Norbert Stomp : Je souhaiterais d'abord rappeler que le Musée National d'Histoire Naturelle existe depuis près de 150 ans et que le succès que nous connaissons aujourd'hui est fondé sur un travail vieux de vingt ans déjà, quand le musée était encore sous le même toit que le Musée National d'Histoire et d'Art, au Marché aux Poissons. C'est à cette époque que nous avons commencé tout un travail éducatif avec des jeunes professeurs de sciences. Avec le peu de moyens dont nous disposions, nous avons monté des expositions visant le public des écoliers qui venaient donc au musée avec leurs professeurs. Et c'est vrai que le succès ne s'est pas démenti maintenant que nous sommes installés dans le quartier du Grund, depuis décembre 1996 exactement.
Dans un quartier difficile d'accès, a priori...
Oui, et les locaux dont nous disposons sont aussi très exigus. Mais j'ai tout fait pour avoir un Musée d'histoire naturelle au vrai sens du mot. Alors j'ai dû accepter ce qu'on me proposait. Parce que c'était ici ou rien. Mais vous avez raison, cela tient un peu du miracle. Un miracle qui s'appelle le travail préparatoire que nous avons mené en amont et puis ce que l'équipe d'architectes de Repérages a réalisé dans le cadre d'un budget extrêmement réduit, quand on pense à ce qu'a coûté la restauration du bâtiment ancien, qui n'était pas fait du tout pour un musée de ce genre, c'est-à-dire les trois-quarts...
Il n'y a pas de places de parking, c'est un endroit sans lumière mais dont a contrario l'intimité s'est révélée être un atout. On peut transformer les difficultés en atout, parfois... Le travail avec Repérages n'a d'ailleurs pas été sans heurts non plus. Les jeunes architectes - Adeline Rispal, Jean-Jacques Raynaud, Louis Tournoux - issus de « l'école Jean Nouvel » avaient une approche conceptuelle du projet et nous, une approche scientifique. Leurs idées abstraites n'allaient pas très bien avec l'aspect didactique d'un Musée d'histoire naturelle. Et si nous avons quand même beaucoup plus de surface d'exposition que nous n'avions au Marché aux Poissons, nos collections - qui sont d'ailleurs beaucoup plus importantes que ce qui est exposé aujourd'hui - se doublent d'une activité de recherche, de laboratoire, de bureaux, qui ne sont pas hébergés dans les mêmes locaux. Cela ne concerne pas le grand public mais c'est quand même un problème. Alors avec les locaux exigus dont nous disposions et les moyens que nous avions, il a fallu faire une synthèse.
Peut-être que ça a été un bien ?
Peut-être. Parce que le natur musée, c'est en quelque sorte l'école au musée. Entendons-nous bien. Quand je dis école au musée, c'est totalement différent d'un cours à l'école. C'est une approche éducative grâce à notre politique d'exposition permanente, les expositions temporaires, les activités que nous organisons... Et quand je dis exposition permanente, il ne faut pas encore une fois entendre quelque chose de statique, d'uniquement visuel. L'histoire naturelle, c'est quelque chose de vivant, qui a des bases, une histoire et qui évolue, qu'il faut pouvoir expérimenter, approcher par strates, comme l'est la nature elle-même avec les strates qui la composent et qui vont du sol, de ce qui pousse dans le sol, puis sur le sol, jusqu'au règne animal et aux êtres humains qui la transforment et l'utilisent.
Il faut croire effectivement que nous arrivons à passer ce message, puisque des quarante classes par an avec lesquelles nous avons commencé à travailler au Marché aux Poissons, nous sommes passés à 150, puis 200... pour finir à 1 350 aujourd'hui ! Bien sûr, cela demande d'investir beaucoup d'énergie, de nous renouveler en permanence, d'avoir des idées, de les faire connaître au public. Nous avons appris à communiquer - nous avons fait des erreurs aussi, au début - et puis parfois, il y a malheureusement un point de non retour.
Comme avec Repérages qui n'a quand même pas réussi à nous suivre jusqu'au bout de notre concept, la phase de l'expérimentation. La muséographie, pour eux, ça n'allait pas jusque là. Mais les aquariums et les terrariums de la salle Découverte qui nous manquent par exemple, on va enfin les installer cet été.
Le musée est quand même très cohérent et très vivant à la fois. Vous voulez bien expliquer le concept ?
Bien sûr, c'est très important. Le fil rouge du concept d'exposition, c'est 'Qui suis-je ?' 'Où est-ce que je vis ?' et 'd'Où est-ce que je viens ?' La quatrième question 'Comment est-ce que je produis du sens ?', nous la laissons ouverte aux visiteurs, quand ils ont quitté le musée ! C'est le projet de vie avec l'environnement. Les trois questions qui nous occupent, nous les avons donc synthétisées ensemble avec Repérages à partir du concept du scientifique suisse, le professeur André Giordan du département muséographique de l'Université de Genève. Ces trois questions impliquent une suite logique de trois niveaux de réflexion qui tournent autour de l'Homme, en partant de l'Homme.
C'est ce que nous proposons aux visiteurs sur les trois niveaux du musée. Ce que l'exiguïté des lieux nous a obligé à synthétiser remplace d'une certaine manière le mode classique d'exposition de la Galerie de l'évolution au Muséum d'histoire naturelle à Paris par exemple. Cette 'mise en condition' là, au natur musée, c'est la Pyramide de l'évolution que Pierre Dexette a réalisée au rez-de-chaussée. C'est lui aussi qui a travaillé avec nous à la visualisation des thèmes comme par exemple celui des 'petites bêtes' qui vivent avec nous dans la maison. Parce ce que quand on dit être humain, cela implique tout ce qui accompagne son environnement naturel. Ainsi aussi des êtres vivants qui sont nuisibles ou qu'il juge nuisibles... Nous montrons aussi que c'est souvent l'homme - et cela vaut tout particulièrement pour l'époque d'aujourd'hui - qui est un grand prédateur pour le monde qui l'entoure. C'est le corollaire négatif de son évolution que nous montrons en parallèle avec la Pyramide de l'évolution de l'humanité, en suivant la progression du parcours muséographique, c'est à dire encore une fois du rez-de-chaussée au dernier étage du grand escalier.
Une des qualités de votre concept et de la muséographie, c'est cet aller-retour du général au particulier et vice-versa...
L'homme n'est pas seul au monde, sur toute la planète et donc nécessairement dans notre environnement proche, ici, au Grand-Duché ! D'où cette approche 'intimiste', si on veut de ce qui se passe dans les biotopes qui nous sont les plus proches : nos haies, nos rochers, nos murs et partant de là, nos villages, nos villes, nos cinq/ six grandes régions. Ce n'est pas parce que nous sommes un petit pays que tout cela n'est pas fort diversifié ! Le visiteur peut le vérifier avec nos banques de données qui concernent les communes du pays. C'est fou ce qu'il y a comme particularités dans chaque commune, les arbres, les plantes...
L'environnement de l'être humain, il commence là où il est né ; où chacun de nous est né, c'est-à-dire dans sa commune. La nouveauté, c'est de montrer cela au public, de faire passer ce message. C'est la particularité du concept vivant que nous avons élaboré. Et pour cela il ne suffit pas de simples bornes interactives virtuelles. C'est pour ça que nous avons voulu nos terrariums, nos aquariums dans notre salle Découverte... Parce que encore une fois, le Musée National d'Histoire Naturelle est un petit musée. Et même si notre politique de communication auprès des écoles passe bien, même si tout le monde montre de la bonne volonté par rapport à l'impossibilité de se garer aux abords du musée (un instituteur, un professeur qui viennent avec une classe, ils sont responsables de la sécurité des enfants en-dehors de l'école et nous en accueillons huit à dix par jour !), le public scolaire est un public captif. Alors nous avons tout fait pour élargir notre politique d'exposition et de communication et c'est là où les expositions temporaires jouent un grand rôle. C'est le complément élargi et indispensable des trois questions de base de notre concept.
Comment procédez-vous ?
J'ai la chance de travailler avec des gens dynamiques, qui ne ménagent pas leur temps. Il ne faut pas oublier que nous ne sommes que fonctionnaires et faire des heures supplémentaires, c'est surtout payé en retour par la reconnaissance du public. Je ne peux que saluer le travail du service éducatif du musée dirigé par Marianne Hoffmann, de Patrick Michaely, un très bon scientifique qui a en plus le don de communiquer et de très bien écrire, de Simone Backes et de son équipe de graphistes.
On pourrait avoir envie de rester chez soi le dimanche... Et bien non. Parce que le week-end, nous accueillons 50 pour cent de notre public. Les gens viennent en famille. Pour fidéliser ces visiteurs-là, il faut aussi que les animations soient diversifiées, renouvelées. Lundi de Carnaval par exemple, le musée n'était pas fermé. Nous avons fait un après-midi entier d'animations, avec les enfants déguisés en animaux, en fleurs... Ce qui rend la chose si vivante, c'est que les animations, nous les faisons, comme les expérimentations, sur le lieu même des salles d'exposition. C'est comme les conférences : celle sur notre collection de grès de Luxembourg s'accompagne d'une démonstration. C'est son complément naturel.
Ensuite, il y a les touristes. Nous faisons savoir que le musée existe partout, dans les hôtels, les campings... Alors en été, les touristes remplacent en quelque sorte le public luxembourgeois qui est parti en vacances ! Tout cela s'apprend. Nous nous sommes aussi rendus compte - malheureusement peut-être mais c'est comme ça - que les gens ne lisent plus beaucoup. Il faut donc que les textes d'annonce, les textes d'accompagnement soient exactement dosés. Si on en dit trop, ça ne marche pas. Il faut par conséquent savoir dire l'essentiel en peu de mots avec des visuels attrayants aussi. Simone Backes et son équipe participent d'ailleurs régulièrement à des séminaires de formation, organisés entre autres en France, par l'Ocim et nous travaillons en collaboration avec Jo Kox du Casino-Luxembourg. C'est un maître es communication ! D'où les hôtels, les campings...
Bien sûr, nous n'avons ni le personnel ni les moyens de monter à chaque fois une exposition tout seuls et par nos propres moyens. L'exposition des volcans par exemple, c'était une exposition franco-belge au départ. Mais telle qu'elle était conçue, elle n'était pas adaptée à Luxembourg. Le travail d'adaptation, didactique, nous l'avons élaboré pour le cadre de notre musée et de notre public scolaire et général. La séduction aussi participe de la communication, de l'intérêt que les gens portent aux choses à notre époque où l'image domine... Ainsi aussi des thèmes choisis pour les expositions. Bientôt, nous aurons une exposition sur la basse-cour, les poules et les coqs...
Un thème comme les serpents, c'est plus difficile, cela peut provoquer de la répulsion. Mais les ours, les vrais et les ours en peluche, voilà un thème qui, je pense, se passera de commentaires ! Mais quelle que soit l'exposition, nous suivons de très près la courbe de la fréquentation du musée. Nous pouvons très bien avoir jusqu'à mille personnes par semaine ou stagner à 600, 500, voire descendre à moins. Après les premières semaines, il faut faire de la relance. Tout cela, nous avons appris à le gérer et nous ne nous reposons jamais sur nos lauriers.
C'est la rançon de la gloire...
Si vous le dites...
Musée National d'Histoire Naturelle, natur musee, 25 rue Münster, L-2160 Luxembourg-Grund, parking St-Esprit, 4e sous-sol. Ouvert du mardi au vendredi de 14 à 18 heures, samedi et dimanche de 10 à 18 heures, fermé les lundis ; Internet : www. mnhn.lu ; e-mail : musee-info@mnhn.lu ; téléphone : 46 22 33-1 ; fax. : 47 51 52. Expositions actuelles : Collection permanent, La magie des volcans et L'Erika, et après ?