19 artistes résument la saison 2024 à la galerie Reuter Bausch

Les lauréats

d'Lëtzebuerger Land du 26.07.2024

On pourrait faire comme la galerie sur son carton d’invitation et décrire le travail des artistes par ordre alphabétique. Comme une liste de prix à la fin de l’année scolaire. On ne le fera pas, car avec trente œuvres, l’accrochage induit un fil rouge. Il confirme la cohérence des choix de la galeriste Julie Reuter, malgré les différences entre les sujets, les objets ou les thèmes ; le style réaliste, abstrait, ou figuratif et les techniques mises en œuvre.

Les arts visuels étant matière à une transposition fictionnelle propre à chaque artiste, Un été coloré affirme des choix particuliers, l’enthousiasme et la passion du travail de la galerie. Julie Reuter va en effet visiter les ateliers des uns et des autres, entretient un réseau d’amitiés « expertes » avec d’anciens condisciples du temps de ses études. Puis, elle expose rue Notre-Dame des artistes souvent jeunes qu’elle défend avec détermination. Ainsi Julien Hübsch, dont les pièces en polystyrène, clous, papier peint et polyuréthane, pink 7, pink 9 et pink 13, (2022/23) créent la tension juste où ces pièces de récupération hétéroclites sont accrochées, aux angles droits de poteaux porteurs. Avec Pit Riever, ils ont été les lauréats cette année des prix décernés au CAL, le prix Grand-Duc Adolphe et le prix Révélation.

D’Álvaro Marzán, on retient deux œuvres en techniques mixtes sur papier et une huile sur toile, dont les titres disent bien ce que l’on voit : Visage, Femme à tête de poisson et Lapin à deux têtes, (2023). L’expression de Marzán, d’origine espagnole, qui réside depuis 2007 au Luxembourg et que la galerie Reuter Bausch est la première à représenter, dénote une main habille, des sujets entre réalisme et abstraction. La chromie où domine le jaune, le violine et le vert, est soulignée par des touches de gouache en relief, ici une bouche, là des « signes » hors la figuration du tableau.

Il y a chez la Femme à la tête de poisson et le Lapin à deux têtes posées sur le dos d’un sanglier, quelque chose de surréaliste qui les oppose radicalement à l’ennoblissement du chaton dans le blason emblématique et provocateur de Catherine Lorent et la mélancolie nocturne ou la révélation d’À la recherche d’une vie perdue 4 (2023) de Chantal Maquet. Une huile aux rose et bleu puissants où l’apparition en jaune du bouquetin, éclairé par la lune, rejaillit sur les traits du visage d’un personnage en robe de chambre au bord du tableau. Sans doute sorti du lit pour observer cette scène rare.

On classera également dans le thème « nature », l’acrylique et fusain Melting II (2024) de Lina Hédo, un travail sur carton, abstrait, qui évoque le tronc d’un corps féminin. Il faudra suivre l’évolution de la jeune luxembourgeoise, née en 1999 et diplômée des Beaux-Arts de Paris, car on n’a pas été convaincue par son Ode to Joan Mittchel, une acrylique et fusain sur toile, représentant un couple enlacé. S’il y a du Greco dans cette expression émaciée, on préfère de beaucoup la puissance brute des traits, têtes humaines et animales de Jim Peiffer.
Il voisine avec le Meteoroid (2024) de Pit Riewer.

Plans de couleurs qui se succèdent et mouvements… Voit-on les zones d’une carte météorologique ou une silhouette d’humanoïde ? Sujet très différent, esprit de graffiti et écriture un peu naïve, on retrouve aussi le thème festif de Ugo Li avec une toile acrylique et stick d’huile sur papier. La transition est facile, mais qui dit fête dit fleurs. Le grand bouquet Nature morte (2024) aux roses et tulipes luxuriantes de Pascal Vilcollet, artiste français qui ne va pas sans évoquer Cy Twombly. On l’a découvert en 2022 à la galerie. Sa grande dimension contraste avec les formats miniature de João Freitas.

Avec Untitled (Montpellier) de 2022, il semble revenir à une expression colorée et poétique de ses débuts, en 2017. Les couvertures de livrets à fleurs sont recouverts de papier adhésif. Comme si on les apercevait à travers un brouillard. Freitas rejoint là la catégorie de travail que l’on a vu récemment de Clément Davout. On retrouve ici La tête toute jaune du soleil (2024), travail en ombres chinoises d’une plante d’intérieur « rétro-éclairée » par l’astre solaire, où le vert des feuilles se confond avec le vert du fond. La représentation sous la forme d’un rectangle du sujet dans le rectangle uniforme du tableau de cette huile sur toile invite à la méditation.

On conclura cette promenade dans Un été coloré par le dessin minutieux et raffiné des chemins qui serpentent dans le paysage de la pinède de la calanque de Sormiou près de Marseille. Roche, aiguilles de pin sont rehaussées à l’or, comme pour mieux souligner la fragilité de l’écosystème par Sacha Cambier de Montravel. Son contraire exact, c’est le dépouillement et le cadrage des photos de mobilier urbain prises en France par Christian Aschman en 2023 (impression jet d’encre) et des accessoires de fête quand elle est finie, photographiés la même année en Italie. C’est net, ça dit une réalité nue. Mais pas muette pour autant.

Marianne Brausch
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