Le ministère de la Justice cherche un data protection officer, carrière A (la plus élevée), la Police plusieurs informaticiens, A2. Le ministère de la Santé un biostatisticien ; les juristes, économistes et experts en sciences humaines sont toujours très demandés, mais l’État cherche aussi des psychologues, des éducateurs, des enseignants, des ingénieurs, des agents administratifs… En tout, 156 postes sont vacants actuellement sur le site govjobs.public.lu, dont 65 postes à profil de master et 29 au niveau bachelor. La fonction publique recrute toujours massivement et le ministre des Finances Pierre Gramegna a annoncé la semaine dernière, lors du dépôt du budget de l’État, que 1 830 postes supplémentaires allaient être créés l’année prochaine. Car, dit-il, « le Luxembourg est déjà aujourd’hui un pays à 800 000 habitants, mais sa fonction publique correspondrait plutôt à un pays de 600 000 habitants ». Or, malgré la sécurité de l’emploi et des carrières toutes tracées, l’État a de plus en plus de mal à recruter. Il n’est pas sexy de devenir fonctionnaire.
Traditionnellement, le DP était le parti de l’économie privée – et prôna même, dans les années 1990, qu’il fallait un « schlanker Staat », une fonction publique réduite à ses fonctions vitales. Depuis, il a fait volte-face et sait la proportion écrasante des fonctionnaires dans l’électorat. Sur quelque 600 000 habitants et 200 000 travailleurs frontaliers, il n’y a plus que 260 000 électeurs (en 2018). Ce mardi, le ministre libéral de la Fonction publique Marc Hansen a, pour la première fois, présenté des statistiques précises sur l’ensemble des agents de l’État : ils sont en tout 28 326 personnes (au 31 décembre) à travailler pour l’administration générale, l’éducation, la force publique et la justice (hors communes et établissements publics). Chaque neuvième électeur est donc un fonctionnaire ou employé de l’État. Cette disproportion est surtout due à la diminution de l’électorat dans la population totale : chaque famille d’électeurs compte au moins un agent de l’État dans son entourage direct, toucher à leur statut équivaut donc à un suicide politique. Depuis l’échec cuisant du référendum de 2015, lors duquel le gouvernement Bettel/Schneider/Braz voulut réparer cette disproportion en ouvrant le droit de vote aux non-Luxembourgeois (80 pour cent d’opposition), le sujet est aussi tabou que l’ouverture de la fonction publique « authentique » aux étrangers.
Or, les chiffres prouvent aussi que, dans l’absolu, la fonction publique luxembourgeoise est déjà minimaliste. En 2020, les rémunérations représentent 23 pour cent des dépenses de l’administration centrale Le « génie luxembourgeois » (Jean-Claude Juncker) de faire le boulot à trois ou quatre fonctionnaires, là où d’autres pays ont des dizaines de personnes – par exemple au niveau des délégations européennes – reste vrai : En 2011 déjà, l’OCDE avait calculé une médiane européenne de 61 fonctionnaires par mille habitants, et le Luxembourg se situa alors en bas du peloton, avec 43 pour mille, et ne s’est guère amélioré depuis. Les données statistiques présentées mardi donnent l’impression d’un secteur vieillot, où les femmes travaillent à temps partiel pour élever les enfants (notamment dans l’éducation, qui constitue la moitié des agents) et les hommes font carrière : trois quarts des fonctions dirigeantes sont occupées par des hommes. Interpellé sur le sujet, le ministre Marc Hansen assure que le gouvernement a conscience du problème et que la réforme du statut de 2018 va aider à inverser cette tendance. À cela s’ajoute que les très hautes fonctions, premier conseiller de gouvernement ou conseillers première classe, sont recrutées dans le privé, souvent parmi les proches politiques des ministres, et hors cadre de la fonction publique. L’actuel gouvernement en a ainsi recruté huit depuis son entrée en fonction en décembre. Mais même à ce niveau-là de rémunération, même à cinq chiffres, l’État est moins attractif comme patron que le capitalisme débridé du secteur immobilier ou de l’audit, où les partners cumulent les heures sup’ jusqu’à cinquante ans pour ensuite se retirer sur leur propriété. L’idéal du service public et le profil du « grand commis de l’État » semble s’être perdus, le fonctionnariat ne correspond plus à l’air du temps du no risk, no fun.