Stefano Araujo est inquiet. Le responsable du département jeunes du syndicat OGBL ne cache pas sa préoccupation vis-à-vis du Land : « L’école se termine dans les prochains jours. Il y a des milliers de jeunes qui ont écrit leurs examens [plus de 3 500, ndlr.]. Classiquement, ceux qui ne s’engagent pas dans une carrière universitaire commençaient alors à chercher un premier emploi, s’inscrivaient à l’Adem et prenaient de premiers jobs temporaires à la Schueberfouer ou dans un café pour passer l’été – tout cela tombe à plat cette année. Que vont-ils faire ? » Araujo est persuadé que la précarité de cette tranche d’âge va augmenter. Dans un communiqué (du 19 juin), l’OGBL Jeunes lance l’alerte : « Nous ne pouvons pas courir le risque de créer une nouvelle génération oubliée ! »
« Les jeunes sont toujours les premiers frappés dans les crises économiques », confirme Jean Ries. Le chef du département Statistiques et études de l’Adem a élaboré des graphiques interactifs en open data sur data.public.lu qui corroborent ces craintes : Selon les derniers chiffres de l’Agence pour le développement de l’emploi, à la fin mai 2020, le nombre de demandeurs d’emploi augmente en tout de 33,6 pour cent sur un an, soit 5 085 nouveaux inscrits à l’Adem ou un taux de sept pour cent, comme en 2013-15, dans la foulée des conséquences de la crise financière de 2008. En mai, 4 500 jeunes de moins de trente ans étaient inscrits à l’Adem, soit une hausse de 59 pour cent pour les 16-24 ans en un an, et de 48 pour cent pour les 25-29 ans, avec une croissance exponentielle ces derniers mois, depuis mars. Les nombres des bénéficiaires des mesures pour l’emploi, CIE ou CAE surtout, baissent considérablement. « On constate que le chômage des jeunes est toujours très volatile, c’était aussi le cas dans la précédente crise, il y a douze ans », explique encore Jean Ries. Les jeunes étant de plus en plus diplômés, ils sont classiquement aussi plus aptes à trouver des emplois. Si emploi il y a.
Été meurtrier À la Chambre des députés ce mardi après-midi, le ministre socialiste du Travail et de l’Emploi Dan Kersch, interpellé dans le cadre d’une question élargie par Paul Galles (CSV), ne cache pas ses soucis face à la situation du chômage des jeunes. Eurostat a établi un taux de chômage de 24,7 pour cent pour les jeunes résidents luxembourgeois en avril, ce qui équivaut à quelque 6 000 personnes et classe le Luxembourg à la troisième place dans le ranking européen, derrière la Grèce et l’Espagne. « Il n’y a pas de doute que ce sera le grand sujet qui nous occupera dans les prochains mois, concéda Kersch. Je ne vous cacherai pas que le plus gros en matière de chômage reste à venir ». Car lorsque les mesures de chômage partiel pour « raisons extraordinaires » (i.e. la pandémie) viendront à échéance, fin juillet, mais que les secteurs comme l’horeca notamment ne redémarrent pas comme avant le confinement, parce que l’entreprise n’a pas su porter tous les frais ou parce que les mesures de distanciation sociale ne lui permettent pas de fonctionner à cent pour cent, on retrouvera forcément des nouveaux chômeurs dans les statistiques. Au 10 juin, quelque 15 000 entreprises avaient été admises au chômage partiel, selon le tableau de bord du ministère de l’Économie, correspondant à 357 500 salaires versés pour un équivalent de 800 millions d’euros d’avances. Les décomptes finaux seront calculés dans les prochains mois.
Ce qui différencie les jeunes des autres chômeurs potentiels à venir, c’est que pour eux, il s’agit d’un problème d’entrée sur le marché. Ils ne pourront que difficilement opérer cette transition entre école et travail. Même si les mesures d’accompagnement sont nombreuses, que ce soient les contrats initiation-emploi dans le secteur privé (CIE, 431 personnes en mai), les contrats appui-emploi, auprès de l’État (CAE, 330 personnes), l’apprentissage pour adultes ou autres coachings. Comme en offrent par exemple le Service national de la jeunesse ou l’Action locale pour jeunes dans le cadre du projet européen Garantie jeunesse. Ou l’asbl Youth & Work, qui parle même, dans un communiqué (du 17 juin), d’un grand nombre de cas non recensés. Ainsi, chaque troisième participant à leurs coachings ne serait pas inscrit à l’Adem, écrit Youth & Work. Qui constate en outre une multitude de problèmes souvent existentiels auprès de ses clients, où l’inadaptation au marché du travail ne constitue que le cadet des soucis.
Variable d’ajustement Sur le marché du travail, les jeunes sont la variable d’ajustement. Les études concordantes du Statec (Travail et cohésion sociale) et de la Chambre des salariés (Quality of Work Index) montrent qu’ils sont les plus précarisés, aux emplois les moins stables, enchaînant stages, CIE, CDDs ou intérimaires. Et lorsqu’ils trouvent un job fixe, ils doivent travailler plus souvent tard le soir ou les week-ends. Le phénomène des working poors ne leur est pas étranger. Face à la crise du Covid-19, les services sociaux comme Caritas constatent que plus de la moitié des nouveaux demandeurs d’aides sont des jeunes (jusqu’à quarante ans). « Tous ces stages et mesures ne sont que des solutions précaires », regrette encore Stefano Araujo. Pour le syndicaliste, il faut des emplois fixes, des CDI en priorité. Il regrette qu’une mesure comme la préretraite solidarité ait été abolie, parce qu’elle permettait de remplacer un employé âgé par un jeune.
En mai de cette année, l’Adem a enregistré une baisse de 1 156 postes vacants déclarés, soit 33,4 pour cent de moins qu’en mai 2019. À la fin du mois de mai, il y avait 5 848 postes disponibles, pour plus de 20 000 demandeurs d’emploi. Un quart des demandeurs âgés entre 25 et 29 ans avaient un diplôme d’études supérieures ; de ces jeunes académiciens, presque la moitié étaient inscrits durant plus d’un an avant de dégoter un travail. C’était avant la fin de l’année académique 2019/20. Le comité de coordination tripartite, qui a lieu aujourd’hui à Senningen, aura donc du pain sur la planche. Dans une interview au Luxemburger Wort de ce mercredi, le président de l’Union des entreprises (UEL) oppose droit du travail – « le catéchisme des syndicats » – et création d’emplois, qui serait plutôt la priorité du patronat. Création d’emplois pour laquelle il faut un contexte favorable, des incitations financières et fiscales. Durant la crise, les jeunes préféraient rester à l’école, fussent-ils en apprentissage ou potentiels décrocheurs scolaires. L’année scolaire se termine le 14 juillet.