L'irrationnel est fascinant, forcément tentant. Comment le montrer, comment le représenter, le rendre palpable, compréhensible ? Autant de questions que se posaient Marie-Paule Jungblut et Guy Thewes, historiens au Musée d'Histoire de la Ville de Luxembourg lors de la préparation de leur grande exposition de cette année : Incubi Succubi. Une exposition consacrée aux sorcières et aux démons qui étaient censés les posséder, aux mythologies populaires et aux peurs collectives qui les entouraient, du XVIe siècle à nos jours.
Le dossier de presse nous apprend qu'elle est « le résultat d'une coopération dépassant les frontières. Elle rassemble des objets et des oeuvres provenant des principaux musées de la région et des grandes collections internationales (suit une liste des prêteurs). Le projet a bénéficié de la collaboration scientifique de l'Université de Trêves, Sonderforschungsbereich 235, Projekt A5, Zau-berei und Hexenprozesse.» Tout de suite, ça fait béton. Ce sérieux, il aura sa place dans le livre scientifique qui accompagnera l'exposition, actuellement en préparation. Un peu comme lors de l'exposition sur les années 1950, l'année dernière au même musée, qui fut également accompagnée d'un livre scientifique.
Car l'exposition en soit sera événementielle, émotionnelle, surprenant, esthétique. Une grande mise en scène comme on les connaît des grandes expositions thématiques dans les grandes villes. Tenez, du volet Rückblick de l'exposition événementielle Zeitwenden, à la Kunst- und Ausstellungshalle à Bonn par exemple. Volker Geissler y faisait partie de l'équipe de conception, responsable de l'architecture et de la scénographie. Il l'est aussi pour Incubi Succubi. Acteur de formation, un métier qu'il exerça à la fin des années 1960, début 70, puis metteur en scène, à Cologne, Mannheim et Wuppertal, il s'en est lassé, de la scène. Parce que le théâtre n'a plus rien à dire, n'est plus assez contestataire, plus assez explosif, plus provocateur, estime-t-il, que de toute façon les gens n'y vont plus, n'en parlent plus. Pour lui, les expositions sont « plus fraîches », un nouveau moyen d'expression, plus émoustillant.
Aussi parce qu'elles sont plus interactives, que les rôles ne sont pas si clairement définis qu'entre la scène, active, et l'auditoire, passif. Le spectateur, en déambulant dans quelque chose qui ressemble quand même à un décor de théâtre, vivra non seulement une expérience personnelle, mais découvrira aussi par là le thème proposé. « Vous savez, moi je suis satisfait quand, à la fin, chacun aura découvert quelque chose pour soi dans l'exposition, aussi bien l'historien que le curieux, » énonce-t-il ses ambitions. Son concept, il l'a élaboré pour Bärenlese - zum Wesen des Teddys (1991, Ruhrlandmuseum et Naturhistorisches Museum Wien), puis affiné, réorienté, perfectionné par les grandes expositions qui suivirent, et dont Ich Narr des Glücks - Heinrich Heine zum zweihundertsten Geburtstag (1996, Kunsthalle Düsseldorf) fut l'une des plus célèbres.
Volker Geissler vient du spectacle vivant, cela se sent dans toute son approche : il veut créer des am-biances, des environnements, aussi bien sonores que visuels, très théâtraux par moments. Il aimerait que l'exposition soit une expérience sensible pour les visiteurs, que tous les sens soient interpellés, que chacun puisse interpréter le phénomène très subjectivement. L'exposition envahira, durant tout l'été, les troisième, quatrième et cinquième étages du musées, avec des matériaux simples, contrastant avec la préciosité des matériaux utilisés pour l'aménagement des salles. Le défi étant d'insuffler vie aux nombreux textes et images qui constitueront forcément la base de l'exposition sans pour autant perdre de vue l'ambition scientifique. Sans tomber dans le pur divertissement, la recherche de l'effet.
Comment montrer par exemple une chaise de torture ou la robe de bûcher d'une présumée sorcière sans pour autant tomber dans le sensationnalisme ostentatoire et trop facile ? Comment, de l'autre côté, montrer de nombreuses gravures aux détails minuscules sans que les visiteurs attrapent un torticolis pour avoir trop regardé des vitrines toujours à la mauvaise hauteur ? Comment résister à la tentation de la manipulation « pour la bonne cause » ?
Incubi Succubi ne sera certainement pas une exposition historique, loin de là, « cela a largement été fait » affirme Volker Geissler, « nous cherchons à découvrir une nouvelle approche ». Durant la phase de préparation, il s'intéresse à tout ce qui a trait au phénomène, historique ou contemporain, ludique, artistique ou scientifique.
Le hasard a voulu que lors du week-end d'ouverture de l'exposition aura également lieu, au même Musée d'Histoire de la Ville de Luxembourg, le Colloque de l'Association internationale des Musées d'histoire, intitulé Une histoire sans limites ? (voir ci-dessus). Vendredi 5 mai, un des thèmes abordés sera Création et manipulations dans l'esthétique muséographique ? Volker Geissler y sera un des intervenants.
Forcément. On aura alors l'occasion de voir s'il aura atteint son objectif, s'il aura réussi à éviter les nombreux pièges. Et d'en discuter avec lui.
Le public est invité à contribuer à l'exposition Incubi Succubi en exposant sa « sorcière bien aimée », sous quelle forme que ce soit - poupée, marion-nette, photo ou autre représentation - accompagnée de quelques lignes d'explication ; téléphone pour renseignements : 4796-2414, Marie-Paule Jungblut ou Guy Thewes. / L'exposition Incubi succubi, Les sorcières et leurs bourreaux, hier et aujourd'hui, aura lieu du 5 mai au 29 octobre ; Musée d'Histoire de la Ville de Luxembourg ; 14, rue du Saint-Esprit à L-2090 Luxembourg. téléphone : 22 90 50-1 ; www.musee-hist.lu. Actuel-lement y a lieu l'exposition À la découverte de la cartographie.