Édito

Pantalonnade

d'Lëtzebuerger Land vom 10.07.2020

Des années sans nouvelles – et soudain, ça urge. Mardi prochain, 14 juillet, alors même que tout le monde est déjà en mode vacances, aura lieu, comme par surprise, le Débat de consultation au sujet du service public dans les médias annoncé depuis des années par le(s) gouvernement(s) Bettel. En toute urgence, comme s’il y avait le feu, la commission parlementaire de la Digitalisation, des Médias et des Communications a continué ces derniers jours ses consultations des professionnels des médias, en écoutant des représentants du Conseil de presse, de l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels, des radios locales et, bien sûr, de RTL Lëtzebuerg (ceux de l’établissement public chapeautant la Radio 100,7 étaient déjà passés avant la pandémie). On n’a jamais entendu le président de ladite commission, l’avocat d’affaires fidèle de Xavier Bettel, Guy Arendt (DP), prononcer un seul mot en faveur d’un service public fort, dans n’importe quel domaine de l’État. Ceux qui ont été auditionnés sortaient perplexes des discussions, basées juste sur une compilation libre de 145 pages de documents divers liés de près ou de loin au sujet. Parmi les députés qui siègent dans la commission, seule Francine Closener (LSAP) a une idée du fonctionnement des médias audiovisuels – elle vient de RTL.

La raison de ce débat pourtant est simple : comme toujours au Luxembourg, la politique médiatique sert « les copains d’abord ». Et les vrais copains de Gambia, c’est – bien sûr – RTL. Que le Lëtzebuerger Journal, pourtant le journal du DP, meure ne provoque qu’un haussement d’épaules de Xavier Bettel. Mais que RTL menace toujours et encore de quitter le Luxembourg après 90 ans de siège historique, effraie. C’est pourquoi le gouvernement leur a fait miroiter, dès la négociation du nouveau contrat de concession, en mars 2017, un chèque de dix millions d’euros annuels à partir de 2021 – en contrepartie d’une convention « sur la prestation du service public luxembourgeois en matière de télévision ». Cette obligation, la CLT-Ufa l’avait depuis toujours, mais elle l’assurait en contrepartie du droit d’utilisation des fréquences luxembourgeoises pour conquérir les paysages audiovisuels voisins verrouillés par des monopoles publics. À l’ère d’internet, les fréquences ne valent plus rien et RTL va là où les conditions sont les plus favorables, comme sa chaîne belge vient de le prouver en retournant sous licence belge pour toucher cinq millions d’euros d’aides directes.

Lorsque Laurent Loschetter, le copain de Bettel, présidait la Radio 100,7, il a réussi à négocier une progression considérable de la dotation budgétaire publique, jusqu’à 7,5 millions d’euros en 2023. Mais cette aide a été liée à une obligation de progression de l’auditoire de la radio (4,2 pour cent cette année selon Plurimedia, soit autant que la privée Radio Latina). Dans la valse des responsables de la radio (changement de direction et de présidence), la rédaction s’inquiète pour son indépendance, craint des dérives d’immixtion dans le contenu via la gouvernance (nomination politique du CA) et Marc Gerges fait un programme dont l’esthétique ressemble de plus en plus à RTL (concepts légers de papotage décontracté et communication positive).

Pendant la pandémie pourtant, le concept de RTL a clairement montré ses limites, les différentes « marques » de la maison du Kirchberg étant souvent réduites à un canal ouvert à la communication tous azimuts du gouvernement – une sorte de Service information et presse de luxe pour la communication de crise (la technique, ils savent y faire...). On est donc en droit de ne s’attendre qu’à une pantalonnade lors de ce débat coincé entre deux projets de loi ayant trait à la lutte contre la pandémie et la crise économique. Un alibi en quelque sorte, pour justifier les dix millions d’euros d’argent public attribués à RTL. Xavier Bettel pourra à nouveau se donner un satisfecit : c’est bien d’en avoir parlé.

josée hansen
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