévention de la pratique sportive, est que les élèves scolarisés à l’école au Luxembourg n’ont donc pas de cours d’EPS dirigés par un professionnel et cela pour une durée de six mois, de mars à septembre.
En France, la reprise des cours d’éducation physique et sportive dans les établissements du second degré (décret publié le 4 juin 2020) a été décidée différemment. Dans son plan de déconfinement, le ministre de l’Éducation nationale insiste sur la nécessité d’une reprise de l’activité physique pour tous les élèves en argumentant que « la disparité des situations de confinement, en termes d’activité physique, de sédentarité, d’alimentation, de nutrition et d’habitude familiale pour organiser, partager ou provoquer une pratique physique va entraîner une grande hétérogénéité des besoins des enfants et adolescents. Il s’agira de prendre en compte cette diversité des besoins pour organiser la reprise de l’activité physique, de la relation aux autres et reprendre confiance en soi. La sortie du confinement nécessite un aménagement de la part de l’école en général, et de l’EPS en particulier. Quatre modalités de reprise sont offertes aux élèves : en présentiel, à distance, en étude ou au sein du dispositif 2S2C (sport, santé, culture et civisme). En présentiel, les cours d’EPS obligatoires et l’animation de l’association sportive par des enseignants d’EPS restent les priorités ».
Il est intéressant de constater que la France a choisi, en se basant sur une argumentation précise, une démarche diamétralement opposée à celle adoptée au Luxembourg, en insistant sur l’importance d’une reprise des cours d’éducation physique et sportive et ce en phase de déconfinement en attribuant justement à cette discipline d’enseignement un statut de priorité.
Le Luxembourg, en tant que pays souverain, n’est évidemment pas dans l’obligation d’imiter les autres pays, d’autant plus que les réactions face à la pandémie peuvent être très différentes entre les nations qui nous entourent. L’argumentaire sanitaire qui est à la base de cette suspension temporaire est valable pour les activités sportives générant des contacts entre les jeunes. Ceci peut être le cas pour les sports collectifs. En revanche, la course à pied à l’extérieur, en respectant une distanciation sociale, serait parfaitement possible.
L’importance de l’activité physique n’est pas mise en cause. D’ailleurs, quel politicien oserait en 2020 s’attaquer au sport et aux vertus de l’activité physique ?
Ce qui est regrettable, c’est le manque de considération que les responsables politiques ont porté à la discipline d’enseignement EPS à l’école, en supprimant les cours sans plus d’explications et en ordonnant aux professeurs concernés de s’investir au lycée dans d’autres activités qualifiées d’« essentielles ». Les enseignants en EPS au Luxembourg se sont montrés flexibles – gymnastique oblige –, disponibles et compréhensifs. D’aucuns ont donc attendu à la maison pour être sollicités au cas où, en prolongeant ainsi leur période de confinement. D’autres ont, avec engagement, élaboré des séquences digitales pour activer leurs élèves à distance via YouTube ou autres canaux de distribution virtuels. Il y a fort à parier que les professionnels d’autres matières scolaires auraient protesté hardiment contre une décision politique nuisant au statut de leur branche d’enseignement.
Une autre réflexion peut attiser encore notre questionnement. Pourquoi est-ce que cette décision politique a été si peu commentée ? On aurait pu s’attendre à un appui constructif des organisations qui œuvrent dans le secteur du sport, de la motricité et de la santé. À part une réaction timide et assez tardive de l’Association des professeurs d’éducation physique, force est de constater que le Comité olympique et sportif luxembourgeois et les fédérations et associations affiliées qui s’investissent en faveur de la promotion des activités physiques dans notre société sont restés discrets sur la question. La représentation nationale des parents a adressé une lettre ouverte au ministre de l’Éducation. Elle est restée néanmoins muette en matière de suspension des cours d’EPS. Or, nous avons tous intérêt à ce que les cours d’EPS à l’école reprennent le plus rapidement possible.
L’année 2004 avait été proclamée Année européenne de l’éducation par le sport par l’Union européenne, avec un slogan conquérant : « Move your body, stretch your mind ». Si, au niveau de la prise de conscience des citoyens, beaucoup de chemin a été fait depuis lors, l’action politique suit avec retard et le « stretch your mind » d’il y a seize ans demeure toujours d’actualité. Le gouvernement en place ferait bien de réanimer rapidement les cours d’EPS suspendus pour rendre superflu tout chant de requiem. En ces temps incertains et en l’absence de vaccin contre le Covid-19, une population avertie et en bonne santé physique demeure un excellent point de départ pour faire face à une nouvelle flambée du nombre d’infections.