D’Lëtzebuerger Land : Madame Margue, vous vous êtes montrée plutôt discrète durant vos premiers mois au gouvernement. Vous vous êtes notamment tue lors de la polémique sur l’interdiction de la mendicité dans la capitale. Des magistrats se sont exprimés d’un côté et le ministre des Affaires intérieures de l’autre. Prise entre deux feux, vous ne vouliez pas vous brûler les doigts ?
Elisabeth Margue : Non. Ce n’est pas mon rôle dans ce genre de situation. Il y avait des divergences d’interprétation. À l’origine, il était question de trancher sur la légalité du règlement de police pris par la Ville de Luxembourg. C’était un faux débat. L’avis de la cellule scientifique de la Chambre le confirme. Les dispositions relatives à la mendicité contenues dans le règlement de police sont possiblement contraires à la Constitution. Le seul habilité à trancher est le juge. Un recours a été introduit. La politique ne se mêle pas des affaires juridiques.
Vous menez un raisonnement froid. Est-ce qu’on peut voir là un aspect de votre approche qui serait plus technique que politique ?
Quand on a exercé la profession d’avocat pendant plusieurs années, on garde peut-être ses réflexes et cela demande un peu de temps pour switcher purement vers la politique.
Vous avez quand même mené campagne en tant que co-tête de liste CSV pendant plusieurs semaines…
Oui, mais c’est ma façon aussi de voir les choses. Je n’alimente pas la polémique pour la polémique. J’essaie d’être concentrée sur les dossiers. C’est ce qui m’a toujours plu, tant dans le métier d’avocat qu’en politique.
Recentrons-nous sur vos fonctions de ministre déléguée aux Médias. Vous avez déposé ce mercredi à la Chambre un paquet législatif en la matière. L’un des volets est l’accès à l’information. Quelles sont ses modalités ?
C’était une demande du conseil de presse. Ses représentants nous avaient fait part de leur souhait de voir mentionné spécifiquement les journalistes professionnels dans la loi transparence. C’est ce qu’on a fait. On a ajouté un paragraphe pour préciser que tous les organismes soumis à la loi doivent aussi remettre aux journalistes professionnels les documents sollicités. Pourvu qu’ils rentrent dans le champ d’application. On précise qu’on tient compte des besoins particuliers des journalistes.
Qu’est-ce que vous entendez par « besoins particuliers » ?
Des contraintes de temps. On n’a pas fixé de délai spécifique, car cela dépend du dossier et du volume d’informations demandées. Un délai raisonnable est envisagé. On a aussi profité de ce projet de loi pour se mettre en conformité avec la convention de Tromsø du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents détenus par les organismes publics. On ne l’a pas encore signée, mais nous pouvons le faire. Ce texte définit notamment ce qu’on entend par document. Dans la pratique, si on n’arrivait pas à identifier un document particulier, alors la réponse de l’administration était négative. Elle pourra communiquer les informations demandées en tant que telles, éventuellement compiler si elles se trouvent dans plusieurs documents.
Dans un deuxième volet, vous revoyez le régime d’aide à la presse instauré en 2021…
Nous avons eu des échanges avec les éditeurs et avons procédé à quelques adaptations. Notamment pour ne plus faire la distinction entre les publications hebdomadaires ou mensuelles au niveau des plafonds. Cela donne plus de flexibilité pour obtenir des subsides.
Le régime transitoire de la loi de 2021 permettait aux organes de presse qui le souhaitaient de conserver l’aide de l’ancien régime pendant cinq ans. La période arrive bientôt à échéance et il semblerait que la survie du Quotidien soit menacée. Le saviez-vous et avez-vous pris cela en compte ?
On nous en a informés très récemment. Et leur problème en tant que tel n’est pas réglé dans l’avant-projet de loi. Nous aviserons pendant la procédure législative et le passage devant les organes consultatifs.
Il s’agit du seul quotidien francophone. Est-ce que votre gouvernement est prêt à trouver une solution pour préserver le pluralisme linguistique ?
Il faut le préserver. C’est évident. Reste à voir comment.
Des éditeurs réclament aussi l’augmentation de l’aide versée par journaliste qui est aujourd’hui de 30 000 euros par an. Pensez-vous que l’État doit verser plus d’argent sur base de ce critère ?
Nous n’avons pas touché à ce montant. C’est une question difficile à trancher parce que le Media Pluralism Monitor dit quand même que l’aide à la presse est très généreuse. Il faut voir jusqu’où on peut aller. L’objectif doit être réalisé, à savoir que les médias puissent fonctionner dignement et que le pluralisme soit garanti de ce fait. Dans les premières moutures du texte, il était question d’un montant fixe de 50 000 euros. L’approche a un peu changé durant les discussions avec une part fixe et une part variable, selon le nombre de journalistes.
Dans le projet de loi, il est aussi question d’une redéfinition du statut de journaliste…
La demande émanait là-encore du conseil de presse. Il émet les cartes professionnelles et il voulait pouvoir se baser sur une définition claire. Il me semble que maintenant, ça lui donne plus d’assurance pour distribuer les cartes.
La distribution des cartes importe, car elle détermine le financement…
Exactement.
Est-ce que le critère de l’information généraliste est conservé ?
Oui. L’idée est que la publication ne s’adresse pas qu’à une seule catégorie de lecteurs.
Sera-t-il encore possible pour un groupe de presse de publier un article produit par un seul journaliste dans des langues et supports différents ? Par exemple un article produit par un journaliste lusophone de Contacto, publié en allemand dans le Wort, en français dans Virgule et en anglais chez Luxembourg Times, sachant que chaque titre bénéficie d’une aide forfaitaire. Ce qui donne un avantage économique aux grands groupes comme Mediahuis et ce qui menace les petits éditeurs par capillarité, car les grandes maisons d’édition concentrent le lectorat et engrangent les recettes publicitaires.
Avec la traduction, il y a quand même aussi un certain travail journalistique encore à faire, même s’ils utilisent des logiciels. Puis ce serait dommage de priver des lecteurs de contenus. La réforme de 2021 a été menée par mon prédécesseur (Xavier Bettel, DP, ndlr). Une réforme ne va jamais satisfaire tout le monde. Après, si on se rend compte qu’il y a vraiment un déséquilibre, on peut encore améliorer les choses. Mais voilà, tout le monde veut toujours plus.
L’État finance dix pour cent de l’étude plurimédia, au côté des éditeurs. Ces derniers n’ont pas publié l’édition 2023 à cause de « problèmes méthodologiques ». Quand relira-t-on cette étude qui quantifie l’efficacité de l’aide à la presse ?
Les éditeurs ont trouvé un accord, mais je ne me suis pas impliquée. J’ignore quand elle sera publiée.
Au sujet de l’Autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel (Alia) et la démission de son président Thierry Hoscheit. Vous avez parlé sur 100,7 d’une « divergence d’interprétation » de la loi. Mais selon ses termes, le conseil d’administration émet un avis sur les candidats au poste de directeur. Or, un seul nom aurait été soumis selon aux administrateurs. Est-ce qu’il y a eu un vice de procédure ?
La loi régissant l’Alia a un article ad hoc : son directeur est nommé sur proposition du gouvernement après avoir obtenu l’avis du conseil d’administration. Après, il y a toute une série de missions et parmi elles, effectivement, ledit conseil d’administration donne son avis sur les candidats. Faut-il lire ces deux phrases en conjonction ? Peut-être, mais la responsabilité de faire respecter les missions revient au conseil d’administration de l’Alia. Et là, la question se pose effectivement par rapport au respect de la procédure de sélection.
Le tribunal administratif peut être saisi…
Oui, la personne lésée par la décision peut le faire. Puisque l’Alia a remis un avis favorable sur la nomination, elle ne saurait se considérer lésée.
Mais un candidat déçu, oui…
Cela se pourrait théoriquement. Mais tout ce qu’il pourrait obtenir est l’annulation de la décision. Cela ne ferait pas de lui le directeur. Je reviens juste sur le comité de sélection externe. Il rassemble des représentants du ministère des Médias, du ministère de la Fonction publique, de l’ILR, de l’Autorité de la concurrence et du conseil de presse. On avait longuement réfléchi à comment le mettre en place.
C’est très gouvernemental quand même…
Oui, mais vous savez, le conseil d’administration est nommé intégralement par le gouvernement. Donc, je ne trouve pas que ce soit un argument par rapport à l’indépendance de l’institution. Ce comité est composé de membres d’institutions de régulation qui ont traversé des défis comparables à ce que l’Alia s’apprête à traverser avec la réforme de la loi de 1991 sur les médias électroniques qui la régit. Et cela fait longtemps que l’Alia réclame plus de missions. Nous sommes à un moment charnière. Or, nous sommes critiqués dans le Media Pluralism Monitor par rapport à la gouvernance de l’Alia, avec un lien trop étroit entre le directeur et le conseil d’administration. J’y suis sensible et j’ai trouvé qu’il était temps de professionnaliser la procédure de désignation.
Vous assumez pleinement donc…
Cela ajoute une garantie par rapport aux qualités du directeur. Le candidat va passer par le comité de sélection et, si short listé, par le conseil d’administration. Permettez-moi aussi de citer un communiqué, publié sur le site de l’Alia pendant la sélection, qui n’a pas trouvé son chemin jusque dans la presse. On y lit que le conseil d’administration a été étroitement associé à la procédure. Et lors d’une réunion entre deux membres du comité de sélection et l’ensemble du conseil d’administration de l’Alia, son président a choisi de ne pas étudier les trois candidatures que le comité de sélection avait écartées.
Donc, vous ne comprenez pas la démission de Thierry Hoscheit ?
C’est sa décision à lui. Je la regrette, évidemment. Mais quand je lis son courrier et quand je constate les divergences, je me dis que cela devait arriver tôt ou tard. Mais il a écrit en sa qualité d’administrateur, pas de magistrat.
Et pourquoi ne pas avoir laissé le conseil d’administration nommer le directeur comme cela s’était produit par le passé ?
J’ignore les raisons pour lesquelles il en allait ainsi. Mais je trouve que le directeur n’a que plus de légitimité s’il est interviewé par un comité de sélection. On l’a fait pour l’ACD, pour le juge au tribunal de l’UE…
Et concernant la question de l’indépendance ?
Ce processus de sélection la préserve. L’Alia a un certain nombre d’entités sous surveillance (autour de 450, ndlr). Le directeur mène l’instruction des dossiers. Le conseil prend les décisions. Pour toutes les entités surveillées, il est utile de savoir qu’il n’y a pas un directeur qui est sous la dépendance intégrale d’un conseil d’administration. C’est logique et ce sont les discussions que l’on mène pour toutes les autorités de régulation. C’est une question de séparation des pouvoirs. Il faut des équipes pour l’enquête. D’autres prennent la décision. Je souhaite évidemment que le conseil d’administration s’entende avec le directeur général. Mais je pense que l’intervention du comité de sélection offre une dose supplémentaire d’indépendance.
Avec Cindy Bauwens, juriste au ministère de l’Économie puis à l’autorité de la concurrence, le choix s’est porté sur un profil technique, et non d’expert du secteur. Pourquoi ?
Le comité de sélection a mis l’accent sur les qualités de leadership. Car on a constaté qu’entre 2020 et 2024, plus de la moitié du personnel de l’Alia a démissionné, huit personnes sur treize. C’est énorme. Il fallait vraiment quelqu’un qui puisse fédérer.
N’est-ce pas lié à l’absence de moyens que Thierry Hoscheit pointe du doigt régulièrement ?
En 2020, mes prédécesseurs ont entendu les besoins. Cette année-là, le budget est passé de 830 000 à 1,4 million d’euros. Ce n’est pas rien. Dans le plan pluriannuel, nous avions retenu une augmentation constante. Mais entretemps, il n’y a pas vraiment eu de grandes nouvelles missions. Maintenant, la réforme sur les médias électroniques se profile et éventuellement de nouvelles compétences dans le futur. Mais je ne veux pas donner plus de moyens avant de savoir quelles missions lui sont octroyées, dans le cadre notamment des nouvelles réglementations européennes.
Xavier Bettel a qualifié la loi sur les médias électroniques de patchwork car amendé quatorze fois depuis 1991. Quelle la logique de la réforme ?
Il n’y a jamais eu de refonte globale. Sachant qu’on a des régimes différents en fonction des modes de transmission. Cela ne fait plus aucun sens. Tous les médias ont un site en ligne. Puis il y a les podcasts, les blogs, les vlogs… la diffusion de contenu a énormément changé au cours des trente dernières années. Il faut briser la logique des modes de transmission et se focaliser sur les valeurs que l’on souhaite protéger comme la dignité humaine, la protection des mineurs, la liberté d’expression… Le périmètre des missions de l’Alia va changer. Avant cela, à eux de s’organiser. C’est une gestion saine des finances publiques.
Un cycle de conférences évoque les problématiques que doit couvrir la nouvelle loi :la consommation des médias, les influenceurs, l’intelligence artificielle, la désinformation, etc. Quand la nouvelle loi sera-t-elle prête ?
Difficile de se prononcer sur un calendrier, car il s’agit d’une vaste réforme. Je dirais en 2025.
Comment organisez-vous la répartition des tâches avec le Premier ministre et ministre des Médias, Luc Frieden (CSV) ?
Je m’occupe presque intégralement des volets digital et connectivité. La partie médias lui tient très à cœur donc il en a gardé une partie, surtout l’échange avec les médias traditionnels. Je pense que c’est normal pour un chef de gouvernement.
Comment divisez-vous votre travail entre les différents ministères ?
Si on prend une base de cinq jours, je dirais un jour aux Médias, une demi-journée avec le Parlement, trois à la Justice, sachant qu’il y a toujours une demi-journée pour le Conseil de gouvernement. Après cela dépend des dossiers et de l’actualité.