Mister Trigger

d'Lëtzebuerger Land vom 27.09.2019

« Je vous l’assure : je n’ai pas de carte de membre du DP ! » Ben Olinger y va du tac au tac. « Je suis quelqu’un de très intéressé politiquement, mais il n’y aucun parti avec lequel je m’identifie complètement. » Mais lorsque la présidente du DP, Corinne Cahen, l’appela en début d’année dernière pour faire une campagne publicitaire pour le parti et son Premier ministre, candidat tête de liste aux législatives d’octobre 2018, Olinger n’hésita pas vraiment. « Je dois dire que travailler pour le Premier ministre, et a fortiori quelqu’un comme Xavier Bettel, qui se prête complètement au jeu, c’est vraiment cool. » Il se souvient des briefings pour la campagne Better call Bettel (d’Land du 3 avril 2018), où Bettel, « en grand professionnel de la communication qu’il est », comprit tout de suite ce que Olinger et son équipe demandaient de lui – et s’exécuta illico presto (la campagne mettait en scène un Premier ministre à l’écoute du peuple à Diekirch où à Grevenmacher). Pour Olinger et ses associés, Peter Becker (ancien de Moskito) et Daniel Nepgen (ancien de RTL), cette campagne était du pain béni : ils venaient de lancer leur agence de communication Gotcha ! – In your face et cela leur donna tout de suite une visibilité maximale.

Saut dans le temps. Ce lundi au Café Interview pour une interview – « c’est fou, c’est la première fois que je viens ici » sourit-il –, Ben Olinger fait le point. Becker et Nepgen ont quitté le navire, « pour raisons de santé », et il se retrouve seul à bord. Chemise bleu clair, jean, sneakers et sac à dos, lui, le Minetter (il est originaire de Belvaux) qui n’a pas fait d’études universitaires, vient de lancer un grand coup « en ville », au centre du pouvoir. La campagne de guerilla marketing autour du « coach et blogger » Yves Kinnen pour l’exposition #Wielewatmirsinn, c’est lui (voir page 5), c’est Gotcha ! Et contrairement aux deux autres campagnes comparables pour Xavier Bettel et pour la Radio 100,7, #Geheimradio, toutes les deux accidentées dans leur troisième volet (pour Bettel, le troisième épisode n’avait pas été diffusé par décence, en pleine catastrophe naturelle au Mullerthal, et pour la radio, le directeur Jean-Paul Hoffmann a démissionné en cours de route), cette campagne-ci a été officiellement révélée par les responsables du Musée national d’histoire et d’art et la Chambre des députés à la Braderie début septembre.

Le personnage d’Yves Kinnen (joué par l’acteur allemand Walter Schmuck) était génial parce qu’il mettait en abyme, davantage encore que les deux autres campagnes, les réflexes du public, des internautes et des médias. L’homme avait son profil Facebook et publiait durant plusieurs semaines des nouvelles et des commentaires avec des idées loufoques pour limiter le droit de vote en en excluant, tour à tour, les hommes, les végans, les gens avec des chiens ou les célibataires. Dans un pays où il y eut un mouvement en ligne qui proposa l’introduction de vignettes payantes pour l’utilisation des autoroutes luxembourgeoises par les travailleurs frontaliers, cela ne choqua guère au début. Jusqu’à ce que, vers la fin, Kinnen proposa, avec d’énormes calicots installés le long des voies d’entrée en ville, d’exclure les automobilistes. Là, un journaliste zélé de RTL Radio prit une photo et se demanda, benêt, « s’il ne s’agit pas d’une provocation ». Puis le personnage promit sur Facebook d’exclure des urnes ...les utilisateurs de Facebook. « Je gérais toute la campagne en-ligne, et je me faisais un malin plaisir de jouer les trolls parmi les trolls – donc je m’appliquais à faire des fautes de luxembourgeois en répondant en tant qu’Yves Kinnen ». Olinger a le sourire malicieux quand il en parle. Beaucoup de gens (dont le Land, 35/19) étaient persuadés qu’il s’agissait de la dernière frasque du collectif Richtung 22. Donc la ruse a fonctionné et la campagne attiré l’attention voulue sur l’exposition.

Est-ce que le rire est toujours la réponse à tout ? « C’est vrai que j’ai souvent utilisé l’humour comme moyen stylistique…, concède-t-il. Mais l’essentiel, en fait, c’est de provoquer une émotion. Car le public est très sollicité, surtout sur les réseaux sociaux, un swipe est vite fait ». Ce qu’il faut pour qu’une campagne de marketing soit réussie, c’est un trigger, un déclencheur. Ben Olinger, qui se dit désormais storyteller et désigne son téléphone portable comme étant son bureau (en vrai, le siège de Gotcha est au 1535 à Differdange), vient de la radio. Ayant débuté à seize ans (il en a 33 aujourd’hui) comme freelance à la radio associative RLB, il rejoint Eldoradio en 2005 et y reste presque quinze ans. Son impertinence plaît à RTL, qui lui propose une plateforme : ce sera Ben’s Club, durant trois saisons. « L’idée, c’était de faire une sorte de Late night show… mais on passait à 18 heures ». Pour son inspiration, Olinger dévore Youtube et les grands comedians américains. Il ne lui faut que quelques jours pour réaliser Luxembourg second en février 2017, un clip satirique féroce se moquant de la rhétorique de Donald Trump (sur le modèle d’une émission néerlandaise). C’est un énorme succès, plus de 1,4 million de vues et un appel de Jan Böhmermann, le grand modèle allemand, qui l’invite à une rencontre à Cologne et au European Comedy Summit (qui devait se tenir l’année dernière, mais cela ne s’est pas fait). « Je me souviens, on a fait ce clip en quatre jours et on l’a lancé un dimanche soir. Et quand je suis arrivé à RTL lundi matin, les collègues m’ont dit qu’ils voulaient commencer à réfléchir à une version luxembourgeoise... Nous avions été bien plus rapides. »

josée hansen
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