Avis mortuaires dans la presse

Chers disparus

d'Lëtzebuerger Land vom 18.01.2007

Les deux principaux quotidiens nationaux, le Wort et le Tageblatt, ont engagé une curieuse bataille devant les tribunaux luxembourgeois dont le Wort vient d’ailleurs de perdre une manche cette semaine, la première sans doute. Le titre de la rue Plantin a assigné en fin d’année en référé son concurrent eschois pour concurrence déloyale, lui reprochant de « pomper » illégalement les informations de ses pages d’avis mortuaires, une mine d’or commerciale pour la presse quotidienne.

Les dirigeants du groupe Saint Paul n’ont pas rigolé lorsqu’ils se sont aperçus que le Tageblatt reprenait sous une forme standardisée une partie du contenu de ses annonces nécrologiques. Une partie seulement et dans une version française.

Les renseignements essentiels des « nécro » y sont cependant repris : nom de la personne décédée, évidemment, jour et heure de l’enterrement et numéro de compte sur lequel les connaissances du défunt peuvent honorer sa mémoire.

La copie du quotidien d’Esch n’est pas exempte de fautes et de coquilles par rapport à l’annonce originale. Il suffit pour cela de se pencher sur un exemplaire du Wort de lundi 15 janvier et de l’édition du Tageblatt du lendemain. Ses rédacteurs s’autorisent également quelques fantaisies avec l’usage, sans doute, d’un dictionnaire des synonymes : au mot « obsèques » est par exemple substitué le terme « enterrement ». La version à Esch est ainsi plus sobre que celle de son inspirateur, proche de l’évêché.

Les informations récupérées ne tombent pas en principe dans le domaine public. Un officier de l’état civil ne renseigne pas par exemple sur le numéro de compte hébergeant les dons, ni des horaires et des lieux des offices religieux.

Les dirgeants du groupe Saint Paul estiment qu’il s’agit de données non-publiques qui rendent leur recopiage, même partiel, illicite. Si on ne peut plus demander aux morts de se défendre et que leur seul recours est désormais de se retourner dans leurs tombes, leurs familles, qui leur ont payé une nécro dans les pages du Wort, apprécient sans doute moyennement de voir l’information reprise le lendemain dans les petites annonces d’un journal qu’elles n’ont pas sollicité. La question en droit commercial posée au juge de référé était de savoir si un titre a le droit ou non de repomper des informations pour attirer une partie du lectorat de son concurrent qui n’achète le journal que pour ses nécros.

Visiblement oui, puisque la demande du Wort a été déclarée « non- fondée », selon le greffe du tribunal de commerce. L’ordonnance du tribunal est tombée mardi, mais les avocats des parties impliquées n’ont pas souhaité communiquer sur son contenu. Le tribunal ne  fournit pas les copies des ordonnances aux tiers ou, s’il le fait parfois au nom du droit à l’information du public, ne transmet les documents que lorsque le train est passé depuis longtemps.

La nécrologie est avec les autres annonces familiales (naissance, baptême ou communion du petit, noces d’or de pépé et mémé, anniversaire), le fonds de commerce de la presse quotidienne luxembourgeoise. Selon le relevé de la pige publicitaire, le Wort a encaissé un montant de 2,9 millions d’euros au premier semestre 2006 grâce aux petites annonces et avis familiaux, ce qui représentait 13 pour cent de ses revenus publicitaires totaux. Le Tageblatt a récolté de son côté un montant de 620 000 euros au cours de la même période, soit dix pour cent de ses rentrées publicitaires. C’est dire si le créneau est comme du pain béni. Et vaut bien des chamailleries et des déballages devant des juges. On ignore si le Wort compte faire appel de l’ordonnance, son avocat refusant la moindre communication à propos de l’affaire.

Plus fondamentalement, le procès pose une question sur le droit de la presse et celui de puiser dans les informations des titres concurrents sans avoir à les citer, ce que la déontologie journalistique impose pourtant.

Mais qu’il s’agisse du Wort ou du Tageblatt, il est vrai que l’habitude de citer les informations de ses confrères n’est pas (encore) ancrée dans les mentalités. Encore heureux que les lecteurs ne sont pas toujours dupes.

Véronique Poujol
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