Le questionnaire de Proust date des années 1860 était nommé Confessions. Les 33 confessions d’artiste sont un jeu, relativement sérieux, qui s’en inspire. La danseuse Yuko Kominami y répond

33 confessions d’artiste : Yuko Kominami

La danseuse Yuko Kominami, dans IWA-KAGAMI. Opderschmelz 2018
Foto: Bohumil Kostohryz
d'Lëtzebuerger Land vom 12.03.2021

Ce que je prends au petit-déjeuner

Un nettoyant (une grande tasse d’eau tiède), un stimulant (une grande quantité d’eau), de bonnes bactéries (du chou fermenté dans du vinaigre, sauce soja, saké sucré) et un carburant (du pain ou un bol de riz).

Ma première œuvre d’art

Quand j’avais 6 ans, je sortais tous les matins pour sauter à la corde, et ce-faisant, je discutais avec le soleil. Je me souviens encore du soleil qui me parlait. Tous les jours, en rentrant à la maison, je documentais ces conversations. C’était un art performatif imaginaire accompagné d’une documentation de poésie en prose qui a duré environ un an.

La raison pour laquelle je fais de l’art

Mon art et ma vie ont commencé à fusionner il y a très longtemps, maintenant je ne pense plus au pourquoi. C’est ce que je fais, c’est ma manière d’exister dans ce monde – c’est comme ça que je le ressens. C’est comme se réveiller chaque matin, faire des choses, ressentir de la joie...

Ce que je fais mis à part de l’art

Je ne le fais pas aussi souvent que je devrais, mais quand je fais un travail de production, je ne sens pas que c’est de l’art.

Les rapports entre mon art et ma vie

Même réponse qu’à la troisième question !

Ce que j’aime le plus dans le processus créatif

Quand je crée une pièce, quand je travaille sur une matière, je me sens comme si je creusais un abîme. Je peux creuser de plus en plus profondément, il n’y a pas de fin. En plus de ça, la boue que j’extraie est juteuse.

Ce que j’aime le moins dans le monde de l’art

Quand le capitalisme prend le dessus et l’œuvre d’art est considérée comme une marchandise.

Est-ce que l’art a des limites ?

Non, mais cela dépend de comment vous définissez les notions d’art et de limite. Mais à sa manière – et pas nécessairement dans une perspective morale – je pense que l’art doit être basé sur le respect.

Mon occupation préférée

Nous tortiller et nous balancer, ma fille de 7 ans et moi

Mon drink préféré

Un thé vert vif – presque fluorescent – et doux, qui est un mélange de poudre de matcha, de thé vert et de grains de riz brun grillés.

Ce que je fais quand je ne suis pas inspirée

Tout oublier et sortir se promener dans un état inconscient, flotter (dans la mer, dans son bain.), ou manger du chocolat en abondance.

Ma drogue préférée

S’il existe « l’ivresse du coureur », peut-être alors que je pourrais appeler la mienne « l’ivresse de la danse ». Quand je danse, quelque chose se passe et je sens que je suis connectée à TOUT, littéralement à chaque chose. Et cela vous élève pour toujours : il n’y a pas de descente, ni de gueule de bois. Mais c’est hautement addictif.

Mon mot préféré

En anglais... peut-être becoming, blossoming.

Le mot que je déteste

Je ne peux penser à aucun.

Ma langue préférée

Une langue maternelle.

Mon rapport au temps

Une relation d’amour-haine. J’aime quand une fraction de seconde se déplie à l’infini. Je déteste quand je dois rattraper le temps.

Le rôle du corps dans mon travail

C’est un point de départ. Mon corps est un paysage volatile emprunté, où réside un microcosme.

Le rôle de la politique dans mon travail

Je comprends que ces jours-ci, dans le monde où nous vivons, presque tout est politisé et le pouvoir est diffus partout. Donc, je sens que la politique est déjà là, que je le veuille ou non. Ce n’est peut-être pas si évident, mais je cherche consciemment, à ma manière, dans mon travail, un moyen de sortir des jeux de pouvoir inégaux et absurdes.

Le rôle de la couleur dans mon travail

Très important. Les couleurs fonctionnent dans mon travail par synesthésie, évoquant des souvenirs et des univers.

Le rôle de la nature dans mon travail

Essentiel et très présent. Mon corps est une partie de la nature. Toute chose artificielle que je fais, fait peut-être aussi partie de la nature.

Le rôle du monde des idées dans mon travail

Inspiration. J’aime me plonger dans les pensées de beaux penseurs, m’en inspirer pour trouver un passage dans ma recherche. Mon père était un homme passionné par « le monde des idées », et j’espère l’avoir reçu un peu de lui.

Le rôle des modes du monde de l’art dans mon travail

Les modes dévoilent en partie l’état du monde, je crois. Mais je garde mes distances.

La matière avec laquelle je n’ai jamais osé faire d’œuvre

Je dois confesser que je ne suis pas très douée pour le gore.

Mes artistes favoris

J’en ai tellement. Mais si je pense à la longueur temporelle – au temps – que je peux passer dans l’œuvre de quelqu’un : Kobori Enshu, un maître zen architecte, qui conçoit des jardins. Je peux rester dans son jardin toute la journée, oublier le temps…

Mon son préféré

Le son de la batterie, lors d’un festival, entendu de loin… l’excitation qu’il suscite.

Le son que je déteste

Un cri d’horreur.

Ma proposition artistique dans la perspective de l’histoire de l’art

Intersection, une ouverture, ou un trou.

Les fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence

Arriver en retard… car à ce sujet je suis aussi sur une corde glissante.

La manière de faire ou la chose faite ?

La manière de faire ! Ou plutôt, le processus.

Ce qui pour moi est inacceptable

Un manque de respect. Pas seulement envers les êtres humains, envers tout.

L’animal ou la plante dans lequel je voudrais être réincarné(e)

Si possible, j’aimerais beaucoup être une créature qui est à moitié quelque chose, et à moitié quelque chose d’autre. Par exemple demi-paon et demi-mousse lumineuse. Ou demi-lierre et demi-lynx, quelque chose comme ça.

Le lieu où je ferais une œuvre si j’avais une baguette magique

Dans le bar du Paradis.

Mon état d’esprit actuel

Je me sens comme une méduse flottante, fluide, brillante aux couleurs prismatiques roses et peut-être attendant une grande vague…

Sofia Eliza Bouratsis
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