Entre les tours et les résidences, bien caché à tous ceux qui ne connaissent pas le quartier, le parc Um Belval est un écrin de verdure singulier. Le développeur du site, Agora, n’a pas construit un simulacre de nature, qui s’approchait d’ailleurs du projet initial de 2002. Sur ce lieu majeur de l’histoire de la sidérurgie luxembourgeoise, sur le point d’être transformé en ce qui ressemblait alors à un quartier du futur, faire comme si un environnement sauvage avait repris ces droits aurait sans doute été comme une faute de goût, comme une association de couleur qui ne fonctionne pas.
Un appel d’offres a permis de trouver un projet plus proche de l’âme d’un site retourné pratiquement de fond en comble. Élaboré par l’Agence franco-allemande Ter, le concept prenait cette fois le parti de miser ostensiblement sur la carte du paysage construit. Sans faux-semblant, n’importe quel promeneur comprendrait sans même l’intellectualiser que les allées sur lesquelles il déambule et les pelouses où les enfants jouent sont les fruits d’une création humaine, pas de la nature. Ce qui ne l’empêche pas d’héberger aujourd’hui des écosystèmes riches.
Ce point de vue originel lui permet de ne pas uniquement se reposer sur un usage récréatif. Le parc Um Belval proprement dit, c’est-à-dire le paysage arboré et apprêté que l’on connaît aujourd’hui, est un instrument capital de la gestion des eaux de pluie dans tout le quartier. Le point d’orgue du concept est le Wassertrap, qui file le long des résidences, côté Sanem. Les précipitations qui tombent sur Belval Nord (Sanem), Belval Sud (Esch) et le parc sont dirigées vers cet escalier géant composé de 24 marches capable de recueillir 6 300 m3 d’eau. Comme un bassin de rétention, mais sans béton, puisque les paliers sont en bois. Ce système permet non seulement d’éviter ou de limiter les crues en cas de besoin, ce qui est essentiel sur une aire géographique où l’artificialisation des terres est importante, mais aussi de créer de toute pièce un paysage où la nature peut s’épanouir. La Wassertrap est un biotope riche, qui fait d’ailleurs partie des mesures de compensation prises pour atténuer les pertes écologiques dues aux nouvelles constructions. Qui plus est, lorsqu’elles sont sèches, les marches font partie intégrante du parc et ces espaces verts sauvages peuvent être fréquentés par les passants.
Dans le futur, le parc actuel sera singulièrement prolongé par le plateau Saint-Esprit. Actuellement, ce site qui longe la porte de l’Université recueille les terres polluées sorties de l’ensemble des chantiers de Belval. Nivelé en trois plateaux-talus, ils seront à terme recouverts d’une couche d’argile imperméable, puis de terre arable dans laquelle sera plantée la végétation. Cette extension occupera environ cinq hectares.
Deux profs de lycée fans de frisbee
Les différents secteurs des huit hectares du parc sont facilement identifiables par les usagers. Les installations incitent en outre à la pratique de sports et d’activité physiques plutôt inhabituels. Ici, pas de stade acheté sur catalogue, mais plutôt un skate park qui donne sur le lycée Bel-Val, une aire de jeu inclusive avec des éléments en bois assez spectaculaires, une table de teqball (une table de ping-pong incurvée sur laquelle on joue avec un ballon de foot) et un parcours de disc golf.
Ce dernier mérite que l’on s’y arrête, d’abord parce que ce sport est encore très méconnu dans nos contrées, alors qu’il, au fond, très facile et peu coûteux d’y jouer. Codifié il y a une cinquantaine d’années aux États-Unis, le principe est similaire à celui du golf : réaliser avec le moins de coups possibles un parcours situé entre le tee et l’aire d’arrivée, ici un panier métallique fixé sur un poteau. Mais plutôt que d’utiliser un club et une balle, on lance un frisbee. Selon la phase de jeu à laquelle on s’attaque, il existe différentes morphologies de disque. Le driver permet de lancer loin, en début de parcours. Le mid range est utile dans un deuxième temps, en phase d’approche, tandis que l’on sort le putter lorsque, à proximité du panier, il s’agit de finir le travail.
Les États-Unis et les pays scandinaves sont particulièrement friands du disc golf. En Finlande, il est même le deuxième sport le plus pratiqué, derrière le hockey, mais devant le football. Au niveau mondial, sa croissance est spectaculaire ces dernières années. La fédération qui organise sa pratique, la PDGA (Professional disc golf association) est passée de 50 000 membres en 2011 à plus de 260 000 aujourd’hui. Le nombre de parcours explose un peu partout, il en existe plus de 14 000 dans le monde à l’heure actuelle.
Chronologiquement, celui de Belval est le troisième à avoir été créé dans le pays. Le premier a été installé à Bourglinster (en mauvais état, il est pour ainsi dire impraticable) et le deuxième, de quatre paniers seulement, se situe à Dudelange près du lycée Nic-Biever. Belval est donc le plus intéressant à utiliser, celui autour duquel se retrouve tous les samedis matins les joueurs membres du club local. Les néophytes peuvent se mêler aux licenciés qui prêtent volontiers des disques et montrent les subtilités de leur maniement.
Le Disc Golf Club Luxembourg a été créé en juin 2020 sur l’impulsion de deux professeurs du lycée Bel-Val, situé en bordure du parc, Gérard Kraus et Claude Bouvy. « J’avais découvert ce sport en 1995/1996, lors de mes études en Suisse, puis je l’avais oublié, se souvient Claude Bouvy. Par hasard, en 2019, nous en avons reparlé avec Gérard et nous nous sommes dit que ce serait une super activité pour les élèves. L’établissement a bien voulu acheter quelques paniers mobiles et nous avons organisé un premier petit tournoi pendant la fête du lycée. Cela avait vraiment bien marché ! »
Une fois la première initiative lancée, tout s’est rapidement enchainé. Le lycée propose la rentrée suivante une option disc golf et le premier club du pays (et toujours l’unique) est fondé. Il est membre de la Luxembourg Flying Disc Federation et de la Luxembourg Field sports Federation, et ainsi du Comité olympique et sportif luxembourgeois.
Le nouveau parc public situé juste à côté du lycée et qui se cherche encore une personnalité et des usages à destination des habitants donne des idées aux deux hommes qui se mettent en relation avec la commune. « Tout est allé très vite, sourit Claude Bouvy. Nous avons expliqué notre projet de créer un parcours de neufs paniers et nous avons fait un tour du parc avec les élus pour leur montrer à quoi cela pouvait ressembler sur le terrain. Ils ont été convaincus. »
Il faut dire que les infrastructures ne sont pas onéreuses. L’ensemble du parcours a coûté autour de 17 500 euros à la commune, points de départ, paniers, panneaux explicatifs et design des neuf trous compris. À des années-lumière des 114 millions estimés pour le futur centre sportif qui inclura une piscine trois bassins, un centre multisport, une grande halle (sans tribune), un mur d’escalade et plusieurs terrains extérieurs. Un projet qui vient d’entrer en commission à la Chambre des députés et dont, il faut le reconnaître, Esch, Belval et Sanem ont besoin tant les infrastructures actuelles ne sont plus adaptées aux exigences d’une population qui croît de manière spectaculaire.
Le parcours de disc golf (ainsi que d’autres équipements du parc) sont inaugurés le 11 septembre 2021 et, sans perdre de temps, la première compétition labellisée PDGA, le Minett Open, est organisée dans la foulée. Cette année, la troisième édition rassemblait plus d’une quarantaine de joueurs venus du Luxembourg, de Belgique, d’Allemagne et de France. Un record qui illustre l’engouement pour ce sport facile d’accès, parfaitement mixte, qui ne demande pas une grosse condition physique et dont la pratique est bon marché. Les disques de qualité coûtent entre dix et vingt euros et l’accès au parcours de Belval est gratuit.
D’ailleurs, la dynamique autour du disc golf ne s’éteint pas. Depuis plusieurs mois, le club tente de convaincre la Ville de Luxembourg de créer un nouveau terrain de jeu dans la capitale, du côté de Neudorf. Claude Bouvy a une idée derrière la tête : « j’aimerai concevoir un parcours pro de 18 trous, technique, à cheval dans une forêt et sur des milieux ouverts. Je suis en contact avec une commune du nord du pays, je croise les doigts. »
En quelques années seulement, le club s’est retrouvé comme une sorte de pivot dans la communauté des disc golfeurs de la Grande Région élargie. « Les organisateurs allemands, français ou belges nous demandent de traduire leur programmation pour attirer davantage de monde et nous, cela nous ouvre beaucoup de portes pour jouer à l’étranger et rencontrer des personnes qui peuvent nous aider à développer notre sport », apprécie Claude Bouvy. Il faut dire que le club est pour le moins cosmopolite, en plus des quelques Luxembourgeois (pas les plus nombreux), il compte des Finlandais, des Espagnols, des Polonais, des Allemands, des Italiens, des Français, des Américains… « Nous aimerions juste avoir un peu plus de joueuses, regrette le président du club. Elles sont vraiment peu nombreuses alors que c’est un sport très mixte au niveau international. »
Aujourd’hui, il suffit de se rendre le week-end au parc Um Belval pour se rendre compte que ce paysage artificiel, né sur ce qui était un des plus grands sites industriels de la région, est devenu un lieu vivant. Dans les petites allées, la communauté indo-pakistanaise joue au cricket dans de beaux éclats de voix, les adeptes de la musculation travaillent biceps et dorsaux en musique sur les practices adéquats, les familles pique-niquent sur des couvertures à l’ombre des quelques grands arbres, les enfants jouent au foot, les joggeurs sillonnent le parc dans tous les sens, les skateurs enchaînent les tricks, les cyclistes font leur petit tour et les disc golfeurs lancent leur Frisbee en prenant garde de ne gêner personne, quitte à aller discuter pour avec ceux qui se trouvent sur le parcours sans le savoir pour leur expliquer le sport. Dimanche dernier, ce prêtre en soutane le chapelet à la ceinture et le téléphone qui traînait sur le trou n°8 a véritablement découvert quelque chose de neuf !