Tour de vis fiscal

La chasse aux riches est ouverte

d'Lëtzebuerger Land vom 16.09.2011

Un des meilleurs apporteurs d’affaires que le Luxembourg ait jamais eu se nomme… Alain Juppé. Les mesures fiscales prises par son gouvernement à l’automne de 1995 avaient provoqué dans les mois suivants un spectaculaire afflux de fonds français au grand-duché. Les choses pourraient bien se reproduire, sauf que cette fois les Français aisés ne seront pas les seuls concernés, tant le tour de vis fiscal est général dans tous les pays européens pour renflouer les caisses publiques, avec une attention particulière portée aux hauts revenus et aux gros patrimoines.

Les plans de rigueur annoncés ici et là depuis quelques mois font tous la part belle à l’augmentation de la pression fiscale, dont l’impact est réputé plus rapide que celui de la réduction des dépenses, qui est de surcroît plus délicate socialement et politiquement.

En France, le gouvernement Fillon a annoncé le 24 août une série de mesures, dont la plus « symbolique d’équité », pour reprendre les termes du Premier ministre, est une contribution exceptionnelle de 3 pour cent pour les personnes gagnant plus de 500 000 euros par an. Les autres pays européens sont sur la même ligne, quelle que soit la couleur politique du gouvernement et souvent en contradiction avec les promesses électorales.

En Allemagne, la tranche maximum d’impôt, pour les revenus supérieurs à 250 000 euros par an, a été relevée à 45 p.c. et en Espagne, où la taxation des revenus supérieurs à 90 000 euros a aussi été alourdie, le parti socialiste actuellement au pouvoir envisage, s’il est reconduit aux élections de novembre prochain, de rétablir l’impôt sur la fortune, supprimé en 2008.

Seule l’Italie a fini par abandonner, sauf pour les hauts fonctionnaires et les élus, le projet d’un impôt de 5 p.c. sur les revenus supérieurs à 90 000 euros par an, et de 10 p.c. sur ceux supérieurs à 150 000 euros, mais cette renonciation est peut-être temporaire.

Cette évolution marque un retour en arrière. En effet, dans un grand nombre de pays d’Europe, pas uniquement ceux gouvernés par des libéraux, la fiscalité pesant sur les personnes aisées avait été progressivement allégée au fil des années. Par exemple, le nombre de pays de l’OCDE disposant d’un impôt sur la fortune est passé de 17 sur 34 en 1985 à trois aujourd’hui. En France, le taux marginal de l’impôt sur le revenu qui était de 65 p.c. il y a trente ans (sous le gouvernement libéral de Raymond Barre) n’est plus que de 41 p.c. Et en 2007, le nouveau président Nicolas Sarkozy faisait voter le bouclier fiscal, dispositif limitant le montant total des impôts payés, dont les plus riches ont massivement profité.

À la surprise générale, certains super-riches appuient sans réserve cette démarche et demandent même à la renforcer. Le 15 août, dans le New-York Times, Warren Buffett regrettait de ne pas être suffisamment taxé et lançait un appel au gouvernement fédéral pour augmenter l’imposition des plus riches (revenus supérieurs à un million de dollars) au nom de la solidarité en temps de crise. Quelques jours après, seize grands patrons français, dont plusieurs font partie des plus grandes fortunes du pays, ont signé dans le Nouvel Observateur une tribune appelant à la création d’une contribution exceptionnelle sur leurs revenus. Le 29 août, c’est Luca di Montezemolo, PDG de Ferrari, ancien président de Fiat et du patronat italien qui encourageait (sans succès) le gouvernement de Silvio Berlusconi à taxer davantage les riches. Et le 1er septembre, dans Die Zeit quatre grandes fortunes allemandes se disaient prêtes à payer plus d’impôts sur leurs revenus. C’est peu sur la centaine de riches interrogés par l’hebdomadaire, sauf que depuis deux ans 54 millionnaires en euros ont signé l’appel pour le rétablissement d’un impôt sur la fortune (supprimé en 1997) à partir de 500 000 euros d’avoirs, à condition que son produit soit consacré à des investissements durables dans le domaine de la santé, de l’éducation ou de l’économie verte.

En période électorale (quasiment permanente en Europe, avec au moins un scrutin majeur tous les ans dans chaque grande nation), la taxation des riches est populaire, surtout dans les pays pétris d’égalitarisme comme la France et à une époque où l’étalage des inégalités (qui ont augmenté partout) est de plus en plus choquant. 83 p.c. des Français interrogés par l’institut BVA pensent même qu’il faut abaisser le seuil des 500.000 euros, un sentiment très ancré à gauche mais aussi exprimé par 75 p.c. des sympathisants de droite.

Mais les gouvernements ont aussi pris conscience de l’inanité de certains cadeaux fiscaux aux contribuables aisés, coûteux en termes politiques et inefficaces sur le plan économique. En France par exemple, très peu « d’exilés fiscaux » sont revenus au pays, et leur nombre total a même continué à augmenter en Suisse et surtout en Belgique.

Cependant toutes les mesures de taxation des riches seront plus symboliques que réellement efficaces en termes de rendement.

En France, le relèvement du taux marginal d’imposition ne rapporterait que 200 millions d’euros, soit moins que le manque à gagner lié à la réforme de l’ISF (dont le seuil a été relevé de 800 000 à 1,3 million au printemps dernier) évalué de 300 à 500 millions. On attend davantage de l’augmentation des prélèvements sociaux sur les revenus de l’épargne (1,2 milliard) et de la taxation des plus-values immobilières (plus de 2 milliards), pour la bonne raison que ces mesures touchent un nombre bien plus important d’investisseurs, même modestes. En Allemagne, c’est un milliard d’euros supplémentaires qui rentreront dans les caisses, un montant dérisoire par rapport aux déficits. Un montant identique est attendu en Espagne, plus 1,4 milliards si l’impôt sur la fortune était rétabli.

C’est pourquoi certains économistes pressent les pouvoirs publics d’aller plus loin. En France, l’économiste Elie Cohen propose de créer une taxe non temporaire sur les revenus à partir de 200 000 euros annuels pour un couple avec deux enfants. Cette mesure toucherait 300 000 foyers fiscaux, soit 30 fois plus que celle annoncée par le gouvernement Fillon et, à taux comparable rapporterait trois milliards d’euros. Un montant encore modeste. Un autre économiste français, Patrick Artus, rappelle de son côté qu’un alignement de la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail rapporterait plus de 40 milliards. Et en Allemagne, les tenants d’une réintroduction d’un impôt sur la fortune (réclamée par le SPD lors des législatives de 2009) prévoient grâce à elle, en appliquant un taux de 5 p.c. pendant deux ans, 100 milliards d’euros de recettes supplémentaires.

Ces mesures extrêmes sont improbables, mais partout en Europe les contribuables aisés s’attendent à payer plus. Les Britanniques fortunés ne semblent plus faire confiance à David Cameron pour baisser leurs impôts (voir encadré), et les riches Allemands regrettent le social-démocrate Gerhardt Schroeder, qui avait ramené le taux maximum de l’impôt de 53 à 42 p.c.

Le cas de la France est instructif. La perspective de retour de la gauche au pouvoir en 2012 promet « du sang et des larmes » aux riches : François Hollande n’a-t-il pas déclaré en 2007 qu’il « ne les aimait pas » et qu’il considérait comme riche toute personne gagnant plus de 4 000 euros par mois ? Mais les riches ont aussi perdu toute confiance dans les gouvernements de droite : les prélèvements obligatoires ont plus augmenté sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, réputé libéral, que sous celui de François Mitterrand et la droite revenue au pouvoir s’est bien gardé de supprimer l’impôt sur la fortune créé par les socialistes en 1982. Le gouvernement Fillon n’a pas échappé à la règle, revenant même en mars 2001 sur le bouclier fiscal, présenté en 2007 comme une des mesures-phares du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Dans ce pays, contrairement à une idée reçue ce n’est pas tant le poids des impôts qui est en cause : même si elle est un des rares pays où subsiste un impôt sur la fortune, la France taxe relativement moins ses ressortissants aisés que ses grands voisins. Mais la fiscalité change tout le temps, et il arrive assez couramment que les mesures soient rétroactives. Impossible dans ces conditions de prendre des décisions pérennes en termes d’allocation d’actifs, de placements et même de faire des choix de vie. Les exilés fiscaux revenus en France entre 2007 et 2010 en auront été pour leurs frais, et on ne les reprendra pas de sitôt.

Il reste que l’alourdissement général de la fiscalité dans les grands pays ne va pas arranger leurs relations avec les paradis fiscaux ou réputés tels. Déjà en 2002, Jean-Claude Juncker avait parlé de la Suisse comme « l’Irak des Alpes » pour qualifier la manière dont ce pays était traité par les États-Unis. Vues les pressions actuelles du gouvernement américain sur les banques suisses, rien n’a bien changé depuis.

Georges Canto
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