Tsume Art

Les super-héros de la figurine

d'Lëtzebuerger Land vom 18.12.2015

En septembre dernier, plus de 650 personnes venant de toute l’Europe et même bien au-delà s’étaient donné rendez-vous tout au fond d’une zone d’activité relativement méconnue de Sandweiler, sur le site d’une entreprise qui l’est presque autant à Luxembourg, Tsume Art. Cette foule internationale se regroupait là pour une seule et même raison : découvrir en avant-première non pas un nouveau modèle de voiture de luxe ni même les produits d’un jeune traiteur ambitieux, mais la nouvelle gamme de figurines inspirées de l’univers manga du fabricant luxembourgeois. Installer un bout de culture japonaise à deux pas de l’aéroport du Findel, c’est effectivement le pari audacieux qu’à relevé Cyril Marchiol en 2010 en fondant Tsume Art et en s’imposant au fil des ans comme un des leaders mondiaux dans son secteur…

L’aventure Tsume commence avec une passion de gosse, commune à beaucoup de jeunes geeks de la Vallée de la Fensch et du reste du monde : les jeux vidéos, les « animes », dessins animés japonais, et les mangas, leurs versions papier. En Europe, la France a été spécialement gâtée en la matière pendant longtemps grâce à une émission culte, parfois adulée, parfois décriée : le Club Dorothée, qui a solidarisé des générations d’enfants et d’adolescents autour d’une présentatrice charismatique et de ses fameux Musclés, mais aussi et surtout grâce à un large éventail d’animes populaires qu’elle était la seule à diffuser à l’époque. Les frères Marchiol ne font alors pas exception et se passionnent pour les titres les plus masculins comme Dragon Ball ou Les Chevaliers du Zodiaque, sans savoir que le cadet transformerait un jour cet affect en une affaire florissante.

La révélation n’a pas été immédiate chez Cyril non plus par ailleurs, le futur entrepreneur étant d’abord passé par des études d’électricité. Mais le sens commercial qu’il ressent alors en lui et une première expérience en alternance dans un magasin de jeux vidéo à Thionville le persuadent qu’il doit tracer son propre chemin : « mon père et mon frère étaient tous les deux entrepreneurs, et j’ai toujours su quelque part que j’étais fait pour conceptualiser et développer une activité commerciale et créative ». En 2006, il monte donc sa première société, spécialisée dans l’import de produits dérivés, toujours dans l’univers manga, mais au bout de quatre ans, un changement drastique dans la stratégie de son partenaire nippon l’amène à tout reconsidérer. C’est là qu’il décide de devenir créateur de figurines, s’entoure d’artistes - peintres, sculpteurs… – et qu’il lance Tsume Art avec deux associés. Si les deux associés sont différents aujourd’hui, l’ambition est toujours la même et l’activité de la société semble se porter plus que bien, avec une croissance de 80 pour cent et un chiffre d’affaire de 2,4 millions d’euros annoncés pour 2015.

Le fait d’établir Tsume Art au Luxembourg a beaucoup aidé Cyril Marchiol à tenir bon les premières années et à atteindre ces chiffres surprenants, notamment « au niveau des charges salariales, qui permettent non seulement de contenter les patrons mais aussi de payer convenablement les collaborateurs, surtout lorsqu’on parle du secteur artistique. Pour être honnête, Tsume n’aurais sûrement pas passé sa troisième année si j’avais décidé de m’installer en France ou ailleurs ». Les aides gouvernementales et la felxibilité des banques locales auraient également permis à Tsume d’appréhender les premières années d’exercice, souvent difficiles, beaucoup plus sereinement. Le jeune dirigent d’entreprise de son coté est fier d’offrir un certain rayonnement international à une production luxembourgeoise, d’autant plus que l’Ambassade du Japon, verrait l’activité de Tsume Art d’un très bon œil. Grands absents dans ce cercle vertueux : les plateformes de promotion de l’innovation, qui n’auraient pas considéré cette activité pertinente quant à leurs critères.

Pourtant, il est étonnant d’assister au ballet technologique qui amène chaque idée du CEO à devenir un prototype tangible… Car c’est une équipe de pas moins de 22 collaborateurs, aidés par un parc de plus de 200 000 euros de machines qui assurent la production de toute la phase design de Tsume Art, une phase labellisée made in Luxembourg depuis cet automne. La première étape pour lancer une nouvelle figurine, c’est d’aller chercher sa licence auprès de ses créateurs au Japon. Pour cela, les équipes créatives et la direction préparent une proposition artistique et financière qui doit tenir la route devant les ayants-droit de dessins animés qui engrangent des dizaines de millions d’euros chaque année grâce à leurs diffusion et leurs produits dérivés. Ces licences, complétées par un système de royalties, nécessite des fonds en cash et c’est là qu’intervient une des principales forces de la société luxembourgeoise : ses clients. Véritable vivier de fans assidus et fidèles, cette base de clientèle qui représente une majeure partie des ventes via les pré-commandes assurent un revenu nécessaire au développement de nouveaux produits en finançant en amont l’achat de ces précieuses licences. Tsume a effet réussi le pari de susciter l’attente et l’envie de ses acheteurs grâce à la sacro-sainte notion d’édition limitée, à l’instar d’une de leurs dernières figurines sortie à la fin de l’été et dont les 2 500 exemplaires prévus ont été vendus en juste quelques semaines...

Une fois la licence obtenue, le prototype est réalisé à Luxembourg puis est optimisé. La découpe est en outre une des étapes primordiales de la création d’un des futurs best sellers de Cyril Marchiol :il faut que la figurine soit moulable et découpable dans l’usine Tsume située en Chine, dirigée par une équipe de cadres francophones proches du patron luxembourgeois et où « chaque modèle est fabriqué, peint, ciré selon un cahier des charges précis que nous établissons ici et où il subit un contrôle qualité drastique qui nous vaut toujours les compliments de nos partenaires japonais ». Il est en effet facilement imaginable que la qualité des produits Tsume Art fasse parler d’eux même jusque dans l’Empire du Soleil Levant tellement les licences de renom se bousculent sur les étagères de l’entrepôt de Sandweiler : classiques comme Goldorak et Street Fighter ou plus en vogue comme Naruto ou Fairy Tail, tous les animes les plus populaires ont leurs statuettes au moins en exclusivité partielle chez Tsume, pour l’Europe ou certains pays comme la France, l’Italie ou la Chine par exemple qui représentent les trois marchés phares de la société. Le public local reste quant à lui plus confidentiel, même si « une vingtaine de clients luxembourgeois nous réservent quasiment chaque nouvelle figurine que nous sortons ». Une discrétion qui fait écho à celle dont a fait preuve la presse grand-ducale jusque là envers cette activité de niche soit qui complète de manière à la fois sérieuse et musante un pôle d’excellence en matière de création luxembourgeoise.

Cependant, Cyril Marchiol ne compte pas se reposer sur ses lauriers… Tout d’abord, fort du succès de son évènement de septembre et de ses 650 visiteurs, il prépare d’ores et déjà l’édition 2016 de ses Tsume Fan Days qui pourraient avoir lieu pour la première fois dans un grand hall d’exposition de la capitale. Il développe également une ligne de prêt-à-porter tirés des animes et mangas les plus populaires du moment et qui viennent compléter l’éventail de produits qu’il propose pour le moment à ses clients. « Ce sont des créations réalisées par nos designers ici, en interne, et produites avec la même exigence de qualité que pour nos figurines! » déclare l’entrepreneur qui ne semble jamais avoir perdu son âme d’enfant, avec son sourire franc et ses bras bardés de tatouages. Il souhaite également affirmer son excellence et développer des partenariats sérieux, à l’instar de celui signé avec la marque mondiale Bandai Namco pour assurer les figurines officielles d'un de ses derniers jeux vidéo déjà vendu à des millions d’exemplaires à travers le globe.

Enfin, Cyril aimerait aussi diversifier sa propre activité et profiter du succès de Tsume Art pour réaliser des projets coup de cœur, comme produire un des ses humoristes favoris, sorti tout droit du très parisien et très célèbre Jamel Comedy Club. Au final, rien de surprenant : s’imposer sur un marché aussi exotique que celui des figurines haut de gamme issus de dessins animés japonais à partir de la ZI Rohlach relève déjà quasiment du sketch.

Fabien Rodrigues
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