L’année 2018 a été très décevante pour le secteur du private banking helvétique, selon l’étude annuelle de KPMG Suisse et de l’Université de Saint-Gall (HSG) publiée le 22 août sous le titre « Clarity on Performance of Swiss Private Banks ». Plusieurs indicateurs de performance des 87 banques privées étudiées, sur un total de 101, sont en berne, confirmant la tendance constatée ces dernières années.
En apparence les résultats ont été plutôt corrects en considérant l’ensemble des banques étudiées. Si leur produit net bancaire (operating income) n’a augmenté que de deux pour cent, leur bénéfice net s’est accru de plus de douze pour cent. Le coefficient d’exploitation (rapport entre les dépenses d’exploitation et le PNB) s’est amélioré de 1,4 point pour passer à 75,2 pour cent. Et le ROE (return on equity) s’est établi au niveau très convenable de 7,9 pour cent alors qu’il était encore de six pour cent en 2016. Seul bémol, les actifs sous gestion qui en moyenne sur l’année sont restés pratiquement stables à 2 568 milliards contre 2013 en 2017.
Ce constat dissimule une réalité beaucoup plus contrastée. Le private banking suisse est très atomisé, 53 des 101 banques étant considérées comme « petites » avec des actifs sous gestion inférieurs à cinq milliards de CHF. Or, près de la moitié de ces établissements sont très peu performants et leur pérennité est menacée. En revanche, ceux qui gèrent chacun plus de 25 milliards de CHF tirent bien mieux leur épingle du jeu.
Ces grandes banques sont au nombre de vingt, parmi lesquelles seize ont pu être étudiées. Elles représentent plus de 83 pour cent du produit net bancaire et des actifs gérés dans l’échantillon total. Selon le rapport, elles sont « généralement bien positionnées et profitables ». En revanche, si les actifs sous gestion moyens ont crû de 3,6 pour cent, c’est surtout grâce à la bonne tenue de la bourse : les nouveaux apports des clients n’ont progressé que de 1,1 pour cent, une évolution qualifiée de « décevante » par les auteurs de l’étude KPMG-HSG.
Cette dernière a également porté sur 24 des 28 « banques moyennes » dont les actifs sous gestion sont compris entre cinq et 25 milliards CHF. Leur poids est beaucoup plus modeste : à peine onze pour cent du PNB total et moins de dix pour cent des actifs confiés. Pour les deux tiers, il s’agit de filiales de groupes étrangers. Selon le rapport, elles ne tiennent que grâce aux réductions de coûts qu’elles ont mises en œuvre, mais comme ces baisses trouveront fatalement leurs limites, on peut parler à leur sujet de « déclin reporté ». Les actifs sous gestion baissent de 8,3 pour cent, malgré la hausse des marchés. Cela dit, des situations variées existent : ainsi, sept établissements, soit quasiment le tiers de l’échantillon, sont considérés comme « strong performers ».
L’échantillon comprenait 47 des 53 « petites banques ». Leur poids est très faible : 5,7 pour cent du PNB et 4,5 pour cent des encours de l’échantillon. Leur situation est préoccupante, avec une rentabilité en baisse et douze d’entre elles « dans le rouge » même si huit banques affichent de bonnes performances.
Comme les meilleures performances en termes de productivité et de rentabilité ont été réalisées par des grandes entités, les auteurs du rapport y voient un facteur favorable à une nouvelle vague de consolidation par voie de fusions et acquisitions, afin d’atteindre une taille critique (dont le niveau n’est cependant pas précisé). Le sous-titre du document est d’ailleurs « bigger is better in the quest for success ».
Ce mouvement a déjà eu lieu : depuis 2010 le paysage financier suisse a vu disparaître 62 banques privées soit une diminution de 38 pour cent ! Parmi elles figurent 52 petites banques (leur nombre a été divisé par deux sur la période) mais seulement neuf banques moyennes et une seule grande. Pour les auteurs, c’est encore insuffisant, d’autant plus que le mouvement semble se ralentir. Ils exhortent les actionnaires et des dirigeants des banques petites et moyennes les moins performantes, soit plus d’une quarantaine d’établissements, à prendre leurs responsabilités pour accélérer les rapprochements stratégiques.
Ils mettent en avant le fait qu’au fil des ans, on a vu émerger un groupe de banques privées suisses détenant chacune plus de cent milliards de CHF d’actifs sous gestion, un modèle qui s’est révélé très fructueux. En effet une grande taille permet de réaliser toutes sortes d’économies d’échelle et de disposer de ressources plus importantes pour les investissements informatiques et commerciaux : elle permet ainsi de se doter d’un réseau mondial de succursales ou de filiales, car une présence locale est indispensable pour pénétrer notamment les grands marchés émergents.
Toutefois, force est de constater que le segment des grandes banques n’a pas particulièrement brillé en 2018 en termes de croissance des actifs sous gestion par apport d’argent frais (net new money). Les auteurs reconnaissent que si ces banques perdent moins de clients qu’il y a quelques années au moment où le secret bancaire a été levé, elles peinent aussi à en gagner de nouveaux. Sans doute par manque d’agressivité commerciale mais aussi, selon KPMG et HSG, à cause d’une configuration inadaptée des réseaux. Les banques privées suisses, même les plus importantes, ne sont pas assez présentes sur les marchés en croissance, ce qui limite les opportunités d’acquisition de nouveaux clients.
Comme, à l’autre bout de l’échelle de taille, la plupart des petites et moyennes banques travaillent toujours sur la base d’un modèle d’affaires obsolète faisant la part belle à l’offshore, la conséquence est une stagnation des actifs sous gestion pour l’ensemble des banques privées suisses depuis déjà plusieurs années. La richesse mondiale augmentant constamment, il en résulte une diminution de la part de marché des banques suisses au niveau mondial, sur ce critère.
Elle serait sans doute plus accentuée sans l’incidence des marchés financiers, dont la hausse, en 2017 par exemple, a expliqué 94 pour cent de la croissance des encours gérés ! (Inversement, fin 2018, la chute des marchés a lourdement impacté leur montant.) Pendant plusieurs années, pour expliquer leurs mauvaises performances, les banques privées suisses ont incriminé l’héritage du passé, la rigueur de la réglementation, en particulier en matière de transparence fiscale, et la politique taux d’intérêt négatifs de la Banque nationale suisse. Ces prétextes bien que largement fondés ne suffisent plus. Ce sont les stratégies suivies et les modèles d’affaires qui sont désormais en cause. Mais, comme le notait le Baromètre des banques suisses publié début 2019 par EY, « elles ont plutôt tendance à peu s’occuper d’une possible transformation de leur modèle d’affaires. Ces sujets sont plutôt relégués en milieu, voire très loin dans les priorités ».