Théâtre musical

Killing is not for beginners

d'Lëtzebuerger Land vom 31.03.2017

Il est Idi Amin Dada. Il est Saddam Hussein. Il est Joseph Mobutu, Mouammar Kadhafi, Franco et même un peu, par certains gestes et certaines expressions (« Je déteste les journalistes ! »), Donald Trump. Il est un peu de tout ça, et pourtant, Satur Diman Cha, chef de l’État et général des armées de la République populaire de Circassia, est un dictateur imaginaire, inventé par l’auteur et metteur en scène autrichien Michael Sturminger comme personnage central de Just call me god, qui était joué ce mardi 28 mars à la Philharmonie. Diman Cha est incarné par John Malkovich – ce qui dit déjà tout sur cette production qui a été créée début mars à la nouvelle Elbphilharmonie de Hambourg, avant de partir en tournée internationale. Après The infernal comedy (2010), sur le tueur en série Jack Unterweger et The Giacomo variations (2011) sur Casanova, il s’agit de la troisième collaboration entre Malkovich, Sturminger et le compositeur, chef d’orchestre et interprète Martin Haselböck. Les trois pièces musicales auront fait halte au Kirchberg, faisant à chaque fois salle comble.

Quelques bruits, puis la salle devient complètement noire. Entrent six personnages, qui s’avèrent être des soldats, fusils armés et surmontés de lampes torches. Ils fouillent les lieux, essaient de s’orienter, le tout est filmé, dans la pénombre, et retransmis en direct sur l’écran géant installé devant l’orgue en arrière-plan de la scène. Se sentant en sécurité, les soldats s’amusent, rigolent, font des blagues sur le faste du lieu – « cela a dû coûter une fortune ! » déclenche des rires complices de la part du public. Ils ont découvert, ils en sont certains, la salle de concert souterraine du palais Ar-Kasaba du dictateur Satur Diman Cha, et le rapportent immédiatement à leur hiérarchie. Rigolades à la découverte de l’orgue sous un des draps qui protègent les meubles. Aux murs, il reste les drapeaux avec le logo du dictateur ; sous l’écran, un portrait de l’homme en uniforme. Il se trouve que le révérend Lee Dunklewood (Martin Haselböck lui-même) sait jouer de l’orgue, il entame un air connu d’abord, la célèbre Toccata en ré mineur de Bach, puis la Chevauchée des walkyries de Wagner (à jamais associée dans l’imaginaire collectif à la scène de l’attaque aux hélicoptères dans Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, les réactions du public le prouvaient)… Entre une femme de ménage et pan ! pan ! pan ! abat tout le monde de sang-froid.

Enfin, presque tout le monde : Le révérend y échappe. La femme de ménage est barbue. Et, en enlevant son étrange accoutrement, s’avère être Diman Cha – le tyran dont on croyait qu’il avait fui le pays depuis l’invasion par les forces de l’opposition. Ou qu’il était mort. Diman Cha a un étrange accent, qu’on ne peut pas attribuer à une région du monde, et parle de lui-même au pluralis majestatis. Mélomane, il épargne le révérend joueur d’orgue, à condition qu’il continue à jouer. Et qu’il joue ce que lui demande. C’est alors qu’il constate que la seule femme du groupe, une quadragénaire blonde et svelte, n’est pas si morte que ça. Elle respire encore et feint sa mort… Diman Cha la fera se lever. C’est alors, après ce prologue introductif, que commence réellement la pièce, un huis-clos entre un dictateur et une journaliste qui se méprisent mutuellement, mais essaient chacun de tirer profit de la présence de l’autre.

En réalité, il s’avère qu’il ne s’agit pas d’un dialogue, mais d’une pièce à trois : le dictateur, la journaliste et l’orgue, un instrument autoritaire, ce qui est encore prouvé ici, surtout dans la deuxième partie, quand Haselböck s’adonne à ses propres compositions, et, davantage encore, ses improvisations, parfois en plus amplifiées et distordues par les interventions électroniques de Franz Danksagmüller. John Malkovich doit alors crier à pleins poumons pour s’imposer (ce qu’il adore faire) – et la frêle Sophie von Kessel, qui joue la journaliste, a l’air toute pâle à côté.

Malgré l’incroyable performance de la bête de scène Malkovich, dont la réputation n’est plus à faire, Just call me god déçoit, parce que l’histoire est un peu légère et parce que les clichés employés sont trop grossiers. Le dictateur imaginaire est un concentré de tous les CVs de dictateurs qu’on a pu croiser durant le siècle écoulé : ayant fait ses études en Occident, il est ensuite rentré dans son pays pour y grimper, avide de pouvoir, tous les échelons avec l’aide des grands pouvoirs occidentaux, qui ont, à chaque fois, un agenda secret dans la région. Puis laissent tomber le chef d’État en question parce qu’il est devenu trop incommode. On pense à Saddam Hussein et à Kadhafi. Le moment le plus fort de la soirée est probablement le discours de Diman Cha devant la caméra de la journaliste : il met en garde l’Occident devant la marée humaine de miséreux qui l’attend, une fois que lui ne fera plus barrage à leur exode. Une référence évidente à Kadhafi. L’histoire ne dit pas si Kadhafi aimait l’orgue. Hitler, lui, en était fan, rappelle Haselböck dans le programme.

josée hansen
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