Audit

Vers une réforme drastique en 2015

d'Lëtzebuerger Land vom 30.09.2011

Si le commissaire Michel Barnier (Marché intérieur et services) avait dévoilé, il y a quinze jours, au Parlement européen son intention de faire adopter des mesures strictes pour mettre fin à la concentration trop marquée du marché de l’audit, jugée « inacceptable », personne ne s’attendait à ce qu’il aille si loin dans la remise en question du modèle économique des Big Four ( Deloitte, Ernst [&] Young, KPMG et Pricewaterhousecoopers). Le paquet législatif, qui doit être publié en novembre et que le Land a pu consulter, est très mal accueilli par la majorité des professionnels du secteur qui organisent la riposte.

Lors du débat parlementaire du 12 septembre en rapport avec un vote en plénière sur le rapport (somme toute assez modéré) du député Antonio Masip Hidalgo (socialiste, Espagne), sur cette réforme des règles de l’UE encadrant l’audit, Michel Barnier avait annoncé « une action résolue » visant la garantie de l’indépendance de l’audit, de l’ouverture du secteur et du développement d’un marché plus intégré en vue de restaurer une information financière fiable. Il s’appuyait en cela sur un certain consensus sur la nécessité de réviser la politique de l’audit à l’aune de disfonctionnements révélés par la crise financière, tout comme ont été remises en question la gouvernance et la supervision du système financier. Son discours semblait indiquer qu’il voulait principalement brider l’hégémonie des Big Four, mais il ne laissait pas présager qu’il voulait aller jusqu’à une profonde remise en cause de leur modèle économique. « Il mène une véritable croisade contre les Big Four et veut promouvoir un modèle français d’audit conjoint qui ne peut se dupliquer dans toute l’UE », prétend une partie prenante.

Le projet de paquet législatif en cours de discussion entre les différents services de la Commission instaure en effet des mesures qui frappent de plein fouet ces grandes firmes d’audit, dont les plus significatives sont l’obligation de rotation, celle de procéder à un audit conjoint avec un cabinet autre que ce cercle des quatre grands acteurs du secteur et la scission des services d’audit et des autres services prestés à un même client.

Sur ces sujets évoqués dans le Livre vert du 13 octobre 2010, tant l’avis du Comité économique et social que la résolution du Parlement européen demandaient un débat ou un plan d’action fondé sur une étude d’impact détaillée préalablement à toute législation. Or, la Commission s’apprête à rendre public une proposition de modification de la directive de 2006 sur les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés (2006/43/CE) et un règlement sur le contrôle des comptes des entités d’intérêt public (EIP) ainsi qu’une étude d’impact sur lesquels les parties intéressées n’ont pas été consultées. La méthode a surpris les professionnels du secteur. Le contenu du paquet aussi, car ce qui paraissait être envisagé se trouve imposé : « Le règlement va bien plus loin que ce que le Parlement demandait », souligne un expert.

C’est le règlement qui instaure les plus fortes contraintes aux grandes firmes d’audit. Il définit les règles de l’audit légal des EIP, ces entreprises cotées en bourse, dont la nature de l’activité (banque ou assurance, par exemple) et la taille importante requièrent des règles plus strictes : méthode à utiliser, mode de sélection des cabinets d’audit, limitation des conflits d’intérêts, contrôle, etc. La mesure phare étant la mise en place de l’obligation de procéder à un audit conjoint pour les dix plus grandes entités d’intérêt public dans chaque pays et dont la capitalisation boursière (ou dont le montant des actifs) atteint un milliard d’euros. Pour celles-ci, un Big Four devra ainsi s’adjoindre les services d’un cabinet dont la part de marché est inférieure à 15 pour cent. Autre mesure obligatoire : la rotation des cabinets d’audit, pour « se prémunir de la familiarité » qui peut s’installer quand la même firme d’audit contrôle un même EIP et « qui porte clairement atteinte à l’essence même de l’indépendance », précise le règlement. Un auditeur légal ne pourra ainsi contrôler les comptes d’une même EIP que pour une période comprise entre deux et cinq ans et avec un renouvèlement possible de son mandat qu’une seule fois pour cinq années supplémentaires. Puis il s’abstiendra pendant quatre ans. Ces mesures sont motivées par l’intention du commissaire européen de renforcer l’indépendance des auditeurs et de stimuler la concurrence.

De plus, pour éviter les conflits d’intérêt et des tarifs artificiellement bas sur la partie audit qui seraient compensés par la fourniture d’autres services mieux rémunérés, le règlement proscrit ces procédés et établit une liste de services incompatibles avec l’audit (préparation des états comptables et financiers, conseils juridiques, gestion des risques, tenue des livres de compte et préparation des registres comptables notamment). Des services annexes à la mission d’audit qui pèsent pour environ les deux tiers des revenus des quatre grands. Certains services comme l’audit de compte intermédiaire ou la révision comptable sont autorisés mais plafonnés à un montant de facturation de 10 pour cent des frais occasionnés par la certification des comptes.

Autant de « missiles contre les grandes firmes, souligne un expert, qui vont les pousser à scinder leurs activités en audit et en services autres mais aussi dissuader le développement d’autres cabinets de taille moyenne ». Un porte-parole de Deloitte a déclaré le 27 septembre que « ces mesures nuiraient à la qualité d’audit et contribueraient à en augmenter les coûts pour les entreprises ». Même critique d’Erik Berggren, expert chez Business Europe, l’association représentant le patronat européen. Il estime que « beaucoup de ces propositions aboutiront à un coût accru pour les entreprises. La rotation conduira en outre à une baisse de qualité, car avec le changement d’auditeur, il y a une perte de connaissance ». Il rappelle que le Danemark a fait marche arrière sur l’audit conjoint en raison « des coûts élevés et de son inefficacité ».

Pour Jeremy Newman, responsable de BDO, le cinquième cabinet au niveau mondial, Michel Barnier a « soulevé certaines des questions clés du marché de l’audit, qui sont clairement bienvenues ». Si certaines propositions lui semblent positives, d’autres moins, la frontière est difficile à déterminer. « Et les conséquences de ces mesures doivent être soigneusement étudiées, souligne-t-il, certaines étant potentiellement embarrassantes pour le marché ».

John Davies de l’ACCA, représentant les experts comptables et auditeurs certifiés, est plus tempéré : il préconise « que les régulateurs nationaux mettent en place des plans de contingence plutôt que de prendre des décisions certes rapides mais coûteuses, comme la rotation obligatoire ou l’audit conjoint qui peuvent ne pas être adaptées à l’UE dans son ensemble ».

Le texte impose par ailleurs des contraintes en termes de présentation et de contenu plus détaillé du rapport d’audit qui devra porter sur 19 points minimum et du rapport interne adressé au comité d’audit qui en comporte 14. Il rend accessible un rapport annuel dit « de transparence » sur le site de l’auditeur légal pour au moins cinq ans. Selon ce même principe de transparence, le règlement instaure la divulgation des honoraires d’audit et des limites quant au niveau de recettes générées par un même client. Est aussi exigée la déclaration des cabinets membres d’un réseau d’audit. « Nous nous élevons contre ces dispositions qui touchent au secret d’affaires », tempête un responsable de cabinet d’audit membre d’un grand réseau.

Quant au contrôle interne, le texte entend renforcer le rôle du comité d’audit, qui se voit imposer qu’un membre au moins ait une compétence en matière d’audit et qu’au moins deux en aient en comptabilité et/ou en vérification.

L’adoption des Standards internationaux d’audit (ISAs), en cours de négociation, est privilégiée pour aboutir à un marché plus intégré ainsi que des mesures qui tendent à renforcer la supervision du secteur par les autorités nationales. Ces dernières collaboreraient au niveau européen au sein de l’autorité européenne des marchés financiers (ESMA), qui devrait aussi élaborer les standards valables dans toute l’UE. Des sanctions pécuniaires d’au moins 10 pour cent du chiffre d’affaires total du cabinet d’audit sont prévues pour tout contrevenant.

Un responsable d’une entité d’intérêt public qui ne relève pas du secteur financier s’insurge contre ce « carcan » : « Nous n’avons pas, dit-il, à être les dindons de la farce et payer pour les banques. Ces règles strictes ne doivent concerner que le secteur bancaire et financier ».

Le second volet du paquet modifiant la directive de 2006 instaure des règles pour tous les autres audits, règles qui sont plus consensuelles comme la mise en place d’un passeport européen pour les auditeurs pour améliorer leur mobilité au sein de l’UE ou les exigences simplifiées pour les audits des PME. Sont aussi édictées l’interdiction de clauses d’exclusivité en faveur des Big Four et la suppression des exigences minimales des droits de vote détenus par des auditeurs légaux pour favoriser l’accès aux nouveaux entrants sur le marché.

Globalement, ce projet de paquet législatif sur l’audit ne fait pas l’unanimité, et la contre offensive s’organise pour le faire amender via les États membres lors de son examen par le Conseil et via les députés qui devront l’analyser au sein du Parlement, puisque les deux institutions doivent l’avaliser.

Reste à savoir si la Commission n’essaie pas stratégiquement de jouer la carte du pire scénario pour faire adopter finalement, après divers amendements au paquet initial, un texte, certes strict, mais moins conflictuel au grand soulagement des parties dans son collimateur.

Sophie Mosca
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