Abandon annoncé de South Stream 

« La balle est dans le camp de la Russie »

d'Lëtzebuerger Land vom 12.12.2014

L’annulation du projet South Stream est « regrettable » a estimé Sigmar Gabriel, ministre allemand des Affaires économiques et de l’énergie, le mardi 9 décembre, avant le début du Conseil énergie qui s’est tenu à Bruxelles. « Je pense que cela aurait été un projet important pour l’Europe du sud et j’espère que nous allons revenir à ces négociations », a-t-il poursuivi. Il fait, en cela, écho aux propos tenus par Jean-Claude Juncker le 4 décembre lors d’une conférence de presse suivant sa rencontre avec Boyko Borissov, le Premier ministre bulgare. « Les problèmes entourant le projet South Stream peuvent être résolus et le gazoduc peut encore être construit », avait estimé le Président de la Commission européenne, en ajoutant que « la balle est dans le camp de la Russie ». C’est, en effet, Vladimir Poutine qui avait annoncé lui-même l’arrêt de la construction du gazoduc lors d’une visite en Turquie le 1er décembre. « Puisque l’Union européenne a adopté une position négative, empêchant le projet d’aboutir, nous allons trouver d’autres clients. Il s’agit de la décision de nos amis européens », avait ironisé le Président russe.

La pomme de la discorde, c’est le respect de la législation européenne relative à l’énergie, et notamment du Troisième paquet énergie et de la Directive gaz qui lui est associée. « La Commission européenne a estimé en décembre 2013 que les accords intergouvernementaux pour la construction de South Stream entre, d’une part, la Russie et, d’autre part, l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, la Grèce, la Hongrie, la Serbie et la Slovénie contrevenaient aux lois européennes sur le découplage [des activités de production et de réseau] et sur l’accès des tiers au réseau », explique Arno Behrens, directeur du département de recherche sur l’énergie au Centre for European Policy Studies (CEPS). L’exécutif européen a donc conclu que l’ensemble des accords intergouvernementaux devrait être renégocié, une option inacceptable aux yeux de Moscou. Parallèlement, la Commission européenne a lancé une procédure d’infraction contre la Bulgarie pour non-respect des règles européennes relatives aux marchés publics. Les activités de construction du gazoduc ont donc été interrompues dans ce pays en juin 2014.

« Il est possible que le président Poutine ait essayé de diviser l’Union européenne sur le projet South Stream avant la réunion des ministres de l’énergie à Bruxelles le 9 décembre », estime Arno Behrens. Les Européens ont cependant su afficher leur unité en retour. Dès sa conférence de presse du 4 décembre, Jean-Claude Juncker a prévenu qu’il n’accepterait pas de « chantage sur les questions énergétiques » et a assuré que « la Bulgarie n’est pas un petit pays, elle a toute l’Europe derrière elle ». L’ensemble des États membres concernés et le vice-président en charge de l’Union de l’énergie, Maroš Šefcovic, se sont, par ailleurs, réunis le 9 décembre pour échanger sur l’arrêt de South Stream et ont publié à cette occasion une déclaration conjointe pour souligner l’unité de leur position. La rupture n’est pas entérinée, puisque les États concernés « notent la nature non officielle de l’annonce [de Vladimir Poutine] et invitent le vice-président à clarifier la situation avec la Russie ». D’autres biais de diversification des approvisionnements n’en ont pas moins été discutés.

L’importance du projet South Stream a décru pour l’Europe. Si le géant russe Gazprom assure quinze pour cent de la consommation gazière de l’Union, celle-ci est moins gourmande en énergie depuis la crise. Entre l’annonce du projet South Stream en 2007 et aujourd’hui, l’Agence internationale de l’énergie a, en effet, revu ses prévisions à la baisse de 18 pour cent pour la demande de gaz de l’Union européenne à horizon 2030. « L’Union européenne pourrait même tirer avantage de cette décision en sécurisant plus de gaz avec moins d’interférence politique de la Russie » estime Arno Behrens. Quoi qu’il en soit, les maîtres mots à Bruxelles sont dorénavant diversification, intégration des marchés gaziers et amélioration des interconnexions. Les États membres qui étaient concernés par South Stream vont monter, avec le support de la Commission, un groupe de travail de haut niveau pour développer un plan d’action sur la zone.

L’impact est plus difficilement mesurable pour les entreprises européennes qui sont partenaires du projet : l’Italien ENI à hauteur de vingt pour cent, le Français EDF et l’Allemand BASF pour quinze pour cent chacun, mais ENI avait déjà fait part de son inquiétude sur la dérive des coûts du projet. Pour Gazprom qui a déjà investi cinq milliards de dollars dans South Stream et qui devait supporter la moitié du coût de ce projet estimé à 17 milliards d’euros, l’arrêt serait une bouffée d’air frais. Cela d’autant plus que l’accès aux financements internationaux est devenu plus difficile pour les entreprises russes suite aux sanctions prononcées contre le Kremlin après l’invasion de la Crimée. Gazprom pourrait désormais renforcer sa présence en Asie. L’Union européenne quant à elle, « pourrait tirer profit de cette nouvelle crise avec la Russie pour mettre une priorité forte sur le développement des énergies renouvelables et garantir son indépendance énergétique » estime un fonctionnaire européen. Maroš Šefcovic, quant à lui, déclare être à la recherche d’une « alternative ». Reste à déterminer si Moscou et Bruxelles bluffent pour masquer leur interdépendance dans la négociation ou si South Stream est définitivement enterré.

Barbara De Vos
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