Édito

Retour sur investissement

d'Lëtzebuerger Land vom 02.03.2018

La politique peut être si facile : quand on donne congés et argent aux gens, ils sont... contents. C’est ce que la ministre de la Famille et de l’Intégration Corinne Cahen (DP) a pu constater ce mardi, lors de la présentation d’un premier bilan de satisfaction quant à sa réforme du congé parental, « qui était très importante pour moi et mon parti », entrée en vigueur en décembre 2016. Non seulement le nombre de personnes prenant le congé parental a explosé – plus 70 pour cent entre 2016 et 2017, même plus 190,4 pour cent chez les hommes –, mais en plus, ces personnes sont, à 85 pour cent, « extrêmement ou très satisfaites » de ce nouveau congé parental, comme a pu l’observer l’institut TNS-Ilres dans une enquête.

Satisfaites parce que désormais, les couples ne doivent plus choisir entre travailler et avoir des enfants, mais peuvent concilier les deux, souligna Charles Margue de l’institut de sondage. Satisfaites aussi parce que le congé parental n’aurait que des avantages dans la relation avec l’enfant, permettrait de concilier vie privée et vie professionnelle, et serait même bénéfique à la vie de couple et à la répartition des tâches ménagères. Avec un revenu de remplacement plafonné à 3 331 euros, il est même désormais économiquement attractif pour celui ou celle du ménage qui a le revenu le plus élevé. Alors que les femmes prennent encore majoritairement le premier congé parental, immédiatement après le congé de maternité, et les hommes le deuxième, les mères préfèrent le modèle de six mois à plein temps, alors que les pères choisissent souvent les congés fractionnés à temps partiel, notamment la version de un jour par semaine durant vingt mois.

Autant de satisfaction en période électorale a un prix, bien sûr : le poste inscrit au budget d’État pour payer ces congés a plus que doublé, des 74,3 millions d’euros prévus pour l’indemnisation du congé parental en 2016 à 165 millions d’euros cette année. « Une réussite fulgurante » titrait ce mardi Le Quotidien, unisono avec le Journal, « Ein voller Erfolg » et le Luxemburger Wort, « Ein ganz großer Erfolg ». En cumulant les réformes de politique familiale – elle a aussi réformé l’allocation familiale, celle de vie chère et le RMG, restructuré les congés spéciaux ou renommé la Caisse nationale des prestations familiales en « Caisse pour l’avenir des enfants » – et en se montrant ostensiblement accueillante vis-à-vis des demandeurs de protection internationale, surtout en 2015/2016, Corinne Cahen est devenue, en quatre ans, une sorte de Madame conscience sociale du DP. Et le parti libéral, traditionnellement plus proche du patronat que des salariés, la laisse faire. Parce que durant la campagne électorale, elle s’avère être leur arme pour conquérir les franges à gauche du centre, sur les plates-bandes des Verts et des socialistes.

Ce ne fut donc pas un hasard qu’elle ouvre, discrètement, un autre débat en marge de sa conférence de presse sur le congé parental : celui sur le temps de travail. « Cette réforme-ci n’est que le début de quelque chose de plus grand, nous devons continuer à réformer, par exemple nos modèles de travail. » Car si les hommes plébiscitent les 32 heures par semaine et apprécient d’avoir une journée par semaine avec leurs enfants, est-ce qu’il ne faudrait pas généraliser ce modèle ? Corinne Cahen ne continua pas sur sa lancée, qui l’aurait probablement menée vers une réflexion plus générale sur la réduction du temps de travail, pourquoi pas à salaire égal, comme le demandent les syndicats et comme l’a évoqué son homologue socialiste à l’Économie, Etienne Schneider, dans la foulée des débats sur l’étude Rifkin, l’année dernière. Travailler moins, mais travailler mieux ? Ce serait, avait alors commenté Carlo Thelen de la Chambre de commerce, un « choc déstabilisateur » pour les entreprises luxembourgeoises. Pourtant, les grands patrons, eux, ont pris l’habitude de se retirer des affaires courantes à quarante ou cinquante ans. Pour mieux pouvoir concilier vie professionnelle et hobbies.

josée hansen
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