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d'Lëtzebuerger Land vom 20.09.2019

3 354 : c’est le nombre de photos que j’ai enregistrées sur mon GSM en trois mois. Le mariage d’un ami, la Fête Nationale, nos vacances en Grèce, un resto à Paris en famille, mon city trip à Anvers, l’anniversaire de mon enfant, la Schueberfouer en long, en large et en traves, ma tarte aux mirabelles, mes amis, les enfants de mes amis… Bref, un paquet de souvenirs, tous compilés dans une galerie virtuelle finalement aussi fragile que mon téléphone entre les mains de mon fils de deux ans.

3 : c’est le nombre d’albums photos rangés dans ma bibliothèque. De vrais albums, dans ma vraie bibliothèque, celle qui est remplie de romans aux pages cornées, de livres de cuisine et de vieilles éditions jaunies. Un album de mariage, un album de nous avant le mariage et un album de nos premières vacances à deux. Non, je n’ai même pas fait d’album de ma grossesse, de mon fils bébé, de ses premiers pas et de toutes ces choses qu’on aimerait voir immortalisées à vie sur papier glacé. Pourtant, toutes ces photos existent, gentiment entreposées au fil des ans dans des dossiers bien classés, eux-mêmes stockés dans deux disques durs endormis sur mon bureau. Deux, car attention !, je prends mes précautions, sait-on jamais qu’un des disques durs rende l’âme… En attendant, je les cache chaque jour un peu plus derrière l’écran de mon ordinateur, ces disques durs, histoire de moins en moins les voir pour de moins en moins y penser. Car clairement, je culpabilise et surtout, j’angoisse un peu, malgré ma double sauvegarde, de perdre un jour ces milliers de photos qui retracent ma vie.

Enfin pas toute ma vie car heureusement, ma maman conserve, elle, une vingtaine de gros albums remplis de clichés de ma sœur et moi à tous les âges. On y retrouve même encore nos premiers pass de ski, voire un ou deux dessins de notre période abstraite. Plusieurs fois par an, on finit toujours par s’y replonger après un repas de famille. Mon père s’assoit sur le canapé du salon, pose l’album sur ses genoux et on s’y agglutine tous autour. On rit de nos coupes de cheveux, de nos styles vestimentaires, on se souvient de ce Noël 1999, de cette balade sur une plage en Italie… et souvent, l’album laisse place à un vieille cassette VHS, pleine de films de notre enfance. On la visionne tous empreint de nostalgie et c’est beau, ces moments de famille.

Moi, j’ai aussi au moins une cinquantaine de films du premier bain de mon fils, de sa première purée de carottes, de son premier sourire. Mais pour les voir, il faut s’agglutiner autour d’un écran, dans un bureau où s’empile le linge à repasser et le courrier à trier. Puis il faut consulter le dossier « Félix 2017 » et prendre son mal en patience pour tomber, parmi les centaines de .jpeg, sur le bon fichier .mp4. Et ça, tout ça, ça me désole. Alors oui, je pourrais m’enfermer dans ce fameux bureau tout un week-end, prendre le problème à bras le corps, trier, classer, ranger, faire imprimer ou simplement importer le tout sur un site Internet qui m’enverrait, quelques jours plus tard, un album imprimé, tout lisse et tout parfait. Mais je procrastine car je me sens noyée sous ces milliers de photos. Trois mille et quelques en trois mois ça fait plus de 120 000 en dix ans, et ce chiffre-là, clairement, il me donne le vertige.

Alors comment on faisait, avant ? Eh bien avant, on achetait des pellicules de 27 poses, on rentrait avec 27 photos qu’on faisait imprimer directement au retour des congés et qu’il ne restait plus qu’à coller sur quelques pages cartonnées ou, pour les moins regardants, à conserver dans la boîte plastifiée donnée par le photographe. Pour nos dernières vacances, c’est finalement ce que j’ai fait. J’ai investi dans un de ces bons vieux appareils jetables que j’emportais avec moi, petite, dans mes voyages scolaires. Glissé dans mon sac, il m’a accompagné partout et a suscité beaucoup de sourires autour de moi quand je m’en emparais pour faire un cliché, un seul, d’un paysage ou d’un dîner en bord de mer. Je viens de le déposer chez le photographe et vous savez quoi, j’attends avec une excitation toute particulière de découvrir mes 27 photos. Sans doute seront-elles un peu floues, sans doute certains d’entre nous auront les yeux fermés, mais qu’importe. Mes photos seront là devant moi et, en attendant que je m’attaque à mes disques durs, une partie de notre été 2019 sera, au moins, à jamais palpables entre nos mains.

Salomé Jeko
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