Lydie Polfer s’est dit « immens frou, wierklech immens frou » de remplir « les promesses faites durant les deux campagnes électorales ». Ce lundi, la maire libérale de la Ville et son adjoint ministériel Léon Gloden (CSV) ont convié la presse au Knuedler pour présenter leur nouveau projet pilote : « L’unité de police locale ». Lydie Polfer avait axé son Superwaljoer 2023 sur le law and order, concentrant ses attaques sur Déi Gréng et leur malhabile ministre de la Sécurité intérieure. Avec l’instinct politique qu’on lui connaît, la baronne bleue avait visé juste : L’adversaire idéologique rata d’abord son entrée au conseil échevinal, puis entraîna le gouvernement dans sa chute. Au soir des élections, Lydie Polfer apparaissait comme la mastermind de la nouvelle coalition.
Le Stater DP et le CSV avaient fait monter la sauce sécuritaire dès novembre 2020 en envoyant des vigiles privés patrouiller l’espace public. Dans leurs programmes pour les législatives, les deux partis revendiquaient une « Gemenge-Police », qui devrait être « soumise au droit d’injonction du bourgmestre » (selon le DP), « dem Bürgermeister unterstellt » (selon le CSV). En juin 2023, Léon Gloden citait sur Radio 100,7 l’exemple de « quelques cinglés », qui avaient détruit des « bacs à fleurs » dans la rue piétonne de sa commune de Grevenmacher. Si une police municipale avait été « à disposition 24 heures sur 24 », il aurait pu passer un coup de fil pour faire prendre les vandales en flagrant délit. Mais les contours de cette « Gemenge-Police » restaient très flous : Le CSV songeait ainsi un moment à « un corps auxiliaire » rattaché à la Police grand-ducale, alors que le DP évoquait l’exemple de la police municipale française.
Le mot « Gemenge-Police » s’est retrouvé banni de l’accord de coalition. On y parlait pudiquement d’« une unité de police locale », sur laquelle les maires devraient toutefois exercer « un pouvoir de direction ». Le projet pilote a été présenté ce lundi : 24 policiers seront envoyés, à pied ou à vélo, patrouiller les « endroits stratégiques » en Ville et à Esch. Il s’agit de policiers à part entière, intégrés dans leur chaîne de commandement. Contrairement à ce que promettait le gouvernement Frieden-Bettel, les bourgmestres n’ont donc aucun « pouvoir de direction ». Du moins pas dans l’immédiat. La cheffe de fraction socialiste, Taina Bofferding, note avec satisfaction « le rétropédalage » ministériel. « Wéi si bis dräi Sekonnen driwwer nogeduecht hunn, wor et hinnen ze chaud », lâche Marc Baum. Le député Déi Lénk se dit « soulagé que Lydie Polfer ne pourra pas jouer au policier ». Les Verts se gaussent dans un communiqué : Après deux années de polémiques, « la montagne a accouché d’un badge ». Les promesses électorales du CSV et du DP n’auraient finalement pas résisté au « Realitätscheck »
En 1930, la police locale avait dû être « étatisée », c’est-à-dire placée sous la surveillance du commissaire du district. (Dans Tout devait disparaître, Jérôme Quiqueret donne un aperçu de la désorganisation et de l’instrumentalisation de cette police communale dans les années 1910 et 1920.) En 1987, le législateur exprimait sa « crainte de voir renaître, ne fût-ce qu’à l’état embryonnaire, une police parallèle communale ». Le Conseil d’État n’a, quant à lui, cessé de mettre en garde contre « une pluralité de corps investis du maintien de l’ordre ». Menée en 1999 par Alex Bodry (LSAP), la fusion entre la gendarmerie et la police démit définitivement les bourgmestres de leur autorité sur la Police. Pour le CSV, la revendication d’une police communale constitue donc bel et bien un revirement historique. (Alors que le DP s’était opposé en 1999 au principe de la fusion, Lydie Polfer dirigeant alors la campagne électorale de son parti pour la Stad et les législatives.) La hiérarchie policière reste, quant à elle, allergique à toute idée d’une « Gemenge-Police ». Le dualisme Gendarmerie-Police hante toujours les esprits. Il avait engendré d’innombrables conflits de compétences, guerres d’egos et inefficiences. La dernière chose que les directeurs et commissaires veulent, c’est se voir placés sous les ordres des édiles locaux (et de leurs agendas électoraux). Léon Gloden a sans doute dû composer avec cette aversion.
Conférer « un pouvoir de direction » aux bourgmestres ? Il n’y a pas de base légale, du moins pas « à ce stade », a regretté le ministre des Affaires intérieures, ce lundi. Y a-t-il une volonté politique pour en créer une ? Gloden reste évasif : Il ne se fermerait pas à la discussion, mais il préférerait d’abord collecter les « Erfarungswäerter » du projet pilote. Léon Gloden rappelait notamment qu’il faudrait au préalable redonner le titre d’« officier de la police judiciaire » aux maires. Mais de cette responsabilité, certains n’en veulent plus. C’est ce qu’a d’entrée souligné Christian Weis (CSV) à la conférence de presse ce lundi. Le maire d’Esch-sur-Alzette ne se sent aucune envie de « devenir un shérif américain ». Cette phrase, il l’avait déjà prononcée fin mai au conseil communal, ajoutant que « ce n’est pas au bourgmestre de donner des instructions aux policiers, mais au directeur régional de la Police ». Assise trois chaises plus loin, Lydie Polfer a préféré garder le silence, ce lundi. Fin mai, le Wort avait pourtant noté : « Lydie Polfer lässt durchblicken, dass der Bürgermeister die Ansagen machen soll ».
Les policiers envoyés en patrouille (vingt en Ville, quatre à Esch) sont choisis dans les commissariats selon un système de rotation. Ils se voient libérés des interventions (sauf en cas d’« urgences absolues ») : « Si sinn e bëssi rausgeholl aus dem System [des interventions] », a expliqué Pascal Peters, le directeur général de la Police. Leur présence sur le terrain devra calmer « le sentiment d’insécurité » et garantir « l’ordre public local », notamment « la tranquillité et la salubrité ». « Une fois par semaine ou toutes les deux semaines », Christian Weis et Lydie Polfer se réuniront avec leur direction régionale de la Police respective pour « des briefings/debriefings ». En fait, une telle structure de coordination existe depuis six ans sous forme de « comités de prévention communaux », même si l’Inspection générale de la Police regrette dans un récent audit que les sujets y seraient « abordés sommairement » et que des mesures concrètes s’y décideraient « rarement ».
Le projet pilote sera évalué à la fin de l’année. Se posera notamment la question de son extension. « On va aider les autres communes qui éprouvent le besoin d’une police locale à avoir cette présence », promet Léon Gloden. Le député vert et échevin eschois Meris Sehovic exige des critères clairs ; sinon la police locale risquerait de se transformer en « Selbstbedienungsladen fir d’Parteikolleegen ». Le système devrait être étendu, « mais pas à tous les coins du pays », estime le député Marc Lies, président de la commission parlementaire des Affaires intérieures. Comme maire par contre, Lies se dit « certainement demandeur » : Le parc de Hesperange et la quarantaine d’aires de jeux (« on connaît les hotspots ») pourraient ainsi être patrouillés les soirs et les week-ends par un agent municipal et un policier.
À part le brassard bleu clair qu’abordent les policiers comme « signe distinctif provisoire », le projet pilote ne comporte pas d’éléments radicalement nouveaux. Henri Kox avait renforcé, dès 2021, les patrouilles à pied en Ville, dans le cadre de son « plan pour une meilleure visibilité de la Police ». Léon Gloden ne ferait que récolter les fruits de la politique koxienne, se désolent les Verts cette semaine : « Der CSV-Polizeiminister kann diese Show nur aufbieten, weil der grüne Polizeiminister Henri Kox in den vergangenen Jahren die Reihen der Polizei mit 400 zusätzlichen Rekruten verstärkt hat. » En mars 2023, le ministre vert avait encore commandité un audit sur la « réorganisation territoriale ». Dans les conclusions, présentées à la mi-juin aux députés, on lit que « la pénurie de personnel ne permet pas de patrouilles uniquement à des fins de prévention ».
Mais alors que ses effectifs commencent à augmenter, la police tente de se réinventer. « Eine reine Interventionsmentalität, bei der die Polizei einfach irgendwo hinfährt, ein Problem löst und sich dann wieder zurückzieht, darf es nicht geben », déclarait Pascal Peters il y a quelques semaines au Wort. Et le nouveau directeur général de se référer à « la philosophie du community policing ». Le catalogue répressif, annoncé dans l’accord de coalition, colle mal à cette prétention. Le « Platzverweis renforcé » risquera de pousser la Police aux contrôles au faciès, la comparution immédiate de transformer la Justice en machine à incarcérer. Léon Gloden annonce vouloir retoucher la dernière grande refonte de 2018. À l’époque, il s’était longuement offusqué à la Chambre de « ce refus absolu » d’intégrer le Platzverweis dans « notre arsenal juridique » : « D’DP ass derfir. Souguer an der Stater Schäfferotserklärung steet dës Fuerderung. […] A mir kréien esou lapidar einfach gesot mir wiere géint d’Heescherten ! »