Le 7 décembre 2016, Roy Reding vend un immeuble de rapport au Kirchberg. Plus de trois ans plus tard, l’acquéreuse racontera aux policiers que le député et son épouse, Karine Reuter, lui auraient mis la pression pour signer rapidement. Le couple aurait prétendu « vendre leur immeuble en raison de leur projet de liquider toutes leurs affaires et d’aller vivre à Singapour ». En mars 2015, soit 21 mois avant la signature de l’acte de vente, Roy Reding s’était fait condamner par la cour d’appel pour des travaux de construction illégaux qu’il avait entrepris dans l’immeuble en question. Le studio aménagé au rez-de-jardin devait être retourné « en état de cave ». L’acheteuse dit l’avoir ignoré. Elle maintient que le couple Reding-Reuter ne lui aurait pas clairement signalé que la cinquième unité habitable ne pouvait juridiquement plus être mise en location. « Ils ont parlé autour du pot en lui faisant croire que la situation allait se débloquer/régulariser », lit-on dans sa déposition. « C’est justement ce studio, qui constitue la plus belle unité de tout l’immeuble avec ses trente mètres carrés, sa terrasse et sa vue sur jardin, qui lui a donné le déclic final d’acheter l’immeuble ». En plus, elle aurait misé sur cinq loyers pour rembourser son prêt à la banque. En 2021, alors que l’enquête judiciaire était déjà lancée, Reding et Reuter lui auraient proposé de racheter l’immeuble, déclare la nouvelle propriétaire au procès (qui s’est tenu les 19 et 24 octobre), mais elle « ne voulait plus rien avoir à faire avec ces gens malhonnêtes ».
Ce n’est pourtant pas l’acheteuse qui lance l’affaire, mais le Parquet qui, suite à une visite des lieux par la Police, ouvre une information judiciaire en juin 2019. (L’acquéreuse ne se portera partie civile que très tardivement, le premier jour du procès.) Un mois avant de signer l’acte de vente (pour 1,65 million d’euros), l’épouse de Roy Reding, la notaire Karine Reuter, envoie un mail à son agent immobilier : « Je me pose uniquement la question de savoir s’il ne faudrait pas écrire une toute petite phrase concernant le problème du studio au rez-de-chaussée ». L’agent estime qu’il vaudrait « mieux ne pas y revenir ». Si l’acte de vente énumère seulement quatre unités habitables, il ne note pas expressément que la cinquième unité ne pouvait plus être donnée en location. Dans son arrêt prononcé le 24 novembre, le tribunal correctionnel y voit un « vice caché » au moment de la vente. Roy Reding aurait commis « un faux intellectuel », et ceci dans une « intention frauduleuse ». Il aurait menti à l’acquéreuse, la poussant à signer « sous de faux prétextes avant l’expiration du délai imparti pour la remise en état ». Le député est condamné à douze mois de prison, une peine assortie d’un sursis intégral.
Au-dessus de la tête de Roy Reding pend désormais une épée de Damoclès. Le député a annoncé interjeter appel, mais il apparaît fragilisé. D’autant plus qu’il admet que d’autres procès pourraient suivre. « On est bombardés par des enquêtes, les unes plus ridicules que les autres », dit-il. Combien au juste ? « Des centaines, des centaines ! Il s’agit de liquider un homme ». Face au Land, le député ADR monte une défense à la Berlusconi. Il se dépeint en victime de « certains procureurs », qui n’auraient pas apprécié ses critiques contre leur « sacro-sainte » indépendance. Le Parquet se considérerait comme « intouchable », ne devant des comptes « ni au premier pouvoir, ni au deuxième pouvoir, ni à la population », classant ou poursuivant les plaintes « en-dehors de tout contrôle ». « Ma femme a été juge pendant dix ans ; ech weess wéi den Hues leeft. Et c’est exactement ce qu’ils ne nous pardonnent pas. » L’argumentaire peine à convaincre. L’instruction a suivi son cours, dans les délais usuels. Tout compte fait, l’affaire est banale ; même si la condamnation paraît, elle, sévère. (Contacté par le Land, le Parquet n’a pas souhaité s’exprimer.) On en est loin de l’affaire Frëndeskrees, où le Parquet avait montré ses muscles, menant une enquête hâtive et envoyant sept notables CSV sur le banc des accusés.
Rencontré ce lundi matin, dans l’étude de notaire de son épouse, Roy Reding s’affiche comme un homme serein, marqué par la foi : « Regardez mes amis sur Facebook. Mir sinn einfach Namasté. Nous sommes beaucoup plus libéraux, tolérants et terre-à-terre. Ce qui doit arriver arrive. Je crois dans quelque chose comme le destin, je crois en Dieu. » Le jugement du tribunal correctionnel, il l’aurait ressenti comme un « Schicksalsschlag » qui l’aurait forcé à reconsidérer ses priorités. Cela expliquerait sa démission du conseil communal, annoncée en catimini ce samedi sur Facebook. L’ADR perd son unique siège au Knuedler. Marceline Goergen, qui succédera à Reding, a quitté le parti en avril dernier. Elle aurait été en désaccord avec « la direction » prise par le parti, où elle travaillait comme attachée parlementaire. Sur Radio 100,7, elle dit avoir été approchée depuis samedi par « au moins » trois partis qui voudraient la recruter. Goergen et Reding n’avaient pas exactement les atomes crochus : « Mir haten eng ganz éierlech an offe Feindschaft », dit ce dernier. Il admet n’avoir pas brillé au conseil communal par ses présences : « Je suis souvent arrivé plus tard et parti plus tôt ». (L’élu ADR a même voté les budgets 2020 et 2021 avec la majorité DP-CSV.) Il aurait été surmené, la gestion de « Mamer Plage », un restaurant qu’il a repris en mars 2021, s’ajoutant désormais à ses activités immobilières. En même temps, le politicien dit passer trois mois par an en Afrique du Sud, ce qui expliquerait qu’il manque quelques séances plénières au Parlement.
Contrairement à la France, une poursuite pénale ne nécessite pas une levée de l’immunité parlementaire. (Seule une arrestation, en dehors d’un flagrant-délit, doit être autorisée par la Chambre.) Dans le cas d’un délit pour lequel aucune peine d’inéligibilité n’est prononcée, la Chambre ne peut pas simplement enlever un mandat à un député. Bref, si Roy Reding démissionnait, ce serait de sa propre initiative. Il a fallu attendre mardi, soit cinq jours après la publication du jugement, pour que le groupe parlementaire de l’ADR affiche publiquement son soutien à Reding. Face au Land, le député Fred Keup déclare que le jugement viserait Roy Reding « en tant que personne privée », que le procès n’aurait « rien à voir » avec ses mandats politiques, et que, de toute façon, il faudrait attendre le jugement en deuxième instance ; « on insiste sur la présomption d’innocence ».
Reding raconte fièrement avoir été un enfant de chœur dans son village natal de Bech, près d’Echternach. Adolescent, il aurait caressé l’idée de devenir prêtre, influencé par la théologie de la libération. Reding est né en 1965 dans une famille solidement ancrée à gauche, ses parents étaient membres actifs du LSAP. Cheminot, son père fut gravement blessé lors d’un accident de travail, et finit sa carrière comme huissier à la direction des CFL. Sa mère, comptable dans une bijouterie, aurait été « la première fille du village » à travailler en Ville et à porter des nylons, raconte Roy Reding.
Le fils rend régulièrement hommage à sa mère. En décembre 2014, il conclut ainsi son intervention anti-avortement à la Chambre par la phrase : « Mammchen, ech weess, datts du net mat allem d’accord bass, wat ech hei gesot hunn. Mä ech soen der eng Saach: ‚Ech si frou, net ofgedriwwe ginn ze sinn‘ ». Sur la question des droits reproductifs, Reding sonne comme un évangélique américain : « Ech soe mengem Bouf a mengen draï Meedercher : ‚Wann der grouss an al genuch sidd, fir Kanner ze maachen, da sidd der och grouss an al genuch, fir déi Kanner ze kréien‘. » Quand le député prend la défense des sociétés-écrans ou du secret bancaire, c’est souvent comme outil du patriarcat, permettant à un homme de financer sa maîtresse à l’insu de son épouse. Il y a une douzaine d’années, Roy Reding avait acquis des droits de licence pour « Hooters », probablement la franchise de fast-food la plus sexiste au monde : Les serveuses sont tenues de porter des shorts très courts et des t-shirts moulants.
Dans un article publié en décembre, le Tageblatt tente de faire le portrait du vieux populiste en jeune gauchiste. Élève au Lycée classique d’Echternach, Roy Reding fumait la pipe, écoutait Konstantin Wecker et portait un keffieh. Dans le journal lycéen, De Maul-
wuerf, il se profile comme catholique anticlérical, pacifiste et tiers-mondiste. À quinze ans, il prend sa carte au LSAP et aux Jeunesses socialistes, et flirte brièvement avec le trotskisme. Étudiant à Aix-en-Provence, il est élu président de l’Unel, s’engage à l’Unef-ID et fait campagne pour la réélection de Mitterrand. De retour au Luxembourg, une première fissure avec la famille socialiste apparaît. Reding est écarté en dernière minute de la liste pour les élections législatives de 1994. Les liens avec ses camarades se distendent, le juriste s’établit dans un domaine luxueux près d’Arlon.
L’année précédente, Reding avait ouvert sa propre étude. Il se spécialisera dans l’immobilier et l’offshore, une combinaison gagnante dans les années 1990-2000. « Nous avons fait énormément de fiducie, nous avons travaillé pour de grandes familles. On était ce qu’on appellerait aujourd’hui un family office. » Comment a-t-il réussi à démarcher les grandes fortunes ? Il répond par un exemple : « Tu assistes à un événement Polo, dont l’équipe appartient à une famille qui est, par ailleurs, propriétaire d’une banque. Avec ces gens-là, tu sirotes ton champagne et tu parles iwwert Gott an d’Welt. Et un jour tu seras leur avocat. Ce qui aide, c’est de penser un peu différemment… » En 2016 encore, l’étude Reding affichait sur son site Internet : « L’importance de la place financière et du secret bancaire font que nos activités comportent également la fiducie et la domiciliation des sociétés ». « Dat war normal », dit le député aujourd’hui. Une large partie des structures montées par Reding passaient par le Panama, les Seychelles et d’autres juridictions opaques.
Sur les 18 sociétés que le député Reding liste dans sa déclaration des intérêts financiers, la plupart sont liées à l’immobilier. « J’avoue que j’ai acheté et revendu beaucoup d’objets immobiliers dans ma vie, dit l’intéressé. J’avoue aussi que j’ai gagné beaucoup d’argent avec. Mais il n’y a rien d’illégal là-dedans ». Comme tant d’autres fortunes liées à l’immobilier, le couple Reding-Reuter s’est investi dans le foot. Flavio Becca joue au mécène au FC Swift Hesperange et au F91 Dudelange, Fabrizio Bei est à la tête du FC Differdange 03, Karine Reuter préside le Racing FC. Les affaires immobilières du Reding-Reuter ont parfois fait couler de l’encre. En mars 2009, De neie Feierkrop avait ainsi titré sur « die okkulten Geschäfte » du politicien ADR. Lors d’une vente forcée en 2007, Roy Reding se serait « accaparé » des domaines de la brasserie bio de Rédange (producteur de la marque Okkult), alors que, deux années auparavant, sa femme en surveillait la faillite en tant que juge-commissaire. Reding aurait procédé via un « Geflecht von Schachtelgesellschaften » domiciliées aux Caraïbes et dans lesquelles on retrouverait l’expert-comptable Jean Faber, par ailleurs désigné comme expert durant la gestion contrôlée de la brasserie en 2005. Sur RTL-Radio, Reding s’indigna à l’époque de propos diffamatoires ; l’article du Feierkrop serait « une bouillie de contrevérités ».
Lorsque Reding relate cette transaction, on se rend compte de la banalité de l’offshore dans les années 2000. Lui et son épouse auraient appris par le journal que la BCEE allait procéder à la vente forcée du domaine de la brasserie de Rédange, commune où Karine Reuter venait d’établir son étude de notaire quelques mois plus tôt. « Oui, nous l’avons acheté aux enchères. Mais ce n’est quand même pas interdit ! Nous avons fait l’offre la plus haute à des enchères publiques, et personne n’a exercé la faculté de surenchère. Aurions-nous dû ne pas acheter, juste parce que ma femme avait été, des années auparavant, juge-commissaire ? Cela n’avait strictement rien à voir. » Le recours à des sociétés offshore relevait quasiment de l’ordre du réflexe. « Je n’étais pas à la vente, j’y avais envoyé quelqu’un à ma place. À un moment, cette personne m’appelle et me dit : ‚Roy, on a eu l’adjudication. De Notaire freet op wat mir et kaafen ?‘ Je ne m’y attendais pas du tout. Merde, quelle firme allons-nous prendre ? J’appelle donc mon collègue, client et ami Jean Faber : ‘Stuppi, du hues bestëmmt nach eng Shelf-Gesellschaft [une société ready-made], déi s du mir kanns ginn’. Il me dit que oui, m’en donne le nom, l’adresse, le numéro de registre… et merci. Rien de plus normal ! Rien de plus normal ! […] Après, j’ai renommé la firme et remplacé les deux sociétés offshores qui en étaient les actionnaires et n’avaient été que les instruments de sa création. Depuis, ma femme et moi en sommes les actionnaires ».
Comme Fred Keup dix ans après lui, Roy Reding entre sur la scène politique nationale à la faveur d’un référendum. En 2005, il se lance dans la mêlée des débats autour de la Constitution européenne, plaidant pour un « non » souverainiste. À l’époque, il n’était pas estampillé à droite. À côté de son core-business offshore et immobilier, il s’était assuré des credentials auprès de la gauche. Il avait ainsi assuré l’assistance juridique (pour un honoraire modique, dit-il) des 600 activistes de Greenpeace qui, en octobre 2002, avaient bloqué les 28 stations Esso du Grand-Duché. En février 2006, le nom de Roy Reding apparaît une première fois en relation avec l’ADR, comme un des trois candidats (symboliques) proposés par le parti pour le Conseil d’État. Dès avril de la même année, l’avocat est élu secrétaire général d’un parti qu’il venait juste de rejoindre. (Il dit avoir été impressionné par la lecture du journal toutes-boîtes de l’ADR, De Pefferkär : « Déi sinn eigentlech groussaarteg, déi si wéi s du ».) Mais Reding s’aliéna vite la base populaire de l’ADR, lorsqu’en 2007, il appela à couper « de manière drastique et radicale » le RMG.
En 2009, l’ADR pensait son heure venue. Comme en 2018, les sondages de TNS-Ilres lui promettaient un triomphe électoral. Le parti crut à son propre hype et mena une campagne onéreuse et très marquée à droite. Ce fut la bérézina. Roy Reding manqua son entrée au Parlement et le parti se retrouvait endetté jusqu’au cou. L’année suivante, Roy Reding, unique candidat à sa réélection au poste de secrétaire général, ne rassembla que 62 pour cent des votes. Il participa peu aux réunions internes, s’abstenant largement des besognes internes. En 2013, il entre enfin au Krautmaart comme élu du Centre, son némésis au sein du parti, Jacques-Yves Henckes, ayant quitté l’ADR l’année précédente. Comme député, Reding se préoccupe principalement de ses propres centres d’intérêts. Ses questions parlementaires se font régulièrement l’écho des doléances des notaires, des chasseurs ou des antivax. En 2016, Roy Reding se disait « sympathisant » de Donald Trump. Les parallèles entre les deux hommes sont frappants : Même passion pour l’immobilier, même ostentation bling-bling, même prétention de parler au nom des « petites gens », même posture victimisante face à la Justice. Lorsqu’on lui demande s’il compte se représenter en 2023, Roy Reding répond par un « selbstversändlech ».