«Trois personnes - trois sujets: famille perdue, pardon et compréhension». C'est ainsi que Fred Kaufmann (Jean-Paul Maes) présente les trois invités de son Talkshow. Le principe est connu, trois candidats sur un plateau de télé, qui étalent leur vie privée, dans l'espoir de... Jimmy Nilles (Jules Orlando) veut retrouver sa soeur jumelle, Patrick Loos (Mike Tock) espère que sa femme (Christiane Durbach) lui pardonne la mort de leur enfant, qu'il a causée en conduisant saoul et enfin Madame Eva (Isabelle Costantini) souhaite garder l'enfant qu'elle s'était engagée à mettre au monde contre rémunération.
«Schwätz a weis!», la phrase fétiche du talkmaster Fred Kaufmann, tirée de la traduction de son Talkshow, pourrait bien être le leitmotiv des créations de Serge Tonnar (l'auteur) et Eva Paulin (la metteuse en scène; voir interview dans d'Land 29/04). Le touche-à-tout Serge Tonnar aime bien sur les planches aussi mélanger les genres en y mettant texte, son et image. Et tout comme pour le précédent Schlof, Këndche, schlof, qu'il avait encore mis en scène lui-même, Talkshow joue sur tous les bords.
Fred et ses acolytes, tels les acteurs d'un show réel, clament leurs textes micro en main; caméra à l'épaule, une jeune femme (Corinne Van der Zande) suit les évènements pour réaliser, comme dans les émissions du même nom, des gros plans évocateurs du faciès de Kaufmann et finalement des vidéos, tournées par le frère (Yann Tonnar ) ajoutent des bouffées d'air frais. Mais, contrairement à ce que Serge Tonnar avait réussi à faire pour Schlof Këndche schlof, les gadgets mis en oeuvre à Steinfort, ne sortent pas la pièce de sa banalité.
Est-ce parce qu'au bout d'un exercice du même genre, son originalité est usée? Est-ce parce que cette fois-ci, Serge Tonnar n'était pas lui-même aux commandes ou tout simplement parce que la pièce ne s'y prête pas... Car mi-figue, mi-raisin, Talkshow critique ce système d'étalage de l'intimité, un gant de fourrures à la main. Dans le texte, l'auteur voit certes d'un oeil acerbe le personnage de Fred Kaufmann (comme à son habitude admirablement interprété par Jean-Paul Maes), un de ces media people excité par lui-même, qui n'hésite pas à se voir soi et son système comme la dernière instance divine ou démocratique.
Mais, mis à part le talkmaster antipathique, la pièce éclaire la problématique de ces émissions du toujours plus (de malheur, d'intimité, de cruauté), sous le même angle que les projecteurs télé. Les histoires et personnages choisis semblent anodins, comparés à ceux qu'on a pu voir la dernière décennie durant, en début d'après-midi sur les chaînes privées allemandes. Le tout reste incroyablement décent et ce n'est que par quelques artifices finaux que Serge Tonnar tente, sans convaincre, de démontrer la perversité du système. L'auteur extrapole le concept connu des talkshows en une émission plus perfide encore, dans laquelle on fait croire à certains candidats que la solution à leur problème a été trouvée, alors qu'il n'en est rien.
Peut-être qu'après cinq ans (Talkshow a été écrit en 1999), l'intrigue a simplement perdu de son panache vu ce qui se fait aujourd'hui sur petit écran, mais le fait est qu'au final, une pièce qui se voulait critique envers le monde médiatique n'est plus qu'une comédie légèrement sarcastique sur «l'injustice de la vie», comme l'annonce d'ailleurs le sous-titre.
Suit encore le désormais traditionnel épisode de fusillade sur nos planches, d'autant plus dramatique, que l'auteur reconnaît avoir ajouté la scène, après avoir fait lire la pièce à des gens autour de lui à qui il manquait un revirement. Et puis, grand coup final, tout ça n'est que mensonge, tout est fake!
Talkshow sautille entre critique des médias - comme par ce tout dernier revirement, avec la mise en garde naïve: attention ne croyez pas tout ce que vous voyez à la télé! - et la caricature cabarétiste. Et c'est au final cette dernière voie qui aurait pu sortir la pièce de sa banalité. Voie abordée dans les vidéos, avec notamment Maria Meder (Christiane Durbach) en poupée gonflable sur son canapé de la résidence «Angelo» ou encore les quelques délices de la mise en scène, Ginette qui traduit en quasi simultané les propos de l'Américaine Jenny Nilles (Isablle Costanini) ou les «Security Men» (Lex Delles, Serge Reuter), sirotant leur Minute Maid Pomme en arrière-fond.
Mais au final, une frustration, voilà la troisième pièce luxo-luxembourgeoise en un an, qui aborde d'une manière ou d'une autre, la télé et ses réalités et pour la troisième fois de suite, au talk and show, il manque le think ou du moins le véritable Denkanstoss.
Talkshow de Serge Tonnar; mise en scène, espace et costumes par Eva Paulin, assistée par Karoline Maes; musique: Serge Tonnar; films: Yann Tonnar; maquillage: Beatrice Stephany; lumières: Pol Thyes; son: Karoline Maes; construction du décor: ateliers de la commune de Steinfort. Avec Jean-Paul Maes, Marc Sascha Migge, Jules Orlando, Isabelle Costantini, Mike Tock, Christiane Durbach, Jean-Marc Calderoni, Monique Reuter, Fabienne Greis, Céline Reichel, Corinne Van der Zande, Lex Delles et Serge Reuter. La pièce sera encore jouée les 24, 27, 28, 29, 30 et 31 juillet ainsi que les 4 et 8 août à 20.30 heures au centre culturel Al Schmelz à Steinfort ; réservations par téléphone au numéro 39 93 13-1 entre 14 et 16 heures et au numéro 39 98 70 entre 17h30 et 19h30 ou par e-mail : wagner.commune@steinfort.lu.