L’homme et la nature

Photo: Nosbaum-Reding
d'Lëtzebuerger Land du 12.07.2024

On dirait une mélopée : Creeper, Sleeper, Weeper. À laquelle il ne faut pas oublier d’ajouter Nat Meade, le nom de l’artiste. Il est l’auteur d’une forme d’expression picturale à la fois individualiste et générale. Il peint les traits d’un « homme archétypal », c’est-à-dire comme de toute éternité.

Nat Mead, né à Portland dans l’Oregon vit à Brooklyn, New York. On ne peut pas dire pas que ce que l’on voit sont des portraits qui seraient proches des peintures de salon représentant ceux qui ont fait l’Amérique urbaine naissante et rapidement fortunée. Dans le texte qui accompagne l’exposition, Sabine Dorscheid, précise que dans la maison familiale, pendait un portait de Walt Whitman, « le » poète par excellence du 19e siècle américain qui publia Leaves of Grass, d’abord en autoédition en 1855.

Creeper, Sleeper, Weeper, le titre de l’exposition, renvoie à la manière avec laquelle écrivait Whitman en vers libres, à la gloire de la grande ville – et de Brooklyn en particulier – qui accueillait les immigrants. Il s’agit donc d’un monde moderne, en devenir, rapide, cacophonique, tout l’inverse pourrait-on croire, des tableaux de Nat Meade. C’est que l’artiste représente le spécimen masculin de l’espèce humaine comme un bloc. Avec quelque chose aussi de l’image de Walt Withman vue enfant à la maison. Lequel semble avoir eu quelque chose de ces traits typiques que nous, Européens, attribuons aux conquérants du Nouveau Monde. Ce visage rude a pour « partenaire », la nature.

Voilà il nous semble, le mystère de l’attraction contradictoire qu’exerce le travail de Nat Meade sur le spectateur. Creeper par exemple, est une peinture sur toile de jute. Nous la décrivons en premier, parce qu’elle correspond au premier mot du titre de l’exposition et que Nat Meade l’emprunte directement à Withman. Comme dans Sleeper, on y voit une tête d’homme aux yeux clos, couchée à l’horizontale, au ras de la partie basse du tableau. À l’inverse, dans Weeper, la tête, toujours aux yeux clos, semble collée telle un ballon gonflé au haut du tableau et ses longs cheveux retombent vers un miroir d’eau : celui de Narcisse, évidemment.

L’homme se surestime, évidemment. Est-ce une des raisons de la petite taille des tableaux ? Les œuvres de Nat Meade ne sont pas des grand formats sauf Dandylion, (91,4 x 78,7 cm), où la tête d’homme a les yeux cette fois ouverts. Il est souriant, éclairé par une lumière qui vient de l’extérieur. Médite-t-il devant le pot de fleurs aux pissenlits qui, comme on le sait, d’après la célèbre illustration du dictionnaire Larousse, sème le savoir à tous vents ?

Outre la dominante violacée de cette toile et les tons ocres-dorés de Creeper, Sleeper, Weeper, où l’homme et la nature forment une composition d’ensemble ressemblant à une sorte de paysage imaginaire, dans les autres œuvres prédominent les tons verts et orangés. La nature, à l’avant-plan est représentée sous la forme d’une simple branche de feuilles qui passe devant le visage, comme pour le protéger. La canopée est représentée deux fois, dont une Canopy sur papier, un petit format carré), est réalisée à tempera. L’aspect lisse et l’effet brillant sont accentués, alors que les huiles sur toile gardent l’aspect râpeux de la jute. La technique, selon Sabine Dorscheid, serait d’ailleurs de râper volontairement couche après couche, pour que l’œuvre garde quelque chose de rude. Sans doute le thème de la nature évoque-t-il aussi sur le plan personnel pour Nat Meade, tout ce que l’industrie et donc l’urbanité glorifiée par Withman a fait de mal. On peut interpréter ainsi la tempera sur papier Stamper. L’homme est assis de dos sur un tronc d’arbre devant un paysage cette fois à l’arrière-plan. On ne voit pas non plus son visage. Mais il a la posture du Penseur de Rodin…

Toutes époques des arts visuel et sculptural confondues, les têtes monolithiques nous ont aussi bien fait penser aux visages hiératiques la statuaire grecque et romaine, aux traits anguleux des arts premiers d’Amérique du Sud et du Pacifique. C’est ce qui rend aussi mystérieux le langage séduisant de la peinture de Nat Meade.

Marianne Brausch
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