« D’Spaassgesellschaft ass eriwwer », avait déclaré Jean-Claude Juncker (CSV) après les attentats de 9/11 et se fit alors amplement moquer en rabat-joie par la jeunesse insouciante. Xavier Bettel n’avait même pas trente ans, venait de se faire élire député à force de tournées nocturnes de distribution de pop-corn dans les bars branchés de la vieille ville – et avait de l’insouciance à revendre. Voilà donc une cruelle ironie du sort : deux décennies plus tard, le même Bettel, le regard assombri par les nuages d’une inquiétante remontée des infections au Covid-19, doit déclarer cette semaine la fin de l’insouciance. Car la recrudescence du virus qu’on constate depuis ce week-end, jusqu’à une quarantaine de tests positifs par jour, est due à la dernière phase du déconfinement, entrée en vigueur avec la fin de d’état de crise le 24 juin, celle de la levée des restrictions dans le domaine privé.
Un cluster de 24 personnes qui se sont infectées lors d’une fête privée de 70 personnes, vingt personnes testées positives au Findel, en revenant de vacances, de city trips ou de voyages d’affaires, des infections plus éparses lors de barbecues ou de fêtes privées – les nouvelles infections sont essentiellement constatées dans le privé. Voilà les quelques données concrètes dévoilées par Xavier Bettel et la ministre de la Santé, Paulette Lenert (LSAP), lors d’une conférence de presse ce mercredi. Et d’ajouter que les nouveaux malades sont souvent ceux qui ignorent les règles de distanciation sociale, le port du masque ou les gestes barrières. Le traçage analogue des contacts des concernés a comme avantage de pouvoir en même temps faire de la sensibilisation, estima Paulette Lenert. Une modification à la loi Covid-19 doit réintroduire ces limitations dans la vie sociale privée que le Conseil d’État avait fait capoter. Mais, sans état de crise, cela prendra au moins deux semaines de travaux parlementaires. Le gouvernement cherche donc avant tout à responsabiliser les citoyens.
Or, la « vie nue » (Agamben) qui prévalait durant la première phase du confinement, fin mars, début avril, est devenue invivable pour beaucoup. Il suffit de se balader un soir dans les rues de n’importe quelle ville, d’observer le besoin humain de vivre cette « insoutenable légèreté de l’être » (Kundera) d’un été doux et ensoleillé, à la terrasse d’un bar ou simplement dans un parc, pour prendre conscience du difficile exercice d’équilibriste que doit actuellement faire un gouvernement dirigé par un libéral – donc en principe défenseur des libertés individuelles et opposant passionné à un État autoritaire. Peut-il interdire la joie de vivre ?
Et si la montée de conspirationnistes, des je-m’en-foutistes et des ignorants prouvait que le seul moyen d’impliquer et de responsabiliser les citoyens était d’informer vraiment et en toute transparence : que faire face à une infection d’un élève, d’une cliente ou d’un employé ? À partir de quel nombre d’infections à un endroit y aura-t-il une quarantaine sectorielle ? Pour éviter un nouveau confinement général, des confinements locaux sont-ils envisagés ? Si le gouvernement exclut une deuxième mise à l’arrêt de l’activité économique et affirme que le secteur de la santé est désormais préparé et le matériel disponible, quelles mesures extraordinaires sont envisageables ? Y aura-t-il un nouveau recours à l’article 32.4 instaurant l’état de crise ?
Autant de questions que se posent les citoyens et qui restent sans réponse. Certes, on en sait désormais beaucoup plus sur le coronavirus, ses symptômes et son déroulement comme n’arrête pas de le souligner la ministre de la Santé. Les pays avec le plus de succès dans l’éradication du virus sont ceux qui ont couplé mesures drastiques et informations détaillées, comme la Nouvelle-Zélande. Le Luxembourg y vient à petits pas et un peu à contrecœur, a-t-on l’impression. Même si la transparence sur les clusters, les campagnes de tests et leurs résultats s’améliore et que des briefings hebdomadaires sont annoncés.
Le 16 mars, jour du début du confinement général, il y eut 33 nouvelles infections au Covid-19. Ce mercredi, il y en avait 46.