De nouveaux maux, de nouveaux mots

d'Lëtzebuerger Land vom 07.04.2017

Dans un amusant dictionnaire multilingue des nouvelles expressions (disponible sur le site
eubookshop.eu), les traducteurs du Parlement européen ont relevé quelques néologismes, dont on ne sait pas si le plus barbare est le terme inventé ou la pratique qu’ils nomment. Parmi les plus savoureux, on relève :

• « Cupertino effect » : phénomène par lequel votre téléphone vous propose de plus en plus souvent de bonnes suggestions lorsque vous écrivez un message, ce qui vous conduit à accepter aveuglément ces propositions, au prix de remplacement parfois pour le moins inappropriés, comme « Cupertino » (siège d’Apple) (ou « copulation ») au lieu de « coopération »
• « Geobragging » : pratique consistant à vouloir rendre jaloux ses amis numériques en se géo-localisant à chaque fois que l’on se trouve dans un endroit supposé cool : Los Angeles, Londres ou, à la limite, la Bouneweger Stuff. Plus rarement chez son dermatologue ou au rayon charcuterie industrielle de chez Lidl.
• « Brexodus » : afflux de citoyens et d’entreprises anglaises qui se dépêchent d’acquérir une autre nationalité européenne avant les effets du Brexit. C’est sans doute le bon moment pour ouvrir votre entreprise de cours privés de luxembourgeois…

Mais mon préféré reste « phubbing », mot valise formé à partir de snubbing (snober) et phone (doit-on traduire ?), qui désigne le fait d’utiliser son téléphone au lieu d’écouter une personne en train de parler. En effet, le smartphone, ces dernières années, n’est pas devenu qu’un merveilleux moyen de communication, c’est aussi un merveilleux moyen pour repérer les impolis, les grossiers personnages et autres spécimens de la pire espèce qui sont convaincus que le temps qu’ils passeraient à vous écouter est largement plus précieux que le temps que vous passez à leur parler.

Dans l’ancien temps, quand votre interlocuteur vous ennuyait, il suffisait de réprimer un bâillement ou simplement de porter son regard ailleurs, voire de regarder ostensiblement sa montre, et l’importun comprenait. Personne n’aurait eu l’idée de déplier son journal pour le lire sous la table (en tout cas, pas le Land et son format de deux mètres par trois), ou de brandir une petite pancarte « tu m’emmerdes » pendant une conversation. Aujourd’hui, si vous avez envie de discuter plus de dix minutes avec une personne de moins de trente ans, vous avez intérêt à choisir une zone sans Wi-Fi ni 4G. Sinon, vous sentez bien que cela démange votre interlocuteur de sortir son appareil pour regarder son écran, avec la même désinvolture que vous dégainiez votre première télécommande, il y a 25 ans, pour zapper les publicités.

Même en regardant la télévision, justement, le « second screening » est fréquent pour, par exemple, savoir combien est noté un film sur IMDB, connaître l’âge de l’acteur principal ou vérifier le résultat du match de football pendant qu’on fait semblant de trouver passionnante cette nouvelle comédie romantique qu’on avait promis de regarder cette semaine.

Tout contribue à vous faire préférer Snapchat ou Skype plutôt qu’une discussion en tête à tête, sans même rentrer dans les considérations d’haleines peu fraîches ou de la propension de vos collègues à ne parler que de leurs problèmes familiaux. Tout ce que vous risquez dans une cyber discussion, c’est un « glisser vers la gauche » au lieu d’un « glisser vers la droite » ; ça fait toujours moins mal que la vieille baffe analogique.

Si vous ne parvenez pas à communiquer avec vos collègues qui se whatsappent au milieu des réunions ou que vos enfants se sont transformés en smombies ( = smartphone zombies), qui risquent leur vie en envoyant des SMS en même temps qu’ils traversent le boulevard Royal, il vous reste un dernier espoir pour faire passer un message : recourir à ce que les Suédois nomment « wifi-bråk », qui consiste à renommer son réseau wi-fi pour adresser un message, a priori peu agréable, à quiconque se trouve à portée de votre réseau domestique. Par exemple : « PoseTonGsmAvantDePasserATable ».

Cyril B.
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