CSV

Déliquescence

d'Lëtzebuerger Land vom 24.04.2008

Pas une seule question. Mercredi soir, le CSV ouvrait sa campagne « Mat Iech am Gespréich. » (en discussion avec vous) à Sandweiler, et durant les plus de deux heures de la soirée, pas une seule question ne portait sur l’euthanasie, pourtant le grand sujet politique du moment. « Les questions que nous posent les gens ne sont pas toujours les mêmes que celles qui sont thématisées dans les médias, » avait souligné le président du parti, François Biltgen, lors de la présentation de la campagne lundi. Mercredi soir, il insista plusieurs fois auprès de la modératrice de la soirée, Bibi Krings, de s’enquérir encore et encore de l’envie de l’un ou l’autre membre de l’assistance – une trentaine de personnes, composée à soixante pour cent de membres du parti selon un de ses fonctionnaires – de savoir s’il n’y avait pas d’autres questions – c’était non.

Pourtant, une douzaine de personnes avaient profité de l’occasion pour poser des questions aux membres du gouvernement et aux députés présents sur les sujets qui les touchent : problèmes de scolarité d’enfants à besoins spécifiques et l’in­capacité du système scolaire d’y répondre, intégration et désintégration en rapport avec l’immigration avec le reproche à l’encontre du CSV de pratiquer une politique trop restrictive et trop sélective, transport public, crise alimentaire (« Je m’inquiète, car avec le biodiesel, on nourrit la machine et pas l’homme »), encadrement et accueil de personnes âgées, un mot sur les retraites, inflation, indexation des salaires, hausse des prix et baisse du pouvoir d’achat, marché du logement et beaucoup de questions sur le marché du travail et l’inquiétude que leurs enfants ne trouvent plus ni emploi, ni logement… Autant de problèmes privés quotidiens, qui touchent les gens très personnellement et  auxquels ils ne trouvent visiblement pas de réponse ailleurs. 

« C’est important pour nous d’aller voir les gens et de sonder ce qui les préoccupe, concluait le président François Biltgen mercredi. Et de ne pas nous laisser imposer des sujets ! » Deux heures plus tôt, la présidente de la circonscription Centre, Martine Stein-Mergen, avait ouvert la soirée en estimant que « nous ne devons pas nous laisser mettre la pression par les autres partis » et que « le «’CSV-boxing’ est visiblement le sport du moment ». Avec François Biltgen et le président du groupe parlementaire, Michel Wolter, également présent lors de cette campagne (qui, jusqu’au 5 mai, les mènera encore à Ehlerange, Marnach et à Echternach), Martine Stein-Mergen, docteure et vice-présidente de la commission de la Santé à la Chambre des députés, est une des principales actrices du CSV dans le dossier de l’accompagnement en fin de vie, médecine palliative et euthanasie (voir d’Land du 18 avril 2008).

Or, contrairement à ce que le parti laisse officiellement entendre, le problème principal dans ce dossier émane moins des partis concurrents que du CSV lui-même, qui a sous-estimé le sujet et l’ambiance prédominante parmi les députés le 19 février. Être mis en minorité par une alliance arc-en-ciel LSAP, DP et Verts et voir une proposition de loi qu’il conteste adopté au Parlement a surpris le parti au pouvoir depuis trente ans. Depuis ce vote que beaucoup qualifiaient d’historique, les autres partis n’en reviennent pas non-plus, se réjouissent de voir le CSV atterré et ne ratent pas une occasion de le souligner. Et d’appeler à la vigilance quant à sa stratégie pour sortir de ce cul-de-sac – certains, comme notamment les auteurs de la proposition de loi, estimant que le CSV ne peut changer un iota à ce texte, au risque de le dénaturer. Après un premier mois de réflexion, le CSV cherche à définir une nouvelle position pour une sortie de crise depuis un mois.

Lundi 21 avril, il l’a publié dans le CSV-Profil du Luxemburger Wort, et Michel Wolter a essayé de l’expliquer lors d’une conférence de presse : le CSV est contre l’introduction du principe général de l’euthanasie mais veut privilégier la médecine palliative. Toutefois, il affirme accepter, en bon démocrate, le vote de la majorité et vouloir participer à « améliorer » le texte de la proposition de loi Err/Huss, qui n’avait jamais été soumis à une analyse article par article au parlement avant le vote. Dans le cadre de cette analyse, le CSV, qui se veut constructif, aimerait néanmoins provoquer quelques changements, dont notamment deux qui sont essentiels : en premier lieu, le texte devrait clairement indiquer que le recours à l’assistance médicale à mourir doit être une exception, et en deuxième lieu, la commission médicale prévue pour aviser les cas de demandes d’euthanasie devrait être saisie avant et non pas après l’acte – cette revendication émanant de l’association des médecins AMMD, qui veut avoir un maximum de sécurité juridique pour ses membres amenés à pratiquer de telles euthanasies. 

« Mais il faut être clair, si les trente députés qui ont adopté le principe contenu dans la proposition de loi en février veulent refaire la même chose en deuxième lecture, libre à eux de le faire, » souligna un Michel Wolter passablement agacé lundi. Mais que le CSV se propose de collaborer afin d’améliorer le texte, se référant notamment à une main tendue par son homologue socialiste Ben Fayot dans un texte publié dans ce journal sur le caractère exceptionnel de l’euthanasie. Des discussions entre les deux partis avaient lieu mercredi, un consensus se dessinerait apprend-on en coulisse.

Pourtant, malgré la position affichée en public – du type « l’euthanasie n’est pas le sujet qui préoccupe le plus les Luxembourgeois » – l’étape est décisive pour le CSV. Car elle a permis de voir l’état du parti après le charismatique Juncker, plutôt absent de cette discussion, sinon pour souligner le sérieux du sujet et en appelant à l’éthique personnelle de chaque député. Et ce que l’on y voit n’est pas glorieux. Les décideurs du CSV en sont conscients, d’où leur agacement. Depuis toujours, le CSV est pris en tenaille entre deux attentes opposées en son propre sein : d’une part, les progressistes qui lui demandent de se moderniser, d’oser des positions adaptées aux questions, notamment sociétales, du XXIe siècle. Et de l’autre les catholiques et traditionalistes, qui ont connu un regain de pouvoir avec le retour du religieux, notamment au Luxemburger Wort. En gros, le gouffre gauche / droite traverse aussi le CSV avec un discours très manichéen. Ce qui est nouveau, c’est qu’il ne semble plus y avoir de médiateur, de primus inter pares, qui donne la direction à suivre dans de telles questions morales.

Le même manichéisme se reflète d’ailleurs dans l’opinion publique, notamment la presse politique : pétition de l’action « pour la vie et contre l’euthanasie » publiée dans le Luxemburger Wort, la réponse « pour le droit de mourir en dignité » paraissant dans le Tageblatt. Dans ce débat, l’euthanasie, parce qu’elle touche à la vie et à la mort, polarise – et pose des questions politiques fondamentales sur l’autorité de l’État dans la vie privée de l’individu. Dans ce champ, les libéraux, au DP et ailleurs, ne jurent que par le droit à l’auto-détermination de l’individu, alors que les catholiques en réfèrent à une autorité supérieure, un dieu qui « donne et prend » la vie, et dont l’église et ses lobbies doivent défendre les principes.« Ce manichéisme me gène, » estime le président du CSV, pour lequel il est essentiel qu’une loi sur le sujet contienne aussi des garde-fous, pour éviter par exemple que des grabataires soient « discrètement » poussés vers l’euthanasie pour, par exemple, des raisons économiques, une piqûre étant moins chère que des mois ou années de soins palliatifs. Cette crainte est réelle chez beaucoup de personnes âgées.

Le CSV essaye donc de paraître responsable, sur cette question comme sur toutes les autres, « nous avons des spécialistes dans tous les domaines, » affirma Martine Stein-Mergen mercredi soir. La campagne de quatre réunions publiques, ouvertes aux non-membres, doit déboucher sur un document de travail fixant les positions du parti sur les sujets « qui occupent les gens », en vue de la déclaration du Premier ministre sur l’État de la nation, en mai, et de la campagne électorale pour les législatives de juin 2009. Et il tente de faire « jeune et branché » avec une identité visuelle légèrement adaptée, des portraits grands formats de Luxembourgeois, enfants, jeunes, adultes, troisième âge, immigrants, et des slogans hachés par d’utilisation poussée de signes de ponctuation : « Politik. Am Sënn vum Land », « CSV. Matt Iech am Gespréich », « D’Land. Seng Leitt. Jidder Eenzelen zielt. » 

Malgré les affirmations du secrétaire général du parti, Marco Schank, par ailleurs très évasif sur les questions sociétales dans le chat vidéo publié sur www.csv.lu, que cette tournée publique est un engagement de proximité pris après les dernières élections, récurrente depuis 2004, elle a tout l’air d’une répétition générale de la campagne à venir. Cela se sent rien qu’à la présence des jeunes loups, comme Alain Biren de la Stëmm vu Bouneweech, qui militait contre la Fixerstuff, de Serge Wilmes président de la CSJ, qui estima, samedi dans le Wort, qu’il s’attend tout naturellement à ce qu’on lui offre une place sur une liste électorale, qui, visiblement, se mettent en place pour cette prochaine échéance. 

Car il se pourrait bien que les prochaines élections aient lieu sous de nouveaux auspices, si le Premier ministre Jean-Claude Juncker, star incontestée du CSV et de tout le monde politique autochtone, était vraiment nommé Président de l’Union européenne. Non seulement son siège luxembourgeois est-il convoité par nombre de prétendants au sein du CSV, de Luc Frieden à François Biltgen, en passant par Claude Wiseler, mais en plus, sans sa popularité, de nouvelles corrélations et alliances politiques deviendraient possibles. Vers l’extérieur et à l’intérieur du parti. Vu sous cet angle, on peut donc estimer que le débat sur l’euthanasie n’est qu’un des symptômes de ce phénomène au CSV. Et constater qu’il avance un peu comme une poule décapitée.

josée hansen
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