« Lëtzebuerg gär hunn », ou : le populisme de droite

d'Lëtzebuerger Land vom 29.09.2023

En période électorale, les partis politiques se dotent de slogans pour mettre en avant leur « identité de marque » et se démarquer de la concurrence.

Ainsi, en ce Superwahljahr, le DP est « no bei dir »(« proche de toi »), le LSAP veut agir « zesummen » (« ensemble »), le CSV pense qu’il est « Zäit fir eng nei Politik » (« temps pour une nouvelle politique »), etc.

Un parti, cependant, ressort du lot : l’ADR, avec son slogan « Lëtzebuerg gär hunn » (« aimer le Luxembourg »).

À première vue, c’est un slogan qui ne dit pas grand-chose, qui brille par sa platitude et son côté vague. On ne peut être moins concret sur ce qu’on veut.

Cependant, il est tellement beau et aimable que ça vous donne une sensation chaleureuse de rayons de soleil. Mais de soleil à la pure apparence innocente à la Teletubbies où il faudra regarder de près quel visage s’y cache. Le contexte politique lui donne en effet un sens tout autre.

Un slogan politique peut s’analyser à plusieurs niveaux, dont voici deux des plus importants : celui des autres partis politiques (la concurrence) et celui des électeurs (le public-cible).

Au niveau des partis politiques, le slogan sert à se différencier d’autrui. Si l’ADR écrit « aimer le Luxembourg », cela équivaut à écrire « nous, ADR, aimons le Luxembourg ». Vouloir se démarquer avec un tel slogan revient alors à dire indirectement « …et les autres ne le font pas (vraiment) ». Car sinon en quoi l’ADR se différencierait-il des autres partis et en quoi se voudrait-il intéressant pour les électeurs ?

De la suggestion que les autres partis n’aimeraient pas (vraiment) le Luxembourg, on n’est pas très loin d’un discours populiste de droite voire d’extrême-droite qu’on entend dans d’autres pays, accusant les politiciens au pouvoir de trahir les intérêts de la patrie et de la nation – car qui n’aime pas (vraiment) son pays est susceptible de le trahir en vue d’autres intérêts, notamment personnels.

Si telle n’était pas l’intention de l’ADR (qui ne cache pas ses positions de droite et dans le passé s’est déjà fait reprocher des propos populistes provocateurs), il aurait dû choisir ses mots avec plus de prudence, plus de délicatesse.

Or, il faut se poser la question de savoir si ce n’était pas exactement là son intention. Il y a quelques mois, le même parti avait déjà placardé le pays avec un slogan aux qualités sphinxiennes, Eis Gemenge gär hunn (« Aimer nos communes ») : qu’est-ce que ça veut dire concrètement, par Toutatis ? Ce message vaguissime générait – intentionnellement ou non – une suggestion pareille : que l’ADR se distinguerait par son amour des communes et que les membres des autres partis politiques n’aimeraient pas (vraiment) celles-ci, qu’ils ne les géreraient pas en « bons pères de famille ».

Au niveau des électeurs, il en va de même : Si vous aimez le Luxembourg, alors il faut voter ADR. Si vous ne votez pas ADR, aimez-vous le Luxembourg ? (La logique des slogans électoraux, qui vise le conscient ou le subconscient des électeurs, est généralement la même partout ; pour l’illustrer à l’aide d’un autre slogan, celui du CSV : Si vous pensez qu’il est temps pour une nouvelle politique, alors il faut voter CSV. Si vous ne votez pas CSV, êtes-vous pour une nouvelle politique ?)

Le slogan de l’ADR ne dit rien de concret, si ce n’est faire appel à des sentiments patriotiques voire nationalistes.

Ce discours manipulateur de « l’amour » pour son pays s’inscrit fortement dans celui tenu par des partis populistes de droite voire d’extrême droite : AfD en Allemagne, Front National ou Rassemblement National en France, Partij voor de Vrijheid (Geert Wilders) aux Pays-Bas, etc.

Avec « Lëtzebuerg gär hunn », l’ADR se rapproche aussi – intentionnellement ou non – du grand populiste américain Donald Trump et de son fameux slogan « Make America Great Again ». (Ce n’est pas la première fois que les têtes de l’ADR se voient faire ce reproche.)

Avec « Lëtzebuerg gär hunn », on s’imagine les leaders du parti ADR embrasser, en paroles, le drapeau luxembourgeois, lui donner un petit hug pour montrer qu’eux se considèrent comme de « vrais patriotes » … à la différence de tous les autres candidats ?

Or, on peut parfaitement aimer le Luxembourg sans partager les vues de l’ADR et sans être la victime de sa rhétorique manipulatrice. Méfiez-vous des gens qui proclament par trop leur amour. Car derrière la façade qu’ils érigent, il tend à se faire rare.

Thierry Hirsch est docteur ès lettres classiques de l’Université d’Oxford avec comme domaine de spécialisation la rhétorique

Thierry Hirsch
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