Max Leners vient d’auto-éditer un pamphlet contre Luc Frieden. Sur 76 pages, le jeune candidat socialiste fait l’inventaire des nombreuses casseroles traînées par le Spëtzekandidat du CSV. Compilant des centaines de coupures de presse, il dresse le portrait d’un néolibéral aussi autoritaire qu’incorrigible. Leners imite son mentor politique, Franz Fayot, qui, il y a dix ans exactement, avait publié un texte à charge sous le titre « The Talented Mr Frieden ». En 2013, l’exercice était peu risqué : Jean-Claude Juncker excluait une coalition avec les socialistes qui, estimait-il, l’avaient trahi. En 2023 par contre, l’establishment du LSAP digère mal le brûlot de Leners. D’autant plus qu’il conclut sur la phrase : « Ce serait un désastre si Luc Frieden jouait un rôle déterminant dans la conception de notre avenir. » Un doigt d’honneur non seulement à l’ancien ministre des Finances, mais également à une future coalition noire-rouge, vers laquelle lorgnent de nombreux bonzes du LSAP. (Même s’ils ne croient pas une seconde à la métamorphose de #Luc.)
La brochure de Leners comporte un angle mort. C’est qu’une partie des « actions choquantes » qu’elle dénonce ont été commises par Frieden alors que le LSAP était au gouvernement. Sur les cinquante dernières années, le LSAP en a passé quarante au pouvoir. Cela témoigne d’un sacré sens de l’opportunisme. Ce lundi sur les ondes de 100,7, la Spëtzekandidatin socialiste n’a pas voulu tracer de lignes rouges en vue d’éventuelles négociations de coalition. Parmi les programmes des coalitionnaires, il y aurait « à boire et à manger », mais « on pourrait se mettre potentiellement d’accord avec tous ». À la même question, Luc Frieden répondait quelques jours plus tôt : « Ech hunn nëmmen eng rout Linn, dat ass dat blo-rout-gréng muss op een Enn geféiert ginn ». Cette fois-ci, le CSV est prêt à tous les compromis et compromissions pour retourner au pouvoir, même à faire à Bettel ou à Lenert an offer he/she can’t refuse, c’est-à-dire le poste de ministre d’État.
Le LSAP rêve donc de sa première Premier ministre socialiste. Pour des raisons tactiques, les socialistes avaient laissé ce poste à Gaston Thorn en 1974 et à Xavier Bettel en 2013. Lenert se dit déterminée à le revendiquer cette fois-ci, que ce soit dans une constellation avec le CSV, ou avec le DP et Déi Gréng. (En fin de compte, c’est Jean Asselborn qui ferait les frais d’un tel scénario : les Affaires étrangères devant alors contenter Frieden ou Bettel, en attendant qu’ils prennent la première sortie vers Bruxelles.)
En 2017, les majorités CSV-Déi Gréng au niveau communal devaient préparer un gouvernement Wiseler/Bausch au niveau national. Le « plan » du CSV implosa une année plus tard. En juin 2023, à l’issue des communales, un premier rapprochement rouge-noir s’est opéré dans le Minett : de Schifflange à Differdange, en passant par Kayl. À Mamer, la présidente du LSAP est devenue l’échevine de Gilles Roth ; à Käerjeng, le chef de fraction socialiste a intégré la majorité de Michel Wolter. (Ce dernier mène une campagne hyperactive sur Facebook, préparant son comeback ministériel.) Mais même si elle était arithmétiquement possible, une coalition CSV-LSAP devrait encore obtenir l’aval du congrès socialiste, une instance notoirement imprévisible. Un tel accord se complique davantage par la marginalisation de l’aile syndicale du CSV (ou de ce qu’il en reste) : Luc Frieden ayant placé son entourage de juristes comme têtes de liste au Sud (Gilles Roth), au Centre (Elisabeth Margue) et à l’Est (Léon Gloden).
Pour ce nouveau « parti des chaussures vernies » (dixit Ali Kaes) une alliance avec le DP reste évidemment le choix naturel. Malgré des pressions croissantes du courant « wirtschaftsliberal » au sein de son parti, Xavier Bettel ne se montre guère enthousiasmé à l’idée de former un gouvernement avec Frieden et ses députés-maires éternellement frustrés de leurs ambitions ministérielles. Mais en fin de compte, tout pourrait dépendre de la loterie des Reschtsëtz. Ceux-ci se jouent à quelques centaines de voix près.